Choisir un isolant, une question subsidiaire?
L’augmentation drastique du coût de l’énergie pourrait enfin donner un coup d’accélérateur à la rénovation du parc immobilier suisse, balbutiante malgré les subsides à disposition. Quels matériaux privilégier pour réduire l’énergie grise et améliorer le bilan carbone? Les isolants biosourcés pourraient-ils détrôner les isolants conventionnels? Réponse en deux volets.
En Suisse, la rénovation énergétique est un chantier colossal pesant des dizaines de milliards de francs. Les isolants conventionnels se sont jusqu’à présent taillé la part du lion, ne laissant que des miettes aux isolants biosourcés. Les premiers ont en effet pour avantage d’être référencés, normés et labellisés. Les seconds, portés par des artisans engagés, commencent timidement à convaincre. Si personne ne met en doute le besoin de réduire le bilan carbone des matériaux de construction, chacun y travaille à sa manière. Les premiers optimisent leur production, favorisent l’économie du recyclage et installent une source d’énergie renouvelable sur le toit de leurs usines. Les seconds, portés par leur seule conviction ou presque, martèlent à qui veut l’entendre les multiples bienfaits de matières intrinsèquement bas carbone.
Des retards pénalisants
Les rénovations engagées depuis quelques années ne se déroulent pas à la bonne cadence. À l’heure actuelle, nous restons en effet dépendants des combustibles fossiles pour les trois quarts des chauffages en place (52 % emploient du mazout et 21 % du gaz) et beaucoup de bâtiments sont peu, voire pas isolés. Nous sommes très loin de l’objectif fixé par la Confédération et sa Stratégie 2050, qui implique que nous vivions à l’avenir dans des immeubles passifs (correspondant au label Minergie-P). Si le remplacement des chaudières par des sources renouvelables et locales, combinant le soleil et/ou des apports issus de la biomasse font consensus, aucune directive n’existe quant à la manière de rénover l’enveloppe énergétique d’un bâtiment. Les Cantons fixent en effet les exigences minimales en matière d’épaisseur et de déperdition thermique, mais le matériau employé est laissé au libre arbitre de l’architecte, du physicien en bâtiment, voire du propriétaire. Faut-il comprendre que toutes les solutions présentes sur le marché se valent? De manière consensuelle, nous répondrions qu’elles ont chacune des qualités propres et qu’aucune d’entre elles n’aura jamais que des avantages. Sur sa plateforme en ligne, le journal spécialisé français Le Moniteur expliquait en 2010 que pour produire 1 m3 de polystyrène, il fallait 10 kg de pétrole. En isolant une maison très vétuste avec celui-ci (il faudrait plutôt 75 m3), l’économie réalisée était de 3400 litres de fuel par an. La théorie, assez grossière, a pour mérite de révéler la réflexion qui prévaut encore aujourd’hui: de la même manière qu’on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, les gains énergétiques réalisés sur le chauffage justifient les quelques dépenses en énergie primaire dues à la fabrication des isolants. Or, pour limiter la dépendance aux énergies fossiles, il faudrait également s’interroger sur la courbe exponentielle de production mondiale de plastique.
Impact carbone et épaisseur optimale
Thomas Jusselme, professeur en efficience énergétique du bâtiment à la Haute école spécialisée de Fribourg (HEIA-FR), mandaté par le bureau Lutz architectes, a cherché à comprendre le lien étroit entre épaisseur d’isolation et système de chauffage, afin d’identifier la solution qui permettrait d’en optimiser le bilan carbone.
L’étude a montré que l’épaisseur d’isolant optimale pour obtenir le meilleur bilan carbone, dépend à la fois du type d’isolant et du producteur de chaleur. Pour des isolants issus de la pétrochimie et un producteur de chaleur fonctionnant aux énergies renouvelables, le meilleur impact carbone est atteint lorsque l’épaisseur d’isolant s’approche des exigences légales, de l’ordre de 0.2 à 0.25 W/m2K. Au-delà, l’impact carbone global est augmenté, car il n’est plus compensé par les économies d’énergie réalisées au niveau du chauffage. Pour des isolants minéraux et biosourcés, l’impact carbone continue de diminuer avec l’augmentation de l’épaisseur, même avec un producteur «bas carbone». La réduction est toutefois marginale au-delà de 0.1 W/m2K, valeur cible de la SIA 380/1, dont on s’approche avec les quelques constructions Minergie-P.
Les polystyrènes
La solution la plus populaire pour isoler une façade reste encore et toujours celle qui présente les coûts les plus bas. Un polystyrène expansé (EPS) forme très souvent le support d’une couche protectrice de crépi. Cependant, les avantages économiques de départ sont souvent péjorés par des frais d’entretien réguliers de la surface exposée (nettoyage et peinture) et une durée de vie limitée à 25 ans. Sensibles à l’humidité, les façades compactes se dégradent plus ou moins rapidement suivant l’exposition et le climat auxquels elles sont soumises. Jusqu’à très récemment, elles étaient traitées quasi systématiquement avec des biocides retardant la venue de champignons et d’algues. Ceux-ci sont désormais dénoncés car ils augmentent la charge de micropolluants dans les rivières. La production de polystyrène repose sur deux composés issus de la pétrochimie: le styrène, qui forme le 2 % des panneaux et permet d’emprisonner jusqu’à 98 % d’air, et le pentane, qui s’expanse sous l’effet de la vapeur d’eau pour former les perles de polystyrène. Selon Swisspor, entreprise suisse spécialisée dans la fabrication d’isolants en polystyrène expansé (EPS), pour les 60 à 70 millions de tonnes de matériaux qui sortent chaque année de leurs usines, 5 millions de tonnes de matières secondaires finissent dans les décharges ou les usines d’incinération. Or, s’ils sont bien triés, l’EPS et l’XPS se recyclent et pourraient se soustraire aux déchets de démolition. Selon les projections de la société, 600 000 tonnes pourraient être remises sur le marché grâce au recyclage.
Les isolants d’origine minérale
Les fibres de verre et de pierre constituent des alternatives anciennes et bien connues aux isolants issus de la pétrochimie. Elles sont toutes deux incombustibles et ne rejettent aucune fumée toxique en cas d’incendie. L’impact environnemental de ces isolants est cependant péjoré par la température élevée qu’il faut atteindre pour les fabriquer. La laine de verre Isover, produite par le groupe St-Gobain2, est fabriquée dans l’usine de Lucens (VD) depuis 1937 ; le site s’est récemment spécialisé dans la R & D, mais produit encore annuellement 30 000 tonnes de laine de verre. Le calcin3 y est chauffé à plus de 1400° C dans un four alimenté à l'électricité et même, à l'hydroélectricité depuis une dizaine d'années. À Flums (SG) les pierres entrent dans un four qui sera bientôt alimenté par de l’énergie hydro-électrique. L’entreprise Flumroc, qui y produit une laine de pierre depuis 1950, utilise de la roche provenant de carrières situées à quelques kilomètres dans les Grisons, à Felsberg et à Zernez. La matière est chauffée jusqu’à sa température de fusion à 1500° C, puis filée en fibres et hydrofugée. Après adjonction d’un liant, la nappe homogène présente des fibres bien orientées. Flumroc, qui produit annuellement 55 000 tonnes d’isolant destiné presque entièrement au marché suisse, a rejoint le groupe Rockwool4 en 2017. Même si les deux matières minérales, fibres de pierre et fibres de verre, sont recyclables, dans les faits, cela reste encore théorique vu les quantités traitées.
Les isolants biosourcés
En novembre dernier, la plateforme de formation continue pour l’énergie et le bâtiment fe3 organisait à Yverdon-les-Bains une journée sur les isolants qui a réuni bien plus de participants durant l’après-midi consacré aux approches biosourcées que le matin. Pittet artisans, Ecococon, Gutex et Fisolan s’étaient rassemblés pour parler de béton de chanvre, de paille, de fibres de bois et de laine de mouton. Si ces isolants restent minoritaires sur le marché suisse, ils soulèvent un réel engouement par les valeurs qu’ils véhiculent, associées à la santé. Ils sont issus de ressources renouvelables, captent le dioxyde de carbone durant leur croissance5, sont potentiellement cultivés à proximité et peu énergivores. Si la France, grâce à l’Ademe, agence de la transition écologique, dispose d’un budget général de 4 milliards d’euros pour soutenir l’innovation et la recherche, rien de comparable n’existe en Suisse, et aucune filière n’est, pour l’heure, suffisamment structurée pour financer des essais effectués en laboratoire et générer des normes constructives, seule voie possible pour s’ouvrir à un plus large usage. Les isolants biosourcés sont donc très loin de détrôner les isolants conventionnels, plus encore en Suisse qu’ailleurs. C’est pourquoi dans le prochain numéro de TRACÉS, nous prolongerons notre enquête, afin de nous informer auprès des différents acteurs, écoles, offices fédéraux de l’environnement et de l’énergie, bureaux d’ingénieurs, sur les verrous qui empêcheraient leur essor. Car l’isolant, même s’il disparaît à la vue, est essentiel au bien-être.
Notes
1 L.H.N Mosquini, V. Tappy, T. Jusselme, «A carbon-focus parametric study on building insulation materials and thicknesses for different heating systems: A Swiss case study», IOP Conf. Ser.: Earth Environ. Sci. 1078, 012102 (2022)
2 Saint-Gobain est une entreprise française dont le chiffre d’affaires en 2021 était de 44 milliards d’euros. Elle est présente dans 76 pays, dont la Suisse, à travers les marques Sanitas Troesch, Isover, Weber, Rigips, Vetrotech, Sageglass, Swisspacer et Ecophon.
3 Le calcin est du débris de verre mélangé à d’autres matières premières. Il contient 80 % de verre recyclé provenant de vitres, de pare-brise, de néons ou de bouteilles.
4 Rockwool est un groupe d’origine danoise spécialisé dans l’isolation de roche. Il est présent dans 39 pays et son chiffre d’affaires était de 366 millions d’euros en 2021.
5 Exception faite de la laine de mouton, qui a d’autres atouts pour séduire.