Chronique d’une fin annoncée
Dernière Image
Cette Dernière Image clôt la collaboration initiée il y a trois ans avec le collectif Le Silo. Je souhaite remercier les chercheuses qui ont rédigé la rubrique : Teresa Castro, Evgenia Giannouri, Lúcia Monteiro, Clara Schulmann et Jennifer Verraes. Leur amour du cinéma et leur esprit d’analyse nous ont permis d’ouvrir la revue à d’autres horizons, notamment avec les cycles de projections L’architecture à l’écran à la Cinémathèque suisse. Quant à notre intérêt pour les croisements entre architecture et cinéma, il se poursuivra sous d’autres formes.
C’est à la Défense, dans la nouvelle gare souterraine du quartier d’affaires parisien, que Bertrand Blier pose les prémices de cette aventure nocturne, réalisée en 1979. Un couteau tombé dans de mauvaises mains, un passant solitaire apeuré, un autre menaçant. S’ensuit un crime sur lequel plane un doute et que le personnage principal, un chômeur incarné par Gérard Depardieu, assume en toute innocence. Il croit avoir commis le meurtre, sans en être certain. Son voisin, un commissaire joué par Bernard Blier (le père de Bertrand), lui apporte son soutient moral et logistique. Seuls habitants d’une tour nouvelle, le meurtrier et le policier vont rapidement être rejoints par une troisième figure aussi chimérique : un assassin paranoïaque et trouillard.
Le ton est étrange, surréaliste, parfois cynique, toujours désinvolte. Il y a dans Buffet froid comme un inversion des valeurs : le crime est légitime, la justice illusoire, la police manipulée, la médecine abusive, l’amour mortifère et la ville comme dans un rêve, familière mais étrangement dépeuplée. Les vues nocturnes du quartier d’affaires, avec ses interminables surfaces carrelées sont au film de Blier ce que les décors ferroviaires et urbains sont aux tableaux oniriques du peintre Paul Delvaux : un arrière-fond dont le calme et la froideur contrastent avec l’érotisme des scènes dépeintes.
Comme chez Delvaux, le décor nocturne et la scène qui s’y déroule constitue un tout cohérent. L’identité de la ville se révèle par le négatif libidinal de celles et ceux qui l’habitent. Pour Delvaux, fasciné par le surréalisme, ce contraste relate les paradoxes de la culture bourgeoise, faite de raffinement, de désirs inavoués et de pulsion de mort. Chez Blier, il illustre plutôt la négativité inhérente à la société du début des années 1980, libérale et conservatrice, transparente mais surtout désillusionnée quant aux aspirations sociétales qu’elle pouvait encore avoir, quelques années auparavant. Dans Buffet froid, l’homme est un loup pour la femme et vice versa : une guerre des sexes, érigée en signe des temps.