Ci­tés d’exil

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Les chercheuses du Silo dissèquent le film "Colloque de chiens", réalisé par Raoul Ruiz en 1977. Un long métrage dont la géographie est aussi instable que les rôles des personnages et où l'intertextualité s'affirme déjà comme trait majeur du cinéma de Ruiz.

Date de publication
27-05-2014
Revision
15-10-2015

Il serait exagéré d’affirmer que Colloque de chiens de Raoul Ruiz porte sur la transformation urbaine de la ville de Gennevilliers dans les années 1960-1970. En prenant aussi bien appui sur les codes du mélodrame que sur ceux du film à suspense, le cinéaste crée une intrigue combinant l’amour, le crime, le rêve et la fuite. Le récit en boucle profite des ruses de la mémoire et des limites de l’image pour relancer l’histoire, mais toujours différemment. Monique (Silke Humel), une jeune prostituée, et Henri (Eva Simonet), l’homme qu’elle épouse, sont les protagonistes, mais il se peut que leurs identités changent en cours de route. On ne saura jamais – la remémoration et l’imagination compromettant l’objectivité des récits – quelle a été l’arme du crime commis par Henri : un couteau ? Une bouteille ? De même, comment être sûr des gestes de l’infirmière Monique au moment où elle refait le lit du patient à l’hôpital ? 
Raoul Ruiz a quitté le Chili en 1973, après le coup d’Etat mettant fin au mandat du président marxiste Salvador Allende. Arrivé en France, il réalise d’abord Dialogues d’exilés (1975), film qui provoque la rencontre parisienne de différentes populations en exil : l’Amérique du Sud et l’Afrique du Nord, le Chili et l’Algérie. Colloque de chiens voit le jour peu de temps après et emprunte son titre à Cervantès. L’usage d’images fixes et la structure en diaporama évoquent La Jetée (Chris Marker, 1962). La phrase d’ouverture est de Buñuel : « Celle que tu appelles maman n’est pas maman », dans Le charme discret de la bourgeoisie (1972). L’intertextualité, l’un des traits majeurs de tout son cinéma, s’affirme déjà.
La géographie du film est aussi instable que les rôles des personnages. La voix off du narrateur informe du parcours des personnages, de la « ville de Montsouris » à Bordeaux puis à Marseille, tandis que les plans étudiés par les policiers afin d’élucider un meurtre dévoilent plutôt le bassin parisien. 
La ville de Gennevilliers, à une dizaine de kilomètres au nord de Paris, se laisse reconnaître par les panneaux de direction, les plaques indiquant les noms des rues et l’image des grands ensembles, tout neufs. La réforme urbaine mise en place dès les années 1960 par la municipalité voulait lutter contre les bidonvilles où vivaient les travailleurs immigrés en les relogeant dans des logements verticaux modernes, construits dans un esprit de rationalité et portés par un discours défendant des quartiers clairs, aérés et harmonieux (comme en témoigne notamment l’optimisme du film de Louis Daquin, Naissance d’une cité, 1964). Dans Colloque de chiens, tourné à un moment où Gennevilliers se fond dans le tissu urbain de la banlieue parisienne, l’ambiance créée par ce décor moderne est plutôt sombre. Les photographies montrent une zone industrielle oubliée, les grues des nouveaux chantiers, des tours d’habitation entourées d’arbres secs, des intérieurs sinistres. Les rares images en mouvement ne présentent pas d’acteurs humains : elles ont été tournées dans le refuge Grammont pour chiens abandonnés, situé dans une friche de la ville. Si dans la nouvelle de Cervantès les chiens étaient dotés de la faculté de parler, dans le film de Ruiz ils se contentent d’aboyer. Le spectateur peut tout de même s’interroger sur leur capacité à se remémorer leurs anciennes demeures, tels Berganza et Cipión, les chiens créés par l’écrivain espagnol.

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