Eloge du collage
Editorial paru dans Tracés n°20/2013
Juxtaposer des éléments hétérogènes puis recoudre le tout, au lieu de chercher à constituer un ensemble homogène ex nihilo: tel pourrait être l’adage qui résume la nouvelle sensibilité des urbanistes quant à leur rôle dans la fabrique urbaine. Il traduit le rejet d’une perception rigide de la planification et l’adoption d’une posture plurielle, ouverte au contexte et aux aléas.
La pratique de Luca Merlini et la démarche pédagogique d’Elena Cogato Lanza sont caractéristiques de cette attitude moins directive qui s’est forgée ces vingt dernières années. Aujourd’hui, le développement de la ville n’est plus pensé comme un projet à mener d’une main de fer, mais comme un phénomène quasi organique qu’on accompagne, qu’on cherche à canaliser. Se pose bien entendu la question des raisons de ce changement d’attitude. Pourquoi la modernité a-t-elle renoncé à ses certitudes initiales ? Pourquoi la planification à grande échelle ne peut-elle plus se faire comme dans les années 1960 ? Qu’est-ce qui fait que des concepts tels que le multipolaire, le contextuel, le symbiotique et l’évolutif soient devenus les nouveaux maîtres à penser des planificateurs ? Pour répondre à ces questions, il faut recourir aux extrêmes qui définissent la ville moderne. Il s’agit de situations liminaires et terminales que nous n’avons fort heureusement pas connues en Suisse : l’émergence de l’urbanisme moderne des cendres de la guerre et sa dégradation liée au déclin du logement social.
L’urbanisme fonctionnaliste fordiste est né d’une destruction massive en Europe et d’un effort de guerre aux Etats-Unis. Ce sont les bombardements de la Seconde Guerre mondiale qui ont prescrit la réalisation des principaux grands ensembles des villes européennes. Ce même modernisme s’est décomposé quelques décennies plus tard, à cause de son incapacité à muter quand la période de prospérité arriva à son terme. La crise des grands ensembles coïncide avec la fin des Trente Glorieuses. C’est donc bien une crise économique et sociétale qui a engendré une nouvelle façon de penser la ville. La moderniténée de cette manœuvre1 fut moins autoritaire, moins dogmatique, plus ouverte à l’expérimentation ; et surtout plus disposée à tenir compte de la composante « temps ».
Si la ville à venir se doit d’être mixte, multipolaire, contextuelle et évolutive, c’est précisément parce qu’à la fin des années 1970, l’autre ville, celle que l’on souhaitait clivée, fonctionnelle, générique et formaliste, a indubitablement échoué dans sa mission.