En route pour l’aventure
Les RPH sur la sellette
Dès la nouvelle année, le modèle du temps nécessaire sera définitivement supprimé des règlements concernant les prestations et les honoraires de la SIA. Pour les mandataires et les mandants, cela représente à la fois un risque et une chance.
Si les règlements concernant les prestations et les honoraires (RPH) de la Société suisse des ingénieurs et des architectes étaient comparés à un ouvrage, on pourrait les assimiler à un palais néobaroque jugé digne de protection par beaucoup: soit un bâtiment édifié en 1877, puis sans cesse étendu, rénové et adapté à l’évolution des intérêts de ses hôtes durant les 125 années suivantes. Cet édifice imaginaire aurait véritablement constitué une retraite confortable pour d’illustres représentants de la branche des études – un lieu où l’on n’aurait supposément guère eu à se soucier de détails financiers. En tout cas jusqu’en 2001, lorsque les gardiens de la concurrence ont pour la première fois taxé d’illégaux les modèles d’affaires de la branche. On a toutefois rapidement répondu à cette sommation par des correctifs consensuels et l’insouciant train-train de jadis n’a pratiquement pas subi de changements. Jusqu’à ce qu’en 2018, l’autorité exige finalement l’abandon de ces pratiques à nouveau jugées illicites.
Ce palais symbolique est donc toujours en place aujourd’hui. Mais à l’extérieur, il arbore une façade depuis longtemps lézardée sous le feu des critiques. Et à l’intérieur, il y a un tas de gravats qu’il s’agit de débarrasser.
Expiration du délai de grâce
Au-delà de la métaphore, le tas de gravats est réel. En novembre 2018, la SIA s’est vue forcée de revoir les RPH 102 (architecture), 103 (génie civil), 105 (architecture paysagère) et 108 (installations du bâtiment, mécanique et électrotechnique) et de trouver une solution transitoire au modèle du temps nécessaire (article 7), qui permet une évaluation du temps de travail nécessaire à une tâche de projet à partir des coûts de l’ouvrage et d’autres paramètres. Une décision motivée par l’intervention du secrétariat de la Commission fédérale de la concurrence (COMCO), qui a dénoncé ce modèle élaboré en 2003, puis maintenu dans la révision de 2014, comme un accord illicite en matière de concurrence (voir l’e-dossier sur les RPH). La solution d’urgence a consisté à détacher les articles 6 et 7 des RPH et à mettre à disposition une aide au calcul statistiquement plus étayée et conforme aux règles de concurrence durant un délai transitoire courant jusqu’à fin 2019. Voilà pour l’historique qui amènera dès 2020 à un changement crucial: en vertu de l’arrangement conclu avec la COMCO, la solution provisoire doit alors être retirée et les RPH concernés doivent être expurgés de leur article 7. Les pratiques habituelles relatives au calcul des honoraires et aux rémunérations en fonction des coûts de l’ouvrage doivent désormais être reconsidérées.
Comme la branche des études sera donc obligée de s’appuyer sur d’autres bases pour établir son temps de travail et ses honoraires, la SIA a mis sur pied un groupe d’experts en 2018 afin de réfléchir à une solution de rechange durable. Ce groupe réunit des représentants du comité et du bureau de la SIA, des statisticiens issus des hautes écoles, des représentants de la branche des études, ainsi que le président et les membres de la commission centrale des règlements. Leur mission est d’étudier des concepts d’aide au calcul respectant le droit de la concurrence et des cartels. Ils ont commencé par analyser divers modèles applicables au calcul de volumes de travail et d’honoraires et ont notamment examiné les possibilités de répondre aux objections de la COMCO en étayant les formules bien connues par des paramètres statistiques robustes, en développant d’éventuelles alternatives ou en établissant des banques de données de référence. Dans le même temps, la SIA a commandé une étude comparative des pratiques en vigueur à l’étranger (voir «Sind des Nachbars Kirschen süsser?»). Les résultats du travail des experts ne sont pas encore connus, mais la SIA a fait part de sa volonté d’offrir une solution de rechange à ses membres, même si l’horizon temporel pour sa mise en œuvre demeure imprécis. La seule certitude est que des solutions telles que la mise sur pied d’une banque de données de référence (banque de données compilant les valeurs caractéristiques de projets achevés) nécessitent d’amples récoltes de données et donc beaucoup de temps. A brève échéance, cela ne change donc rien à la situation : concepteurs et maîtres d’ouvrage doivent trouver des solutions opérantes pour établir la grille quantitative applicable à un mandat défini. Il n’est dès lors pas du tout exclu que, poussée par l’urgence, la branche trouve des réponses praticables avant qu’une solution de remplacement normalisée et conforme aux règles de la COMCO n’émerge.
Conséquences dès 2020
Début 2020, les RPH 102, 103, 105 et 108 feront donc l’objet d’une nouvelle édition. Les articles 1 à 6 – y compris les précieux descriptifs des prestations, soit plus de 95% du contenu des RPH – sont conservés moyennant quelques adaptations marginales de passages en lien problématique avec l’article 7; mais l’article 7 lui-même est entièrement supprimé. Outre les inconvénients déjà abordés, cela entraîne aussi des effets contractuels. Ainsi, mandants et mandataires devront s’entendre sur un mode de fixation d’honoraires sans référence à une recommandation corporative – qui, soit dit en passant, n’avait jusqu’ici pas non plus de caractère contraignant. Seuls les contrats en vigueur, qui ont été conclus d’après l’édition 2014 des RPH ou avant, demeurent à l’abri des turbulences. Bien sûr, les mandants comme les mandataires peuvent continuer à s’inspirer des aides au calcul existantes, mais un renvoi contractuel à l’article 7 des RPH ne sera plus possible. On peut cependant douter qu’une telle démarche appuyée sur la pratique actuelle soit recommandable. Il faut plutôt considérer les nouvelles marges de manœuvre que la suppression de l’article 7 offre aux deux parties au contrat. Un mandant peut davantage orienter les prestations qu’il met au concours sur un projet et un processus ou appliquer de nouvelles technologies. Et les mandataires peuvent espérer une juste rémunération de prestations axées sur l’économicité d’un projet, puisque le lien direct entre le coût de l’ouvrage et les honoraires disparaît. Pour que cette latitude soit exploitée comme une chance, il faut toutefois que tous les acteurs impliqués aient le courage de combler la lacune qui s’annonce en fonction de leurs besoins.
Le nouvel environnement réglementaire ouvre également des pistes pour ce qui touche au niveau, souvent déploré, des prix. Comme le montre un sondage de la section SIA Zurich concernant la solution transitoire pour le calcul des honoraires, si les opinions des membres sont certes divisées, leurs préoccupations ont un dénominateur commun. Outre les doutes sur la pertinence du modèle, beaucoup déplorent l’image actuelle de leurs professions et le bas niveau des prix en dépit de l’importance de leurs activités pour la collectivité. Beaucoup réclament une méthodologie aisément applicable qui place la qualité et la valeur culturelle d’un ouvrage au premier plan. L’abandon des recommandations normatives offre maintenant les meilleures chances de revalorisation: en l’absence de recommandation universelle, les mandants et les mandataires sont libres de concevoir leur relation contractuelle selon leurs propres valeurs et d’exiger un travail privilégiant la qualité, respectivement de le voir rémunéré à son juste prix.
Le principal défi réside bien sûr dans la capacité des parties à formuler ces valeurs et à s’entendre sur leurs implications. Avec des retombées qui pourraient en l’occurrence faire apparaître de grandes différences entre les groupes professionnels. Pour les tâches d’ingénierie classiques, le volume d’études peut en règle générale être évalué et présenté de façon traçable en fonction des directives de projet souvent disponibles et à partir de valeurs d’expérience. Pour les concours d’architecture, par contre, il n’existe pratiquement pas d’élément contractuel prénégocié et l’octroi du mandat nécessite de trouver un nouvel accord mutuel réglant la rémunération.
La SIA assume ses responsabilités
Il va sans dire que l’évolution en cours ne laisse pas la SIA de marbre. D’une part, elle se voit contrainte de publier des règlements adaptés au 1er janvier 2020. D’autre part, elle se sent dans l’obligation de continuer à fournir un soutien approprié à ses membres pour l’établissement de leurs honoraires. Ainsi, depuis l’été 2019, la SIA propose aux architectes, architectes paysagistes, ingénieurs civils et ingénieurs en installations du bâtiment des cours Form sur les honoraires et le recueil de chiffres clés. La demande pour ces cours parle d’elle-même: nombre d’entre eux ont affiché complet peu après l’ouverture des inscriptions et seront, pour certains, reconduits jusqu’au milieu de l’année prochaine. Leur contenu est également plébiscité : à côté des bases pour l’établissement des frais généraux et des taux horaires, des collègues expérimentés présentent des méthodes en phase avec la pratique pour calculer les honoraires liés à un mandat sans l’aide du fameux modèle du temps nécessaire de la SIA – par exemple à partir des valeurs clés de projets analogues ou par le biais d’une planification et de listes axées sur les ressources.La campagne de formation de la SIA tout comme le sondage de la section zurichoise mettent en lumière les deux principaux défis qui attendent la branche dans ce contexte: premièrement, la difficulté pour ses collaborateurs d’estimer des taux d’honoraires couvrant les coûts tout en restant concurrentiels et, deuxièmement, celle de déterminer le juste volume de travail pour chaque mandat d’étude. Des défis qui n’ont certes rien de nouveau et auxquels un prestataire de services entreprenant est toujours confronté, indépendamment de l’existence ou non de recommandations corporatives. Reste que ces problématiques gagneront certainement en importance au début de la nouvelle année et qu’elles concerneront aussi au premier chef les maîtres d’ouvrage publics qui estimaient jusqu’ici le volet quantitatif de leurs appels d’offres sur la base des fameuses formules.
L’aventure ne s’arrête pas là
Parallèlement à la maîtrise des conséquences annoncées, le processus de révision ordinaire des RPH vient d’être lancé (voir «Des RPH durables?»). Il est lui aussi placé sous le signe du changement – notamment dans le domaine de la numérisation. Mais comme ces dernières années l’ont montré, la branche a là aussi longtemps su se débrouiller par elle-même en exploitant les possibilités et les marges de créativité qui s’offraient.
D’autres contributions sur le thème des «RPH» sont disponibles dans notre e-dossier RPH
Outil de calcul de la SIA pour la fixation des honoraires selon les coûts de l’ouvrage (solution transitoire; encore disponible jusqu’à fin 2019) www.rph.sia.ch