Ex­ten­sion du ca­nal de Pa­nama

Quelque 85 % des marchandises échangées empruntent la mer. Afin de faciliter ce commerce maritime en pleine expansion, l’Autorité du Canal de Panama a décidé de construire de nouvelles écluses. Ces travaux devront permettre le passage de porte-conteneurs bien plus volumineux et le doublement de la capacité du canal.

Date de publication
30-03-2016
Revision
31-03-2016
Pierre Boskovitz
ingénieur civil SIA, ancien rédacteur de IAS, ancêtre de Tracés

En 1513, deux décennies après la découverte des «Indes Occidentales» par Christophe Colomb qui voulait rejoindre «le Levant par le Ponant», Vasco Núñez de Balboa aperçoit, le premier, la «mer du Sud». Les voyages d’Amerigo Vespucci font bien douter qu’il s’agit plus que d’un archipel. Le premier tour du monde – entrepris en 1519 par Ferdinand Magellan qui trouve le détroit qui porte désormais son nom – établit définitivement que la Terre est bien ronde, que l’Amérique est un continent et que la «mer du Sud» de Balboa est un vaste océan: le Pacifique.

Aussitôt la question se pose: comment joindre par voie navigable ces deux océans séparés par un isthme d’une soixantaine de kilomètres de largeur seulement? La route par le cap Horn ou le détroit n’est pas seulement très longue, elle est aussi difficile et dangereuse. La solution attendra quatre siècles.

Un canal centenaire

Après avoir réussi le percement du canal de Suez, Ferdinand de Lesseps entame, en 1881, le creusement d’un canal au niveau des mers, mais des difficultés imprévues l’obligent à renoncer. Les Etats-Unis reprennent le flambeau en 1904. En une décennie, ils réalisent un canal à écluses qui sera inauguré en 1914 et qu’ils exploitent jusqu’à fin 1999. A cette date, le Panama, indépendant depuis 1903, devient propriétaire du canal qu’il gère par l’Autorité du Canal de Panama (ACP).

Plus de 140 routes maritimes convergent vers le canal de Panama et chaque année plus de 200 paquebots de croisière l’empruntent également. Entre 1914 et 2010, un million de navires ont transité par le canal qui, depuis 1963, fonctionne 24 h/24. Actuellement, son exploitation occupe quelques 10 000 collaborateurs.

Dès les années 1930, des études sont menées quant à la meilleure manière d’augmenter la capacité du canal. Elles concluent à la nécessité de construire de nouvelles écluses, permettant le passage de navires marchands, mais aussi militaires, dépassant les ­dimensions Panamax1. En 1939, les Etats-Unis entreprennent des travaux, mais les suspendent en 1942, à la suite de leur entrée en guerre. Dans les années 1980, une commission formée par le Panama, les Etats-Unis et le Japon reprend les études et aboutit aux mêmes conclusions, soit la nécessité de construire, à côté des anciennes écluses à double voie, de nouvelles écluses donnant passage à une nouvelle génération de navires, les Post-Panamax.

La concurrence possible d’un canal passant par le Nicaragua2 précipite la décision et, en 2006, les Panaméens approuvent par référendum le projet d’extension. Les travaux débutent en 2007 et sont en voie d’achèvement. Le nouvel ouvrage permettra le transit de navires plus grands et plus nombreux, doublant ainsi la capacité du canal, qui passera de 330 à 600 millions de tonnes.

Transit interocéanique

A l’extrémité nord du canal, la baie de Limón sert de port naturel. Les navires, protégés des tempêtes par de longs brise-lames, y attendent avant de pouvoir s’engager dans le canal. Procédant du nord au sud, soit de l’Atlantique au Pacifique, les navires doivent passer d’abord par les écluses Gatun, puis par le lac de même nom, la tranchée de Culebra, les écluses de Pedro Miguel, le petit lac Miraflores, enfin les écluses de ce même nom, avant de continuer leur route vers le Pacifique.

Les navires en transit sont dirigés par des pilotes du canal. Le transit par le canal dure de 8 à 10 heures, cependant un navire reste de 24 à 30 heures dans les eaux du canal. Les limitations du canal centenaire imposent des délais d’attente aux navires, pouvant aller jusqu’à sept jours. Or, un navire qui attend coûte cher. Pour améliorer cette situation, l’ACP a introduit un système de réservation des jours et heures de transit contre un supplément sur le prix du passage. Les paquebots de croisière, en particulier, réservent un transit de jour pour que les voyageurs puissent bénéficier du spectacle offert par le canal et ses écluses.

Un système hydraulique complexe

Le canal de Panama est un système hydraulique gigantesque et sophistiqué comprenant trois lacs, trois barrages et trois jeux d’écluses. Cette machine est alimentée par des précipitations abondantes – 1,3 à 3 mètres par année – mais irrégulières, recueillies sur un vaste bassin versant de 3260 km2 et conduites par le fleuve Chagres vers la mer des Caraïbes.

Au cœur du système se trouve le lac artificiel Gatun, qui constitue un immense réservoir et dont le niveau est strictement contrôlé et régulé par le jeu coordonné des trois barrages. Il constitue un tronçon du canal sur une longueur de 33 km. Les navires traversent donc l’isthme au niveau du lac Gatun, à 27 m d’altitude. Ils y sont hissés par des écluses, situées aux extrémités du canal, qui fonctionnent comme des «monte-charges».

Dans le cadre des travaux d’extension, le chenal qui traverse le lac doit être élargi et approfondi pour s’adapter au nouveau gabarit; d’autre part, le niveau du lac doit être élevé de 45 cm et la couronne du barrage et des vantaux des écluses être adaptée. Ces deux mesures doivent augmenter la capacité de stock­age du lac de près de 200 millions de m3, permettant quelque 1100 transits supplémentaires par année. En effet, à chaque transit d’un navire, 200 000 m3 d’eau douce sont déversées dans la mer, à la grande joie des rapaces qui se nourrissent des poissons d’eau douce qui ne peuvent pas survivre dans les eaux salées des mers.

La tranchée de Culebra
La tranchée de Culebra (ou coupe Gaillard) (image) est une vallée artificielle à travers la ligne de partage des eaux entre Pacifique et Atlantique. Cette dernière n’a, ici, rien d’une chaîne alpine, mais offre plutôt un paysage de collines. Toutefois, les navires ne peuvent pas suivre les accidents du terrain et il a fallu y creuser une tranchée. Elle constitue un tronçon de 14 km du canal.

Le canal passe entre la Gold Hill (169 m) et la Contractors Hill (125 m) par un col situé à 95 m d’altitude. C’est à cet endroit que la tranchée est la plus profonde par rapport au terrain naturel. Toutefois, la profondeur à creuser était limitée par le niveau du canal, à 27 mètres au-dessus du niveau de la mer.

Au cours des études préalables, on avait estimé que la roche serait stable jusqu’à une hauteur de 73,5 m. Or, elle commença à s’effondrer à 19,5 m déjà. En 1907, un glissement de terrain fit couler 382 500 m3 d’argile. En effet, les pluies abondantes avaient imbibé d’eau une roche argileuse. En conséquence, la tranchée devait être plus évasée que prévu, ce qui a eu pour conséquence une masse plus importante de roches à excaver et à évacuer.

Lors des travaux de construction du canal, l’équipe américaine y a mis les moyens humains et mécaniques nécessaires : forage, dynamitage, pelles à vapeur, réseau de trains pour évacuer les matériaux excavés, etc. Ainsi 76 millions de m3 de matériaux ont été excavés, dont 23 millions à cause des glissements de terres répétés. Dans le cadre des travaux d’extension du canal, la largeur et la profondeur de la tranchée ont du être augmentées pour les adapter au nouveau gabarit.

Les écluses centenaires

Le canal de Panama est un canal à écluses qui fonctionnent comme un monte-charge: à une des extrémités du canal, elles montent les navires au niveau du canal; à l’autre, les navires regagnent le niveau de l’océan. Il comprend trois jeux d’écluses: les écluses de Gatun (trois paliers) côté Atlantique; les écluses de Pedro Miguel (un palier) et celle de Miraflores (deux paliers) côté Pacifique.

Ces écluses sont à deux voies indépendantes que les navires peuvent emprunter en allant dans le même sens ou en sens opposé. Les sas sont séparés par deux portes busquées à deux vantaux en métal. Leur longueur est de 330 m, leur largeur de 33,5 m. Elles sont alimentées en eau par le lac Gatun et fonctionnent uniquement par gravitation, selon le principe de vases communicants. Un système de 88 vannes et de 250 valves contrôle les opérations de vidage et de remplissage des sas, sans recours à des pompes. Si le niveau des deux océans est à peu près égal, l’éclusage doit tenir compte des marées, dont les rythmes et amplitudes diffèrent fortement d’une côte à l’autre.

Au sommet des parois des écluses, sur toute leur longueur, des «mules» (locomotives de remorquage) roulent sur des voies, en partie à crémaillère. Par quatre, six ou huit, elles guident les navires à l’aide de câbles afin qu’ils ne heurtent pas les parois en béton du canal: la distance entre les navires Panamax et les parois du canal est inférieure à 60 cm! La vitesse maximale des mules est limitée à 3 miles à l’heure.

Nouvelles écluses

Les travaux d’extension ont vu la construction de deux nouvelles écluses semblables, une du côté Atlantique, l’autre du côté Pacifique. Elles n’ont qu’une seule voie et sont différentes des anciennes. Au nord comme au sud, les écluses ont trois paliers. Elles comprennent trois sas, dont chacun est muni de trois bassins d’épargne latéraux. Ces bassins assistent le vidage et le remplissage des sas. En effet, lors du vidage des sas, une partie de l’eau est versée dans les bassins latéraux et, inversement, lors du remplissage des sas, elle y est reversée.

A la descente d’un navire, les bassins auxiliaires récupèrent 60 % de l’eau du sas. Les 40% restants sont déversés dans le sas suivant et finalement dans la mer. A la montée du navire, l’eau des bassins auxiliaires est versée dans le sas, puis complétée par l’eau du sas précédent ou l’eau du lac. Toutes ces opérations font appel à la seule gravitation. Sans faire appel aux bassins d’épargne, l’éclusage prend dix minutes, contre dix-sept en y faisant usage.

Les nouvelles écluses sont larges de 55 m et profondes de 30 m. Les parois latérales ont une section dont la base est élargie pour abriter des tunnels de fuite de 8,3 × 6,5 m de section pour la répartition longitudinale de l’eau. Dans les écluses centenaires, l’eau entre et sort par des orifices situés dans le radier, alors que dans les nouvelles écluses elle passe par des orifices situés dans les parois près de leur base. La construction des nouvelles écluses a nécessité l’emploi de 4,4 millions de m3 de béton. L’agrégat est fourni par du basalte, provenant des roches extraites lors des excavations.

Les trois sas de chaque écluse sont séparés par deux vannes coulissantes. Les seize vannes nécessaires en tout sont constituées de caissons en acier fabriqués en Italie. Pour donner passage, les vannes sont rétractées dans leur niche latérale en béton. Les caissons mesurent 57,60 m de long et 8 à 10 m de large. Selon leur emplacement, il y a six différents types de caissons, dont les dimensions sont variables. Leur hauteur varie entre 22,28 et 33,04 m; leur poids entre 2,458 et 4,242 t. Ils disposent cependant de chambres de flottaison qui facilitent leur déplacement, cette opération prend cinq minutes. Lors de la traversée des nouvelles écluses, les navires seront assistés par des bateaux remorqueurs.

Travaux sur les chenaux d’accès

Depuis la tranchée de Culebra, un nouveau chenal d’accès, long de 6,1 km, conduit jusqu’aux nouvelles écluses Miraflores. Il présente une particularité : sur une longueur de 2,3 km, il surplombe l’écluse de Pedro Miguel et le lac Miraflores situés 9 m en contre-bas. Sa construction doit empêcher l’eau de filtrer. Ainsi la digue en roches qui le protège est dotée d’un noyau en argile, provenant également des excavations. Côté Pacifique, le chenal d’accès a dû être approfondi à 15,5 m sous le niveau moyen minimal de l’eau, et élargi à 225 m. Outre le canal lui-même, le Panama dispose d’un port sur chacune des deux façades maritimes avec terminaux pour conteneurs et reliés par une ligne de chemin de fer les transportant, ainsi que d’une zone de port franc.


Notes

1. La limitation imposée par les dimensions des écluses a donné naissance à la classe de navires dits Panamax, construits en grand nombre.

2. Le premier coup de pioche de ce projet financé par une entreprise hongkongaise a eu lieu en 2014. Mais des problèmes écologiques et des troubles sociaux ont empêché le démarrage des travaux. De plus, la crise boursière chinoise de 2015 a fortement fragilisé l’investisseur principal, si bien que l’avenir du projet est des plus incertains, mais son aboutissement pourrait retirer jusqu’à 30 % de son trafic maritime au canal de Panama. Il est à noter que la concurrence entre les deux tracés, sur fond d’alliances, de rivalités et d’instabilités politiques, date du début du 19e siècle déjà.


Liaison interocéanique et coupure intercontinentale

Le canal de Panama relie par voie navigable les deux océans mais interrompt la continuité de l’isthme. Celle-ci est rétablie par deux ouvrages :

  • le pont des Amériques, un viaduc autoroutier à la structure en treillis d’acier en forme d’arc (portée principale de 344 m, longueur totale de 1655 m), inauguré en 1962,
  • le pont du Centenaire, pont routier haubané, en béton (portée principale de 420 m, tablier large de 34,30 m portant 2x3 voies), inauguré en 2004.

Sur ce sujet