Fu­tur ra­dieux pour in­fras­truc­ture ob­so­lète

Mais quels parents oseraient envoyer sciemment leurs enfants jouer dans une infrastructure de béton abandonnée? Ceux d’Aproz (VS) pardi! En 2023, le village s’est doté d’une place de jeux aménagée dans un bassin d’épuration à ciel ouvert. Un site audacieux, proposé par le bureau En-Dehors, qui offre à cet ouvrage une seconde vie inattendue.

Date de publication
20-06-2024

Depuis l’extérieur, c’est un petit bâtiment mais qui n’a pas de toit. Situé le long du Rhône, le bassin de décantation hors sol, à ciel ouvert et flanqué de locaux techniques en périphérie, est le dernier vestige de la première station d’épuration (STEP) construite en Valais, au milieu des années 1960. Abandonnée en 1994 lors de la construction de la station d’épuration intercommunale de Bieudron, elle est partiellement reconvertie en relais de pompage pour réguler le flux vers l’aval. Le bassin perd alors tout usage et devient ce vide imperceptible derrière des murs. Pendant ce temps, le village d’Aproz, idéalement situé entre Sion et Martigny, grandit rapidement grâce à des prix immobiliers encore accessibles. Les villas individuelles finissent par remplacer les champs pour côtoyer directement l’infrastructure. Dans le but de proposer des espaces publics à cette population croissante, les autorités communales mandatent Arnaud Michelet et Romain Legros, associés de En-Dehors, pour recenser des terrains disponibles. Dans ce cadre, la parcelle où se trouve le bassin est rapidement répertoriée pour sa situation proche du centre et son importante surface non construite. D’ailleurs, elle devient si intéressante que les communes de Sion et Nendaz, sur lesquelles se répartit le village, y voient alors une surface potentielle pour une extension future de l’école. Les architectes-paysagistes proposent donc de changer de stratégie. Face à la pression foncière, ce sont eux qui suggèrent d’investir le volume du bassin abandonné et d’ainsi préserver le reste du terrain pour tout futur bâtiment. Une transformation d’abord surprenante, mais qui va ancrer le projet dans une circularité totale.

Step by step

À partir de cette décision et après vérification de la non-­pollution du site, En-Dehors va mener une véritable analyse de l’objet construit. À la manière d’architectes (non-paysagistes), ils s’intéressent au construit, à la statique des murs et aux éléments à récupérer. Bien qu’ils reconnaissent que ce n’est qu’une fois le bassin ouvert qu’ils ont pu réellement appréhender l’espace disponible, ces études mettent en place les grands principes. Le projet se développe autour du réemploi, en utilisant directement sur site la matière extraite du bassin: l’ouverture principale de la façade sud produit les marches qui y mènent, les garde-corps du chemin de ronde du bassin sont réutilisés pour l’accès, le tirant central au profil hexagonal marquant devient un banc… Le lieu inspire directement le projet, qui va continuer d’évoluer avec le chantier et grâce à un échange précieux avec les entreprises mandatées. Par exemple, en comprenant qu’il est plus simple de carotter que de scier le sol, En-Dehors adapte la forme des percements pour les plantations: les carrés deviennent des ronds. Les épais disques extraits se muent alors en assises. Toutes les pièces sont ainsi appréciées et considérées sur place, modelant progressivement le résultat.

À la fin, c’est une véritable salle de jeux, plutôt qu’une place, qui est créée. Des douches et jets, parfois invisibles, alimentent en eau des parcours entaillés dans la masse du radier. Entre ces jeux d’eau actionnés par les enfants, mais aussi de manière aléatoire, des touffes de saule apportent de la fraîcheur et créent des cachettes. Dans un coin, des pierres ont été sélectionnées et montées sur le mur pour offrir des prises d’escalade. Ces différents éléments meublent avec beaucoup de spontanéité et de liberté cette chambre dédiée au jeu et à l’imagination. Seul élément à rompre la forte intériorité du lieu, un toboggan auquel on accède par une tour à l’extérieur et qui traverse ensuite le mur, via un carottage. À terme, le projet devrait sortir de ce cadre construit pour investir l’espace alentour. Pour le moment, il offre un point d’attraction et de rencontre dans ce quartier très résidentiel sans autre porosité. L’intervention se limite à la transformation du volume intérieur. Les autres façades de l’infrastructure, qui donnent accès à des locaux techniques encore en usage, n’ont pas été rénovées et la parcelle reste en friche. Loin de nuire au projet, ce contexte renforce l’effet de surprise et le sentiment d’avoir découvert un lieu secret, presque interdit. Un peu comme si, à la manière du Pays imaginaire de Peter Pan, les architectes paysagistes avaient révélé cet objet sur un terrain vague et l’avaient transformé à la force de leur imagination pour répondre au seul besoin de jouer.

Bangarang!

D’ailleurs, il aura fallu de nombreux échanges pour obtenir la certification de cet objet hors normes en place de jeux homologuée. Dans les parcs, la tendance actuelle est plutôt aux constructions en bois massif et aux copeaux de bois sur le sol. Alors pour mettre en œuvre les revêtements de sol souples prescrits et s’inscrire dans un imaginaire collectif de l’enfance, En-Dehors introduit de la couleur dans le projet, en rupture avec l’aspect brut du béton. Un assortiment des trois teintes primaires marque les interventions techniques comme les sciages ou les bandes étanches. Le seul regret des architectes-paysagistes restera l’impossibilité d’utiliser le grand mur en biais du fond du bassin en surface de grimpe. Elle aurait alors été considérée comme surface horizontale et aurait donc dû être revêtue – un investissement incohérent dans l’ensemble du projet. Puisqu’en plus d’avoir produit un lieu singulier, l’esprit de l’intervention réside dans son économie: dans sa réalisation, grâce au réemploi de matériaux sur site, mais surtout dans son principe même qui préserve un terrain foncier et économise la démolition éventuelle de l’infrastructure.

Malgré sa petite taille, la place de jeux d’Aproz condense de nombreuses thématiques actuelles. Au-delà de la question des ressources et des déchets, la réponse apportée au devenir des infrastructures obsolètes héritées du 20e siècle est particulièrement intéressante. Plutôt que de démolir, le projet parvient à transformer un site a priori hostile et inopportun en un lieu attractif, qui accueille les utilisateur·rices probablement les plus protégé·es de notre société: les enfants. Pour réussir ce tour de force, En-Dehors agit avec conviction et souplesse, pour expérimenter et s’adapter progressivement au lieu, mais surtout avec beaucoup de plaisir. Un sentiment à retrouver d’urgence dans nos métiers.

Transformation d’une STEP en aire de jeux, Aproz (VS)

 

Maîtrise d’ouvrage
Communes de Sion et Nendaz

 

Architectes paysagistes
En-Dehors, Lausanne et Sion

 

Paysagiste
Jardin alpin, Haute-Nendaz

 

Électricien
Electrochoc, Fey

 

Automaticien
Etelco, Basse-Nendaz

 

Sanitaire
Bornet, Sion

 

Découpe béton
Discobéton, Conthey

 

Résines
Lourejoints, Veyras

 

Réalisation
2023

 

Coûts (honoraires compris)
300 000 CHF TTC

Étiquettes
Magazine

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