La Petite Carrière, le site comme ressource
Le parc des Minoteries à Genève, réalisé par l’atelier apaar au cœur du célèbre complexe résidentiel des années 1970, incite à la réflexion à travers un programme apparemment simple – six bacs de plantation et trois pergolas – sur les potentialités du réemploi comme méthodologie de projet.
Le parc des Minoteries à Genève, réalisé par l’atelier apaar au cœur du célèbre complexe résidentiel des années 1970, incite à la réflexion à travers un programme apparemment simple – six bacs de plantation et trois pergolas – sur les potentialités du réemploi comme méthodologie de projet.
L’aménagement d’un nouveau parc urbain pour le complexe des Minoteries1, propriété de la Ville de Genève située dans le quartier de Plainpalais, offre l’opportunité d’explorer les possibilités du réemploi comme méthodologie participative du projet. À la suite de la rénovation de l’ensemble locatif et de ses équipements publics, l’atelier genevois apaar, spécialisé en architecture et paysage, a été mandaté pour intervenir sur l’îlot de chaleur2 généré par la dalle du parking souterrain au centre du complexe.
S’inscrire dans la continuité
En 2021, après quatre années de chantier, le bureau d’architecture Itten+ Brechbühl (IB+) achevait la rénovation du quartier des Minoteries, un complexe résidentiel de plus de 300 appartements. De nombreuses modifications3 ont été nécessaires pour réduire la consommation énergétique de l’ensemble des logements. L’intervention des architectes portait également sur les aménagements extérieurs, notamment la transformation des galeries du rez-de-chaussée afin d’améliorer l’accessibilité des espaces communs. Les passages et les accès ont été réaménagés tout en préservant le langage architectural originel de l’îlot.
Le chantier de rénovation s’est déroulé en présence des locataires, et le parc des Minoteries a été occupé comme zone de dépôt pendant toute la durée des travaux – une nuisance qui explique en partie la volonté de la Ville de Genève d’offrir en contrepartie un espace particulièrement agréable et accessible, tant pour les habitant·es du complexe que pour les usager·ères des équipements publics.
Dans ce sens, apaar propose comme principe directeur pour le parc un «retour à la ville» et décide de reprendre la structure de la rue des Minoteries: un espace de circulation piéton qui garantit une accessibilité universelle, reliant la rue des Battoirs au quai Charles Page, offrant une ouverture sur l’Arve. Grâce aux modifications apportées par IB+, cet axe déjà existant est renforcé, facilitant ainsi l’accès aux équipements publics annexes tels que la bibliothèque des Minoteries et la Fondation Clair-Bois, qui accueille des enfants et des adultes polyhandicapés. Le parc se situe alors à la jonction de deux échelles urbaines: celle de la ville, en tant qu’espace de circulation, et celle des bâtiments, en tant qu’espace de quartier pour les habitant·es.
Apaar souhaite également s’inscrire dans la continuité de l’histoire du site en s’inspirant de la structure des aménagements urbains déjà présents sur place. Ainsi, en termes d’usages, le projet s’intègre dans le plan conçu en 1996 par le bureau d’architecture du paysage Giordano Tironi; la pergola, une partie des murets en béton et la fontaine sont conservés. Mais les architectes perpétuent aussi la dynamique du projet éphémère réalisé pendant l’été 2021 en collaboration avec les habitant·es4 et ajoutent au programme du parc des bancs avec dossier et des balancelles ainsi que des espaces de jeux ombragés. L’objectif de cette démarche participative initiée par la Ville de Genève est de promouvoir des interventions visant à renforcer la cohésion sociale, mais aussi de sensibiliser les habitant·es aux enjeux du changement climatique.
In situ
C’est lors des visites et analyses du site qu’est venue à apaar l’idée de réutiliser directement la dalle de béton de 20 cm pour créer les six bacs de plantation et la base des trois pergolas en structure métallique – la ronde, la carrée et la rectangulaire – telles que prévues dans le programme. L’approche architecturale adoptée repose sur l’assemblage des éléments disponibles sur le site, évoquant ainsi une sorte de carrière urbaine dont les matériaux sont extraits directement, ou presque: les blocs obtenus par le sciage de la dalle offrent une variété de textures, tandis que les parpaings en ciment du toit existant sont utilisés dans le calepinage. Enfin, les dalles en pierre naturelle d’un chantier voisin servent de couvertines.
Comme le projet est principalement basé sur une conception in situ, il a exigé une grande flexibilité de la part de tous·tes les intervenant·es: déconstruire pour réemployer ensemble.
Cette démarche du réemploi et d’inclusion de tous les acteurs, y compris les habitant·es, est rendue possible par l’échelle relativement réduite et les contraintes techniques et structurelles limitées pour ce chantier – qui n’a duré que six mois. Les éléments réemployés et les calculs de charge ont été discutés avec les ingénieur·es du bureau MDB Ingénieur civil, responsable du projet de rénovation du complexe. Bien qu’il n’y ait pas de certification pour ces éléments de construction, il s’agit d’une réutilisation pragmatique et consciente qui pourrait éventuellement conduire au développement de nouvelles démarches de déconstruction et de réemploi.
Fonctionnement et maintenance
À la fin du chantier, un atelier de plantation participatif a été organisé pour semer et planter des plantes aromatiques et ornementales, un «jardin des sens»5 conçu pour bénéficier à tous·tes les usager·ères. L’ensemble de la végétation ornementale est comestible pour les oiseaux et d’autres espèces appartenant à ce nouveau microcosme urbain. Actuellement, 20 % de la surface des bacs appartiennent également à l’Association des habitant·es des Minoteries, ce qui contribue à la pérennité du projet et à son entretien. Les aspects techniques s’inscrivent également dans une démarche respecteuse de l’existant: apaar a opté pour l’utilisation de matériaux naturels pour les bacs posés sur la dalle, évitant ainsi l’utilisation de géotextile; la terre végétale qu’ils contiennent repose également sur une fine couche de tuiles concassées; enfin un système de drainage et de trop-plein permet un arrosage pratiquement autonome.
Le nouveau projet pour le parc des Minoteries utilise le site comme une ressource et met en avant les usages et les matériaux déjà présents sur place. Cette méthodologie participative mise en place par apaar est une approche de conception et de planification qui vise à impliquer la diversité des perspectives du chantier d’architecture comme partie intégrante du projet. Cette approche reconnaît et valorise tous les aspects du processus de construction et nous offre donc une réflexion sur les possibilités du réemploi non pas uniquement comme une réponse aux enjeux de la construction aujourd’hui, mais comme une démarche intégrale du projet d’architecture.
Parc des Minoteries, Apaar_Paysage et Architecture, Genève (GE)
Maître de l’ouvrage
Direction du patrimoine bâti (DPBA) de la Ville de Genève
Architectes paysagistes
apaar_ Paysage et Architecture
Ingénierie civile
MDB Ingénieur civil
Construction métallique
Magnin Paroisse
Construction béton
SCRASA
Menuiserie
Menuiserie-Agencement Hugues Chessex
Tailleur de pierre
Fabien Goy Tailleur De Pierre
Autres
Antenne sociale de proximité Plainpalais/Jonction/Acacias, Association des habitant·es des Minoteries
Réalisation
2021-2023
Surface de plancher
1300 m2
Coûts
CHF 472 484 HT
Notes
1 Construit par le bureau d’architecture Honegger entre 1971 et 1976, le complexe des Minoteries est considéré comme l’une des réalisations immobilières les plus significatives de la Ville de Genève. Autrefois un moulin entouré de champs, de vergers et de quelques fermes et maisons de loisirs, le quartier le long de l’Arve a évolué au cours du siècle dernier pour devenir une partie intégrante de la ville.
2 Ce terme désigne une zone urbaine où s’accumule la chaleur en raison de la densité des bâtiments environnants et de surfaces imperméables.
3 L’isolation de l’enveloppe du bâtiment, la réfection des toits avec l’installation d’éléments photovoltaïques, ainsi que la remise en état et l’optimisation des installations techniques (chauffage par eaux usées), sont des mesures qui visent à assurer la conformité avec la stratégie genevoise du «100 % renouvelable».
4 Installation éphémère dans le cadre du projet de mairie 2021-2022 de Frédérique Perler, Olowine Rogg (participation), Maren Kühn (architecture du paysage), Martin Rautenstrauch (balancelles), label-Vie (objets ludiques interactifs) Projet de mairie : marenkuehn.ch
5 Les espaces végétalisés ont également été choisis en fonction de leur couleur et de leur odeur, afin de créer un jardin sensoriel pour les personnes à mobilité réduite ou ayant des déficiences, qui peuvent également profiter de cet îlot de verdure.