L’ar­chi­pel de la mai­son

Une architecture domestique au Japon

Date de publication
20-10-2015
Revision
23-12-2015

L’archipel de la maison est le titre d’une exposition qui s’est tenue entre le 15 septembre et le 1er octobre passés, dans l’espace Archizoom du campus de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. L’exposition était accompagnée d’un beau catalogue qui ne fera pas regretter son trop court passage en Suisse à ceux qui n’ont pas l’occasion de là visiter. 

L’ouvrage démarre par un avant-propos d’Augustin Berque. Avec un jeu sémantique de mots écrits en langue japonaise, le spécialiste de la spatialité extrême-orientale nous fait savourer les multiples sens de « qu’est-ce qu’habiter, au Japon ». Avec ce précieux texte, il nous indique quelques pistes pour saisir ce qui ne saurait être vu sur les photos et les plans qui illustrent les 36 maisons sélectionnées pour l’exposition et son catalogue. Par la suite, un texte inaugural écrit par Manuel Tardits et intitulé « Des maisons, des jalons » survole en sept pages l’architecture domestique japonaise. Malgré la difficulté de retracer une architecture qui a imprégné et influencé des générations d’architectes japonais, européens et américains dans un si petit espace, l’exercice est plutôt réussi. L’étude du voyage des modèles architecturaux entre Orient et Occident, à partir du début du siècle passé, trouve avec les maisons japonaises un corpus idéal. Les traces architecturales écrites et construites ne manquent pas. La publication de Houses and People of Japan par Bruno Taut en 1937 fut certainement un tournant : avec la diffusion de ce livre, la villa impériale Katsura est devenue une référence majeure du mouvement moderne et aussi bien Arata Isozaki au Japon ou Walter Gropius en Europe en auront fait un modèle architectural idéal. Le texte de Tardits réussit dans l’ensemble à jalonner l’histoire de l’architecture domestique nipponne en la situant à chaque fois dans le contexte des relations politiques complexes et parfois tumultueuses entre le Japon et l’Occident. Mais une vraie « archéologie des savoirs » qui voyagent entre un Orient architectural idéalisé et un Occident désireux de références exotiques mériterait certainement un espace plus ample que l’exposition itinérante et son catalogue ne pourraient légitimement nous offrir. 

Les auteurs de l’exposition choisissent 14 chefs-d’œuvre de l’architecture domestique japonaise pour illustrer ce qu’ils nomment « les maisons d’hier ». Dans cette collection, on ne se lasse pas de redécouvrir pêle-mêle la Maison du professeur Saitô, réalisée en 1952 par Kiyoshi Seike, ou encore la Sky house, manifeste métaboliste de Kiyonori Kikutake, réalisée en 1958. Parmi ces maisons, trois ont été construites par Kazuo Shinohara. Cette abondance n’est pas due au hasard tant il demeure certainement l’architecte japonais le plus intéressant de l’architecture nipponne. La Maison en blanc et la Maison à Uehara réalisées respectivement en 1966 et 1976 fascinent encore aujourd’hui les architectes du Japon et d’ailleurs1. L’influence de Shinohara transparaît jusque dans la forme même de l’exposition et du catalogue. L’archipel de la maison rappelle par plusieurs aspects l’exposition et la publication 30 maisons contemporaines en 1979 à Paris consacrées à l’œuvre domestique de l’architecte japonais. 

Les auteurs de l’exposition sélectionnent ensuite 20 réalisations contemporaines qu’ils nomment « maisons d’aujourd’hui ». Elles sont
richement illustrées par des dessins géométraux et des photos en couleur et en pleine page. Dans la quasi totalité des images, on y voit les habitants des maisons. Celles-ci contrastent nettement avec les photos déshumanisées qui inondent les publications d’architecture en Europe. En accompagnement de ces documents graphiques, pour chaque maison, un entretien construit à partir de sept questions sur l’architecture domestique croise les réponses des architectes et des commanditaires. De cette manière, les auteurs ont peut-être souhaité insister sur l’idée que les habitants sont à chaque fois au cœur des projets : autre contraste avec les codes des publications d’architecture en Europe.

Nous n’avons pas trouvé trace des critères qui ont amené à la sélection des « maisons d’aujourd’hui ». Pour quelques exemples tels que la maison-atelier de Bow Wow, la référence avec les maisons « modèles » est directe, mais l’ascendance de certaines des 20 autres réalisations avec les 14 « maisons d’hier » est parfois difficile à saisir. Si on peut regretter que l’ouvrage ne traite pas assez de cette filiation interne à l’architecture japonaise, la profusion et la qualité des illustrations d’exemples habités nous renseignent généreusement sur « qu’est-ce qu’habiter, au Japon » aujourd’hui.

 

Note

1 Une « école » suisse d’architecture contemporaine comprenant les architectes Valerio Olgiati, Christian Keretz ou encore leurs plus jeunes disciples Pascal Flammer et Raphael Zuber fait souvent référence aux maisons de Kazuo Shinohara et notamment la Maison en blanc et la Maison à Uehara.

L’archipel de la maisonEdité par Stephane Duval, Le Lézard Noir, Poitiers, 2014 / 35 €

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