Le spec­tacle du sa­voir

Editorial paru dans Tracés n°13-14/2013

Date de publication
15-07-2013
Revision
10-11-2015
Cedric van der Poel
Codirecteur d'espazium.ch, espace numérique des éditions pour la culture du bâti

Depuis que les idéologues de la «société de la connaissance» ont érigé le savoir scientifique et technologique en indice de croissance, les universités et les centres de recherche ont acquis une nouvelle dimension symbolique. L’heure est au dynamisme et au branding, pour attirer les plus grands noms et les meilleurs étudiants. C’est une véritable guerre à laquelle se livrent les établissements pour trouver de nouvelles sources de financement et pour figurer aux premiers rangs des ranking internationaux. A l’instar des gratte-ciel qui exhibent leur puissance financière, l’université du troisième millénaire spécule sur sa propre image. Les campus, comme jadis les grandes foires internationales, deviennent des lieux d’exhibition. A ce jeu, les architectes de renom font figure d’agents de promotion. Patrick Aebischer, président de l’EPFL, l’a bien compris lorsqu’il écrit: «On verra les campus comme étant des lieux majeurs de l’expression architecturale. Des lieux d’expérimentation de nouvelles fonctionnalités. D’une certaine manière, les campus vont peu à peu devenir des lieux de visites, à l’instar des cathédrales qui ont été construites par le passé» 1

Se pose alors la question de la légitimité d’une telle théâtralisation du campus. Y a-t-il imposture dans le fait que l’architecture fasse partie d’une mise en scène? Le spectacle de l’excellence qui se met en place jour après jour à l’EPFL serait-il un simple décor, un ballon de baudruche qui se dégonflera aussitôt déployé? Pire encore, la sobriété helvétique que le monde entier envie serait-elle menacée, dans sa propre maison? La réponse à ces préoccupations se trouve peut-être dans l’ancienne querelle entre purisme structurel et ornement. En 1995, Marc Wigley soulevait quelques questions judicieuses sur le bien-fondé de certaines croyances2. Confrontant les propos d’Adolf Loos à ceux de Gottfried Semper, il révélait la part d’artifice qui existe dans le fonctionnalisme moderne, et cela avant même qu’il ne devienne un style, à partir des années 1950. Le fonctionnalisme serait, au même titre que l’éclectisme qu’il a combattu, un décor. Mise en scène d’hygiène par un usage obsessionnel du blanc, mise en scène tectonique par une prétendue franchise structurelle; pour Wigley, le purisme moderne est un maniérisme dissimulé. Dans le même élan, il révèle combien l’habillage et l’ornement peuvent constituer l’interface primordiale d’un bâtiment. Ce serait la peau, plus que la structure, qui nous permettrait d’identifier et d’habiter un espace. Il y a une vérité architecturale du revêtement, une certaine façon d’édifier l’espace à partir des apparences. C’est bien ce qui est en train de se faire à Ecublens. Ce n’est pas un hasard si les quatre projets de ce gigantesque chantier abordent très sérieusement la question de l'enveloppe et des membranes architecturales. L’enjeu du projet dans son ensemble n’est autre que l’habillage d’un lieu hautement symbolique. 

Finalement, ce travail de mise en scène induit une critique discrète des choix stratégiques mis en œuvre à l’EPFL. Comme au carnaval, le masque a une double fonction:  il recouvre et dévoile tout à la fois. Telle pourrait être la véracité architecturale de l’usage décomplexé de l’artifice: révéler qu’il s’agit avant tout d'un travail sur l’apparence. Un décor qui ne cache pas son jeu, ne dit-il pas la vérité?

 

Notes

1 Anna Hohler, Gaëlle Lauriot-Prévost, Dominique Perrault Architecture : Territoire et horizons, PPUR, 2013, p. 14
2 Marc Wigley, White Walls, Designer Dresses: The Fashioning of Modern Architecture, The MIT Press, 1955

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