«Les standards et les labels ne sont pas une fin en soi»
L’Office fédéral de l’énergie (OFEN), les Cantons et les organisations concernées se sont accordés pour uniformiser les bases de calculs énergétiques et climatiques des labels. Olivier Meile, directeur romand et adjoint des associations Minergie et CECB, revient sur les enjeux de cette harmonisation et les critiques adressées à Minergie.
À l’issue d’un processus d’harmonisation des labels dans le domaine du bâtiment initié il y a quelques années, seuls deux labels pour les bâtiments et les quartiers perdurent : Minergie et SNBS (Standard Construction durable Suisse), avec en plus l’étiquette-énergétique pour les bâtiments qu’est le CECB (Certificat énergétique cantonal des bâtiments). Site 2000 watts est remplacé par deux nouveaux labels : Minergie-Quartier et SNBS-Quartier. Le lancement officiel de ces labels remaniés a eu lieu l’automne dernier. Le but reste inchangé : contribuer à atteindre les objectifs de politique énergétique et climatique de la Suisse ainsi que ceux de la Stratégie pour le développement durable 2030. Dorénavant, certification, assurance qualité, communication et formation continue deviennent l’apanage d’une seule entité : Minergie.
TRACÉS : Pouvez-vous nous parler de l’origine de cette harmonisation?
Olivier Meile : Différents facteurs sous-tendent cette refonte, qui remonte à plusieurs années déjà. Le premier, c’est sans doute la pression exercée sur les autorités publiques par les professionnels de l’immobilier qui déclaraient ne pas s’y retrouver dans la jungle des standards de construction durable. Cet effort d’harmonisation s’explique aussi par la volonté de l’OFEN d’assurer la pérennité d’une offre de labels de construction durable qui s’autofinance, le but étant de mieux positionner chaque label et d’harmoniser les calculs sous-jacents. Enfin, nous voulions aussi transmettre un message clair sur les instruments soutenus par les autorités publiques : Minergie, CECB et SNBS. Ce qui les différencie des autres, plus que le contenu, c’est l’implication des autorités dans le développement des standards et des exigences, ce qui garantit une concordance avec les objectifs suisses de politiques énergétique, climatique et de durabilité.
Peut-on interpréter cette refonte comme une forme de protectionnisme par rapport à la concurrence internationale – je pense aux labels BREEAM ou LEED, notamment?
C’est une lecture possible, c’est sûr. D’un autre côté, on peut aussi argumenter que cette uniformisation résulte d’une recherche d’une meilleure efficacité dans l’utilisation des moyens ou des deniers publics mis à disposition à travers ces instruments. Les standards et les labels ne sont pas une fin en soi, mais un moyen d’améliorer la durabilité de notre parc immobilier. Lorsqu’une autorité publique doit tenir compte de différents labels, c’est elle qui devient en quelque sorte l’autorité de standardisation. Cela signifie qu’elle devrait passer en revue chaque évolution de ces labels et des standards, s’assurer qu’ils soient toujours en adéquation avec ses objectifs climatiques et énergétiques. Ce serait fastidieux et coûteux ! L’avantage d’identifier trois produits attachés à une institution, c’est que ce travail ne doit être effectué qu’une seule fois. D’autre part, les trois associations Minergie, CECB et NNBS sont à but non lucratif. Il n’y a donc pas de volonté d’engranger des bénéfices avec notre activité, uniquement de couvrir nos coûts.
À l’examen du label Minergie, on constate qu’historiquement, il y a eu une focalisation sur le confort et l’efficacité énergétique. Ce n’est que plus récemment que l’on a commencé à s’intéresser aux gaz à effet de serre. Pourquoi avoir attendu si longtemps?
En réalité, la question des gaz à effet de serre fait partie des exigences de Minergie depuis sa création. C’est uniquement en termes de communication et de visibilité que notre positionnement a évolué. Les émissions de gaz à effet de serre découlent d’une consommation d’énergie fossile. En 2017 déjà, par exemple, on interdisait le chauffage fossile : pas de gaz ou de mazout dans les maisons Minergie. Pour la classe politique, les médias et le grand public, le CO2 s’est établi comme référence par rapport à l’évaluation d’un impact environnemental, raison pour laquelle on l’a aujourd’hui davantage intégré dans notre communication. En réalité, cela a toujours été un sujet. Depuis longtemps, on parle d’énergie grise, notamment dans le standard Minergie-ECO. Cette notion a évolué : sur le fond, on calcule toujours l’énergie grise avant de la traduire en émissions grises avec un facteur de conversion, mais il est vrai qu’on parlera désormais davantage de ces dernières. Et nous avons désormais intégré des exigences à ce sujet dans le standard de base, c’est-à-dire des valeurs limites d’émissions grises à respecter.
Au niveau politique, dans les médias et parmi la société civile, on remarque que les préoccupations en lien avec les émissions grises prennent de l’ampleur. Comment Minergie aborde-t-il cela ? La démolition de l’existant dans le cas de nouvelles constructions est-elle prise en compte dans le calcul du bilan carbone?
Tout à fait, c’est d’ailleurs quelque chose de nouveau. En septembre 2023, nous avons lancé une nouvelle mouture des exigences de nos standards. Dans Minergie-ECO, comme dans les nouveaux standards pour l’échelle du quartier, un malus péjore le bilan carbone lors de la démolition de bâtiments existants qui ne seraient pas arrivés au bout de leur cycle de vie. A contrario, on valorise les efforts qui pourraient être faits dans le réemploi et la réutilisation de matériaux de construction. Ainsi, dans le standard Minergie, une exigence en termes d’émissions grises à respecter pour toutes nouvelles constructions est fixée. Dans le cas d’une rénovation, il n’existe pas d’exigence à ce niveau-là, parce que le réemploi d’un bâtiment existant est à ce point favorable en termes de réduction d’émissions grises en comparaison avec toute nouvelle construction.
On entend beaucoup de la part des détracteurs de Minergie que les exigences de ce label favoriseraient des réponses high-tech qui empêcheraient des solutions bioclimatiques d’émerger.
Ces idées reçues émanent de personnes mal informées sur nos standards. On établit des exigences sous la forme d’objectifs à atteindre. Il existe un indice de performance énergétique, une limite à respecter en matière d’émissions grises, un maximum à respecter en termes de besoins de chaleur pour le chauffage, une obligation d’assurer un renouvellement d’air automatique. Mais aucune méthodologie ou mesure technique n’est imposée pour atteindre cet objectif. Notre volonté est de laisser aux planificateurs et aux architectes toute liberté pour atteindre la performance requise. Prenons l’exemple de la ventilation : la plus simple expression d’un système de renouvellement d’air automatique est un système motorisé qui ouvre les fenêtres en imposte à intervalles réguliers ou dès qu’une sonde CO2 ou de mesure d’humidité le commande. Mais les systèmes de ventilation naturelle sont aussi parfaitement recevables. Dans ce cas de figure, il est cependant nécessaire de recourir à des logiciels de simulation à même de prouver que le concept prévu permet de renouveler l’air de manière adéquate. Quant au terme « bioclimatique », honnêtement, j’ignore ce qu’il recouvre exactement. J’aurais tendance à dire qu’il est un peu trop générique, un peu fourre-tout. Chacun peut y voir ce qu’il veut. Nous, nous avons des standards avec des exigences qui sont clairement posées. Cela permet une comparabilité entre les différents bâtiments. À mon avis, ce qui dérange certains professionnels c’est la notion de contrôle qu’il y a derrière. C’est comme un agriculteur qui ferait du bio sans le faire certifier. Peut-être que c’est le cas, peut-être pas, mais si ça l’est, il aura plus de crédibilité avec un label, au même titre qu’un promoteur aura plus de crédibilité si une institution reconnue valide le type de construction qu’il a réalisé. Notre rôle est de créer de la confiance et de la valeur ajoutée pour les propriétaires, et de s’assurer que le cahier des charges a été respecté.
Depuis le début, Minergie a beaucoup mis en valeur la maison individuelle dans sa communication. Ce modèle d’urbanisation, étroitement lié à la voiture individuelle, est de plus en plus décrié car considéré comme une aberration écologique, économique et sociale. Comment vous positionnez-vous par rapport à cela?
Le parti pris de l’association Minergie est de se focaliser sur les exigences constructives. Nous ne faisons pas de politique d’aménagement du territoire, de la même manière que nous n’allons pas prôner la suffisance énergétique en interdisant une piscine dans un bâtiment Minergie. Notre mission consiste à définir des standards de construction et à s’assurer que ceux-ci soient respectés. C’est vrai que la notoriété de Minergie, au départ et jusqu’en 2010, s’est faite essentiellement sur la villa, mais il y a eu un changement très clair depuis 2015. Aujourd’hui, la plus grande part des bâtiments certifiés consiste en des bâtiments d’habitation collective. Nos clients sont des promoteurs, investisseurs, maîtres d’ouvrage publics ou privés, des entreprises totales ou générales qui utilisent notre label pour s’assurer d’un certain niveau de qualité dans l’exécution de leur promotion immobilière. L’image de la villa, si elle a pu forger les imaginaires par le passé, a désormais laissé la place à l’habitat collectif dans lequel, comme dans les villas, on peut aussi ouvrir les fenêtres (rires).
Olivier Meile est directeur romand et adjoint des associations Minergie et CECB.