Les voûtes ca­ta­lanes, dé­fis et pers­pec­tives

Cet été, on lève les voiles

Depuis des années Pittet Artisans réalise des voûtes catalanes, des géométries souples composées à partir de briquettes de terre crue. Sébastien Pittet, un ingénieur civil qui s’est autoformé à cette technique traditionnelle, explique pourquoi il vaut la peine d’injecter de l’innovation pour en poursuivre les principes. 

Date de publication
03-09-2024

Les voûtes catalanes, avec leur charme historique et leur efficacité structurelle, font face à de nombreux défis. Pour continuer à les construire, il est crucial de penser «out of the box». Car s’en tenir strictement aux techniques traditionnelles limite leur application contemporaine à la seule restauration. La clé réside dans l’innovation, mais à condition de de respecter quelques principes fondamentaux.

Quelques écueils…

Parmi les principales difficultés rencontrées aujourd’hui, le manque d’ingénieurs formés en structure spatiale. Le dimensionnement de ces structures, en particulier celles en compression seule comme les voûtes catalanes, nécessite des compétences spécifiques et rares. Beaucoup d’ingénieurs manquent de l’expérience pratique nécessaire et ne comprennent pas toujours parfaitement les techniques. Par exemple, l’interprétation des écrits de Rafael Guastavino1 est souvent erronée, même parmi les chercheurs.

Deuxième écueil, le manque de matériaux adaptés et de main-d’œuvre qualifiée. Or la sélection de matériaux disponibles sur le marché actuel est cruciale pour ce type de construction. De plus, la construction en voûte catalane nécessite une main-d’œuvre qualifiée, qui se raréfie de plus en plus: les compétences des anciens plâtriers, essentielles pour la construction de voûtes catalanes, disparaissent peu à peu.

Enfin, sans innovation ou adaptation, le coût de mise en œuvre de cette technique s’avère plus élevé que les méthodes de construction conventionnelles. Il est donc nécessaire d’injecter de la créativité et de l’innovation pour être concurrentiel. La transmission des savoir-faire se fait principalement par l’apprentissage sur le terrain, auprès de maîtres artisans ou de professionnels expérimentés. La mise en place de programmes de formation spécifiques dans les écoles ou les centres de formation professionnelle est essentielle pour transmettre ces compétences aux nouvelles générations. Pourtant, tout reste à faire : propager un tel enseignement demanderait un gros travail de mise en réseau et d’organisation.

Le cadre réglementaire et l’importance de la formation

En Suisse, chacun est responsable de ses constructions, avec un contrôle externe limité aux litiges ou aux accidents. Cela laisse une certaine liberté d’innover, mais la peur du risque rend les gens très conservateurs. Les normes suisses, similaires aux normes européennes, exigent seulement le contrôle de la résistance à la compression, alors que c’est la stabilité qui est l’enjeu principal – en plus de la maitrise des poussées horizontales. Face à la rareté des ingénieurs spécialisés, certains se forment eux-mêmes, comme cela a été mon cas, afin de pouvoir prendre la responsabilité des projets. Les projets impliquant des ingénieurs externes sont souvent voués à l’échec.

Le plâtre et le ciment offrent des avantages et des défis spécifiques dans la construction des voûtes catalanes. Le montage au plâtre, bien qu’il soit sensible à l’humidité, est très adapté à l’intérieur. Il ne peut être utilisé à l’extérieur sans protection, mais il est résistant et durable. On a tendance à croire que seuls existaient des ouvrages bâtis à la chaux, alors que le plâtre était également utilisé, principalement dans les vallées alpines. Aussi le mélange de plâtre et de chaux n’est jamais considéré, mais il change pourtant radicalement les propriétés du mortier. La rapidité de prise du plâtre est à la fois un avantage et un défi que seuls les anciens plâtriers maîtrisent. Le ciment, en revanche, n’est pas adapté à la première couche sans coffrage en raison de sa lenteur de prise. Toutefois, il peut être utilisé pour ses propriétés de résistance si une attention particulière est portée à la gestion de l’eau et de l’humidité.

Quelles perspectives pour les voûtes catalanes?

De nouvelles techniques et technologies pourraient rendre la voûte catalane plus accessible et attrayante pour les projets contemporains. Par exemple, nous utilisons des billes d’argile expansée, des machines de projection du plâtre et même des lunettes de réalité augmentée, nous évitant plans et guides de pose. Comme ce sont des structures en compression qui ne prennent pas de flexion, l’utilisation de briques en terre crue issue des terres d’excavation du chantier est possible. La voûte catalane s’inscrit également dans une conception durable de la construction, respectueuses de l’environnement, car elle emploie des matériaux locaux qui minimisent l’empreinte carbone, comme le plâtre et les briques en terre crue.

La construction en voûte catalane est souvent méconnue et considérée à tort comme limitée à la zone méditerranéenne. Des études approfondies seraient nécessaires pour mieux comprendre son histoire et son évolution, en examinant notamment les textes arabes. Cette technique traditionnelle offre un terrain fertile pour l’exploration de formes et de structures innovantes dans les projets architecturaux contemporains. Les nouvelles technologies numériques, comme le CAD, la modélisation paramétrique et l’impression 3D numérique, relancent l’intérêt pour cette méthode de construction, tout en favorisant une conscience environnementale accrue.

En conclusion, la revitalisation des voûtes catalanes nécessite une combinaison de respect des techniques traditionnelles, d’innovation, de formation et de sensibilisation, tout en surmontant les défis actuels liés aux matériaux et à la main-d’œuvre.

Au-delà de la voûte catalane, les structures spatiales en coques

Les structures spatiales en coques transcendent les limites des voûtes traditionnelles, telles que la voûte catalane. Ces constructions innovantes utilisent des formes géométriques complexes et des matériaux modernes pour créer des espaces à la fois esthétiques et fonctionnels. Ici, c’est la géométrie qui fait la résistance, et non la hauteur de section comme dans les dalles ou les poutres. Contrairement aux voûtes classiques, qui reposent principalement sur la compression pour leur stabilité, les coques spatiales tirent parti des propriétés de compression et de tension, permettant ainsi des designs plus audacieux et légers. Des coques hyperboliques de Félix Candela aux œuvres de Heinz Isler, de Pier Luigi Nervi ou à la maçonnerie armée de Eladio Dieste, ces structures offrent une grande liberté créative tout en répondant aux exigences de durabilité et d’efficacité énergétique. La difficulté réside dans la mise en œuvre rapide et efficace de ces formes complexes. En exploitant des techniques spécifiques comme le ferro-ciment, la conception 3D et la réalité augmentée, les coques spatiales mènent à une conception de l’architecture où forme, matériaux et fonction se rencontrent harmonieusement pour redéfinir notre interaction avec les espaces construits.

Note

 

1. Rafael Guastavino (1842-1908), architecte espagnol qui a œuvré une grande partie de sa vie aux États-Unis, où il importe un procédé de construction des voûtes catalanes (patente “Guastavino system”), et réalise des voûtes en briques incombustibles dans plusieurs édifices emblématiques, dont la gare de Grand Central Terminal ou encore le Carnegie Hall.

Ce texte est un résumé de la communication donnée au colloque construire en voûte catalane aujourd’hui organisé à l’ENSA Paris-Belleville le 23 mai 2024.

Le procédé constructif avait fait l’objet d’un enseignement par Nicolas André, organisateur du colloque et maître de conférences en TPCAU. Deux séminaires intensifs avaient été organisé aux Grands Ateliers d’Innovation architecturale (GAIA) en juin 2022 et en juin 2023.

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