Matière grise, l’autre pénurie de la construction
Éditorial du numéro de juillet de la revue TRACÉS
La question de la rénovation énergétique des bâtiments occupe une place centrale dans tous les plans climat, à l’échelon tant fédéral que cantonal ou communal. Voilà de quoi réjouir le secteur de la construction: un marché immense, qui pourrait bien jouer le rôle d’un plan de relance post-covid indirect pour la décennie à venir, si les propriétaires veulent bien prendre leurs responsabilités.
Cependant, tenir le cap des engagements climatiques nécessite de mettre un sérieux coup d’accélérateur à ce vaste chantier. Aujourd’hui, le taux de rénovation énergétique est de l’ordre de 1 % par année. Assainir l’ensemble du parc immobilier à l’horizon 2050 implique donc, peu ou prou, de quadrupler ce taux.
Se pose dès lors une question fondamentale: la Suisse dispose-t-elle de suffisamment de main-d’œuvre et de compétences pour répondre immédiatement à cette forte hausse de la demande? Sur le plan quantitatif, la réponse est positive, d’après les organisations patronales que nous avons sollicitées. Les investisseurs ayant des moyens limités, le volume de leurs commandes devrait rester à peu près constant mais se reporter de la construction neuve à la rénovation.
Mais qu’en est-il au niveau qualitatif? Les compétences sont-elles suffisantes et à jour pour inscrire ce vaste chantier dans une perspective de durabilité? De ce côté, la réponse est nettement moins enthousiaste: si on rénove à tour de bras, les projets ne remettent que trop rarement en question les solutions techniques établies et leurs conséquences en termes de filières et de circuits économiques. Un exemple suffit à le démontrer: le polystyrène expansé, pur produit de la pétrochimie, reste toujours le matériau roi des rénovations énergétiques, alors qu’il n’a rien de vertueux en matière de gaz à effet de serre, tant au niveau de sa production que de sa dégradation – sans même aborder la question des déchets plastiques. Des alternatives plus vertes et locales existent pourtant bel et bien. Mais leur mise en œuvre nécessite de dépasser les modèles établis depuis plusieurs décennies, de renoncer à un matériau abondant, bon marché et simple d’utilisation, d’aller au-delà de l’application de solutions toutes faites au profit d’une véritable réflexion sur le projet.
La réussite à long terme de la rénovation énergétique des bâtiments passe donc forcément par une meilleure formation, à tous les niveaux. De celui qui conçoit un projet à celui qui l’exécute, les questions énergétiques doivent devenir l’un des paramètres centraux de la formation dans les domaines du bâti et dépasser les seuls enjeux techniques. Et surtout concerner l’intégralité des acteurs: de l’administration aux entreprises, en passant par les écoles; de l’apprentissage aux études spécialisées et à la formation continue, il est urgent de développer une véritable Baukultur énergétique!