Mo­der­ni­ser la re­pré­sen­ta­tion na­tio­nale

La résidence étudiante de la Fondation suisse à Paris est une réalisation qui matérialise les principales qualités, ainsi que certaines des faiblesses du projet architectural et sociétal de Le Corbusier. Elle est en cela emblématique de sa façon d’envisager la transformation des villes par la modernisation de l’habitat dans la première moitié du 20e siècle.

Date de publication
20-10-2015
Revision
23-12-2015

Au moment de son inauguration en 1933, l’immeuble de quatre étages sur pilotis est le premier bâtiment moderne de la cité universitaire internationale à Paris, ce vaste campus au sud de la capitale, où plusieurs pays réalisent à leurs propres frais, un peu sur le modèle des ambassades, des résidences étudiantes pour leurs ressortissants.

La plupart des pavillons adoptent des styles régionalistes, mêlant avec plus ou moins de succès des techniques de construction modernes et des éléments architecturaux tirés de leur culture constructive nationale. C’est dans cet assemblage hétéroclite de styles et de gabarits que Le Corbusier va réaliser sa première barre d’habitat collectif. La disposition, l’esprit de ruche qui caractérise les cellules d’habitation en font un prélude incontestable à la Cité radieuse. 

La décision de construire le pavillon suisse est prise en 1924. C’est Karl Moser et Ziegfried Giedion qui vont convaincre Le Corbusier d’accepter la commande de Rudolf Fueter, recteur de l’Université de Zurich. Déçu d’avoir été évincé du concours pour le palais de la Société des Nations, à Genève, Le Corbusier refuse puis finalement accepte. L’objectif des commanditaires est de rompre avec les stéréotypes traditionnels sur l’identité suisse au profit d’une image de modernité, de rationalisme et d’ouverture à l’innovation. L’inauguration de la Fondation suisse marque aussi un tournant avec l’adoption quasi systématique d’un langage formel moderne dans la façon dont la Suisse apparaît dans le monde.1

Exemple précoce du projet urbain fonctionnaliste, l’édifice réunit les cinq caractéristiques de l’architecture moderne : l’usage de pilotis, le toit-terrasse, le plan libre, les fenêtres en bandeau et la façade libre. 

Le principe qui régit l’édifice, celui d’une barre autonome dans un parc, orienté plein sud sans égard pour la forme de la parcelle, résume aussi le projet urbain corbuséen. La Fondation suisse est une des premières matérialisations d’une formule qui sera massivement adoptée lors de la reconstruction de l’Europe, après 1945. En cela, elle peut justement être considérée comme un projet avant-gardiste. Elle s’inspire librement des découvertes moscovites de Le Corbusier, et notamment de l’architecture d’Ivan Nikolaev, qui réalise en 1928 une résidence étudiante sur un modèle similaire. Au principe d’empilement répétitif et monotone du constructeur moscovite, Le Corbusier substitue son propre questionnement sur la cellule vitale minimale, la sobriété monastique et les joies de l’architecture nécessaires pour la rendre supportable. Le contexte se prête admirablement à ce genre d’expérience. Les 42 chambres absolument identiques font preuve d’un confort inhabituel pour les années 1930. Elles sont les seules du campus à proposer des douches individuelles. Quant au mobilier conçu par Charlotte Perriand, il témoigne déjà des grandes lignes qui vont caractériser sa contribution à l’unité d’habitation : des formes simples, des éléments encastrés et plus généralement un grand respect de la fonction. 

L’article dans le Bulletin technique de la Suisse romande est publié moins d’un an après l’inauguration de l’édifice. S’il occulte quelque peu les questions de typologie architecturale, ainsi que les enjeux urbains inhérents au projet, il détaille avec enthousiasme ses particularités techniques. Les fondations sur d’anciennes carrières et les questions d’isolation thermique et phonique sont abondamment traitées. Par sa création, la fondation suisse marque aussi le début d’un renouvellement de l’identité architecturale du campus parisien, qui va devenir progressivement un lieu d’expérimentation architectural: peu de temps après, Dudok inaugure le collège néerlandais, dans un style qui se veut à la hauteur des aspiration modernistes du pays. Dans la seconde moitié du 20e siècle, Lucio Costa ou encore Claude Parent vont venir compléter le patchwork. Dans sa biographie, l’architecte structuraliste hollandais Herman Herzberger raconte comment, à 14 ans, la découverte de cet édifice déclencha chez lui sa vocation d’architecte. Il ne doit certainement pas être le seul.

 

Note

1 Jacques Gabler, Nationalisme et internationalisme dans l’architecture moderne de la Suisse, Lausanne, L’Age d’Homme, 1975, p. 223.

Joël TettamantiJoël Tettamanti, né en 1977 au Cameroun, a grandi dans le Jura suisse et s’est formé à la fin des années 1990 en photographie et communication visuelle à l’Ecole cantonale d’art de Lausanne. Parcourant les quatre coins du globe, sans se documenter au préalable sur son lieu de destination et sans suivre de programme strict, il décortique le réel au travers d’errances et de rencontres fortuites, à l’instinct. Pour tenter de capter l’identité d’un lieu, paysage naturel ou urbain, à travers le prisme de références personnelles, Joël Tettamanti travaille avec des négatifs couleurs et à la chambre grand format sur trépied.
Dans ses clichés, pris de jour comme de nuit, mettant en scène des habitations, des zones frontières, des aires glacières ou désertiques, parfois des hommes, l’aspect formel est essentiel. Il parvient à se saisir de contrastes forts de formes et de couleurs, à capturer une lumière éthérée. Puis Joël Tettamanti numérise ses images en haute résolution, leur donnant encore une autre tonalité.
Son travail a notamment été exposé à la Fondation suisse pour la photographie, à Winterthour, au Kunsthaus de Zurich et à l’Espace lausannois d’art contemporain. Joël Tettamanti a été lauréat de la bourse de la Fondation Leenaards en 2005 et des Prix suisses de design en 2003 et 2015. Il contribue avec différentes revues, notamment Wallpaper et The New York Times Magazine. Un premier livre consacré à son travail, Joël Tettamanti – Local Studies, a été publié en 2007. Le dernier, Joël Tettamanti. Works 2001–2019, est paru l’année dernière. 
La série d’images qui marque les 140 ans de TRACéS a été réalisée durant l’été 2015. Joël Tettamanti a eu carte blanche pour revisiter les six projets tirés des archives de la revue. www.tettamanti.ch

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