Ni Fast, ni Furious: vers un nouveau contrat spatial
Ces dernières semaines, les annonces des collectivités publiques concernant la mise en œuvre du 30 km/h sur certains grands axes et zones résidentielles se sont multipliées. Motif invoqué: lutter contre les nuisances sonores. Ainsi, Zurich, Neuchâtel, Fribourg, Genève, Lausanne et Sion se mettent au rythme de Bruxelles et Paris. Cette série d’initiatives portées par les villes helvétiques est à l’évidence une bonne nouvelle. Elle permettra d’encourager le report modal: adieu l’idéologie moderniste du «tout-automobile»!
En Suisse, le passage à 30 km/h dans les centres entraîne une nouvelle pondération en faveur des transports publics1 et de la mobilité active en matière de partage de la chaussée. Un effet que le projet de loi sur les voies cyclables – qui a passé la rampe du Conseil des États lors de la dernière session parlementaire – ne fait que renforcer.
Derrière ces démarches politiques, qui pourraient sembler isolées, se dégage une vision globale: repenser la place des piéton·ne·s dans les centres colonisés par la voiture individuelle. Ainsi, le véritable impact de ces changements touche l’aménagement urbain. Aujourd’hui, la limitation du 30 km/h s’applique au flux; mais nous aurions tout intérêt à porter la réflexion sur l’espace. Autoriser la conception d’une ville où chaque mode de déplacement n’est pas assigné à une bande de circulation encadrée par deux lignes, c’est favoriser la qualité spatiale.
Comment faire face, dans un espace limité, aux contraintes que font peser les changements climatiques et les perspectives de pénurie énergétique sur les politiques de mobilité? Comment gérer l’évolution des usages, alors que la popularité du vélo électrique et de la micromobilité est en plein boum2? En donnant la priorité aux piéton·ne·s? Cet été, les autorités communales de Neuchâtel et de Winterthour ont décidé d’interdire la pratique du vélo au centre-ville. En hybridant ces usages? Le Conseil fédéral a adopté en début d’année la révision des ordonnances sur les règles de la circulation routière, qui autorise les enfants jusqu’à douze ans à rouler à vélo sur le trottoir en l’absence de piste ou de bande cyclable. Rappelons-nous qu’il y a une vingtaine d’années déjà, en 2002, Bienne a créé une zone de rencontre sur son carrefour le plus important, la Place Centrale, où les piéton·ne·s ont la priorité. Celle-ci est fréquentée chaque jour par pas moins de 10 000 véhicules, 5000 vélos, 1200 bus et 6000 personnes.
Dans les deux cas, ralentir, c’est aller à la rencontre du mode de déplacement le plus lent: la marche. Comme nous y invite la géographe Sonia Lavadinho, spécialisée en sociologie et anthropologie urbaines, questionnons la teneur en marchabilité de nos espaces publics contemporains3. La voiture n’est à l’origine qu’un outil de locomotion; elle est devenue l’étalon de mesure de nos villes. Il est grand temps que ce soit à nouveau le pied et non la roue qui dicte l’échelle: rendons la ville au vivant!
Notes
1 D’après une étude du bureau Citec, mandaté par l’Union des transports publics (UTP), la part modale des transports publics en Suisse s’élève à 28% des distances quotidiennes parcourues (juin 2021). Dans cette étude, 38 mesures pour augmenter la part modale des transports publics ont été identifiées. Moyennant la mise en œuvre des principales mesures, cette part devrait monter, à moyen-long terme, à 40%.
2 Selon un communiqué de Vélo Suisse (août 2021), la période pandémique a permis au vélo de gagner en popularité, aussi bien comme sport de loisirs que pour la mobilité quotidienne. Son usage s’est accru au premier semestre 2021; les importations d’e-bike ayant grimpé de 16,5 %, celles du vélo d’un peu moins de 9%.
3 Sonia Lavadinho, «Quels espaces publics pour accueillir le nouveau marcheur?», in: Sabine Chardonnet Darmaillacq, Le génie de la marche. Poétique, savoirs et politique des corps mobiles, Paris, Hermann, 2016