Place à l’urbanisme des courtes distances
Entretien à Gilles Chomat
Depuis bientôt trois ans, nous suivons de près la quatrième génération des «projets-modèles pour un développement territorial durable 2020-2024» soutenus par la confédération. Dans la cinquième lettre d’information publiée cette semaine par l’Office fédéral du développement territorial (ARE), Gilles Chomat, collaborateur scientifique de l’équipe Mobilité, livre ses impressions sur l’axe thématique dont il est le responsable : «l’urbanisation qui favorise les courtes distances, l’activité physique et les rencontres». En Romandie, l’Arc jurassien, Yverdon-les-Bains et Milvignes sont porteurs de projets exemplaires en la matière.
Interview de Gilles Chomat, collaborateur scientifique de l’équipe Mobilité à l’Office fédéral du développement territorial ARE et responsable de l’axe thématique «Urbanisation qui favorise les courtes distances, l’activité physique et les rencontres» - Issue de la newsletter #5 / 03 /2023 publiée par l'ARE le 20 mars 2023
ARE: Pourquoi est-il important de favoriser la proximité, l’activité physique et les rencontres dans les zones urbaines ?
Gilles Chomat : Pour plusieurs raisons. En Suisse, la mobilité ne cesse de croître et cela se répercute sur notre environnement et notre santé. Aujourd’hui, nous nous déplaçons de plus en plus, entre autres parce que les espaces dans lesquels nous bougeons, travaillons ou passons notre temps libre sont séparés les uns des autres. C’est pourquoi il est important de promouvoir des zones urbaines qui regroupent toutes nos activités dans un espace restreint. Lorsque tout est proche, il est plus facile de se déplacer à vélo ou à pied. Nous savons de plus qu’il est primordial pour le développement de nos enfants et de nos adolescents qu’ils puissent bouger, jouer et faire du sport près de chez eux. Les habitants en phase avec leur environnement sont plus à même de profiter des offres et des services locaux, d’entretenir les liens sociaux et d’en créer de nouveaux. C’est important pour la cohésion du quartier. Des études montrent que l’activité sportive et les rencontres ont un effet positif sur la santé physique et mentale. Les zones urbaines qui réduisent les distances et qui offrent de beaux espaces pour faire du sport et pour se ressourcer y contribuent substantiellement.
Ces aspects ne devraient-ils pas aller de soi en matière de développement urbain? Quelles difficultés existent dans les faits?
Des initiatives dans le sens de la « ville de proximité » ou, comme à Paris, de la « ville du quart d’heure » existent depuis longtemps. La mise en place n’est toutefois pas si simple : elle touche à beaucoup de domaines différents. Un tel projet nécessite une planification interdisciplinaire, orientée vers les synergies et la dissolution des conflits d’intérêts. En outre, les personnes concernées par la planification doivent être impliquées tout au long du processus, d’autant plus que ces projets concernent bien souvent des zones déjà habitées. C’est donc avec les structures urbaines existantes et ceux qui y vivent qu’il faut composer pour que les résultats correspondent aux besoins. De cette façon, la population s’identifie aussi davantage au projet et en porte la responsabilité.
"Projets-modèles pour un développement territorial durable 2020-2024"
Dossier spécial: La Suisse romande à la conquête du développement territorial durable
À première vue, les projets-modèles de l’axe thématique en question semblent très hétéroclites. Quelle est leur caractéristique commune? Comment chacun d’eux contribue-t-il aux objectifs de la thématique?
La diversité des huit projets liés à cet axe thématique est très féconde, car elle confronte différents points de vue au sein de la discussion. Deux de ces projets abordent les quartiers dans leur ensemble: À Kloten, il s’agit d’un quartier qui existe déjà, et à Riehen il s’agit d’un quartier en cours de création. Les projets concernant la région de Frauenfeld, Terre di Pedemonte, Zurich et Berne se concentrent sur le potentiel des chemins et des espaces routiers pour créer des espaces piétons et cyclistes, ainsi que pour en faire des zones de rencontre. À Yverdon-les-Bains, il s’agit de créer des espaces verts de proximité et de revaloriser les espaces publics. Les autres projets explorent des alternatives à la conduite automobile : le projet de Milvignes est axé sur le changement des habitudes de transport des habitants, et le projet de l’Arc jurassien examine différentes approches pour donner un nouvel élan à l’économie locale grâce à une mobilité plus durable. Il aborde également des questions de logistique urbaine.
Existe-t-il déjà des résultats qu’il vous semble particulièrement important de relever?
Les huit projets partagent beaucoup de points communs : premièrement, la mobilité active, et avant tout des liaisons sûres et attrayantes, est au centre de chacun d’eux. Ensuite, ils attachent tous de l’importance à ce que l’aménagement de l’espace public soit de grande qualité. Autre point commun : la participation des personnes concernées. Cela étant dit, les projets adoptent des approches différentes, ce qui a l’avantage de nous permettre de savoir quelle méthode convient le mieux à un certain groupe cible ou à un certain contexte. Nous avons observé que la participation est beaucoup plus élevée lorsque le projet est concret. Les projets qui mettent en réseau des villes et des communes, permettant ainsi de comparer les expériences, sont particulièrement fructueux. Tous les projets sont également tenus d’impliquer la population au-delà de l’horizon temporel des projets-modèles et d’établir fermement cette implication dans le processus de planification.
Gros Plan sur :
Les piétons jouent un rôle important dans le développement urbain
Dans le débat public, la promotion de l’activité physique va souvent de pair avec la question du vélo. Mais selon Jenny Leuba, responsable du projet « Mobilité piétonne Suisse », la marche jouerait un rôle plus important dans le bien-être de la population, notamment parce que ce mode de déplacement est accessible au plus grand nombre. La démocratisation de la marche dépendrait de l’aménagement des espaces publics : il faudrait par exemple qu’il y ait plus d’arbres et de mobilier urbain pour que les piétons puissent se reposer, comme l’explique Jenny Leuba dans une interview pour le magazine spectra, édité par l’Office fédéral de la santé publique.
Le projet-modèle de la région de Frauenfeld est d’ailleurs dédié à la mobilité piétonne. Les responsables du projet recueillent le savoir endogène sur les sentiers et les chemins de traverse dans un des quartiers de Frauenfeld et dans deux autres communes. L’objectif est de réhabiliter les sentiers, de mieux les relier entre eux et, ce faisant, d’identifier les endroits où ils sont mal connectés, ainsi que les obstacles qui empêchent le passage. Un rapport de mi-parcours succinct, présentant les conclusions des premières enquêtes, est disponible.
Zones de rencontre à Zurich et à Berne
Des zones de rencontre existent dans de nombreuses villes suisses. La vitesse y est limitée à 20 km/h et les piétons ont la priorité. Toutefois, l’aménagement de ces zones se limite souvent à la signalisation et à de modestes mesures de construction. Un grand potentiel reste ainsi inexploité, affirment les responsables du projet-modèle dans « Mouvement, rencontre et animation », un podcast du magazine spectra, dirigé par l’Office fédéral de la santé publique, et dans un court-métrage réalisé par « Mobilité piétonne Suisse ».
En collaboration avec les habitants, les responsables du projet « Mobilité piétonne Suisse » et de l’Association faîtière suisse pour l’animation enfance et jeunesse en milieu ouvert aménagent actuellement deux zones de rencontre temporaires à Zurich et à Berne. En effet, malgré les mesures de modération du trafic , les habitants ne s’approprient que trop peu l’espace devant chez eux. Dans le podcast et dans le court-métrage, les responsables du projet montrent comment de simples moyens permettent d’améliorer la qualité de vie au quotidien dans les rues et, par ailleurs, quel lien tout cela entretient avec la promotion de la santé. Outre la démarche participative, le processus collaboratif interdisciplinaire (planification des transports, aménagement de l’espace public, aspects socioculturels...) est particulièrement innovant dans ce projet-modèle.
Pour plus d'informations: Projets-modèles 2020-2024