«Plus encore que les projets pilotes sur le béton durable, c’est l’adoption à large échelle qui compte»
Simone Stürwald est professeure en construction durable à la Haute école spécialisée de la Suisse orientale (OST). Dans cet entretien, elle explique le potentiel offert par le béton durable et pourquoi la hausse des coûts par mètre cube de béton est une bonne chose.
SIA: Madame Stürwald, quand on entend «béton», on pense presque toujours à des paysages de murs gris. Pourquoi avoir choisi ce matériau comme sujet de recherche?
Simone Stürwald: Avant de me lancer dans la conception de matériaux de construction, j’ai travaillé comme ingénieure en structure. C’est un peu le hasard qui m’a menée vers les matériaux, lorsque j’ai pris la direction du centre d’essai des matériaux de construction à l’OST. Depuis, je consacre mon temps à la recherche sur de nouveaux mélanges de béton durable – un matériau de construction utilisé dans le bâtiment, les projets d’infrastructure et la construction de ponts et de tunnels.
Qu’entend-on par béton durable?
On peut envisager la durabilité dans son ensemble ou par le prisme des aspects écologiques. Dans la recherche sur les matériaux de construction, nous nous concentrons sur les critères écologiques, tels que la préservation des ressources, l’économie circulaire et la réduction des émissions de CO2 lors de la fabrication.
La production de ciment serait responsable de près de 8 % des émissions de CO2 d’origine humaine dans le monde. Pourquoi ne pas simplement réduire la part du ciment?
C’est ce que nous faisons déjà. Mais nous ne pouvons pas aller en deçà d’une certaine limite, car nous avons besoin du ciment comme liant pour assurer l’intégrité structurelle. Aux premiers temps de la construction en béton, la part du ciment était plus faible, pour des raisons de coût. Mais compte tenu des défauts qui ont affecté le béton dans les années soixante-dix, on est revenu par la suite à des quantités de ciment plus élevées.
Vous menez des recherches sur le béton Klark. De quoi s’agit-il exactement?
Le béton Klark compense le CO2 rejeté lors de la production grâce à l’ajout de charbon végétal, autrement dit de carbone biogène. Il est donc climatiquement neutre. Le béton Klark a été mis au point pour et avec Logbau AG, un fabricant de béton des Grisons qui voulait intégrer au matériau de construction du charbon végétal de production locale. Notre haute école spécialisée, de son côté, conduit des programmes de recherche appliquée et contribue à rendre cette innovation commercialisable.
Le béton Klark peut-il être utilisé dans le génie civil?
En l’état actuel des choses et compte tenu de ses caractéristiques, le béton Klark est moins adapté aux exigences particulièrement élevées du génie civil. Mais nous travaillons actuellement à en améliorer la durabilité vis-à-vis des influences exogènes, telles que les sels de déverglaçage. Dans le secteur du bâtiment, qui représente plus de 70% du béton consommé en volume, le béton Klark est d’ores et déjà utilisable et peut apporter une contribution significative à la réduction des émissions de CO2.
La forte consommation de béton en Suisse pourrait nécessiter d’énormes quantités de charbon végétal, et donc de bois. N’a-t-on pas là un exemple de greenwashing ?
Ce n’est pas comme cela que je vois les choses. Selon les directives du European Biochar Certificate (EBC)1, le charbon végétal utilisé pour le béton doit provenir de résidus de bois ou de plantes, comme les cendres issues des centrales de cogénération régionales. S’ils ne servaient pas au béton, ces «déchets» seraient tout simplement jetés. Mais il faut garder à l’esprit le fait que le béton est le deuxième matériau le plus utilisé après l’eau. La Suisse produit chaque année près de 15 millions de mètres cubes de béton. Nous devons donc en contrôler l’usage. Et en complément, la compensation des émissions de CO2 reste une solution de transition judicieuse.
Comment jugez-vous la carbonatation du béton, qui permet de fixer chimiquement le CO2 et donc de le stocker durablement?
Cette méthode convient pour le béton ancien et opère principalement en surface. Elle est moins recherchée pour les structures en béton armé existantes, dans la mesure où la carbonatation réduit la protection contre la corrosion et donc la durée de vie de la construction. Sans compter le fait qu’un mélange de béton avec des granulats de béton recyclé nécessite plus de ciment, ce qui limite en fin de compte les économies de CO2. La carbonatation permet de réduire le CO2 d’environ cinq à dix pour cent par mètre cube de béton recyclé. Par conséquent, elle recèle un potentiel limité.
Y a-t-il d’autres approches prometteuses pour un béton plus durable?
L’abandon à venir de la quantité minimale de ciment dans l’arsenal normatif a ouvert la voie au développement de formulations différentes. Dans le cadre strict de la réglementation régissant les constituants du béton, il est désormais possible de certifier les additifs disponibles au niveau régional. Cela permet de favoriser les circuits fermés.
Quel rôle joue le numérique dans la conception de nouvelles formules de béton?
Nous travaillons actuellement au développement d’un outil baptisé OptimiX en partenariat avec un fournisseur de logiciels de commande. L’apprentissage machine permet aux fabricants de béton de mieux maîtriser les nombreux paramètres qui influent sur le béton et de développer des formules contenant moins de ciment. Le déploiement de cet outil devrait, selon nous, permettre des économies de ciment d’au moins vingt pour cent.
Même dans une version plus durable, le béton n’est-il pas condamné à disparaître?
Plutôt que de viser certains matériaux de construction en particulier, nous devons élargir notre réflexion, car il ne s’agit pas seulement de savoir quels matériaux sont plus ou moins durables. En effet, il est tout aussi important de disposer de structures porteuses efficaces et adaptées aux matériaux, avec un impact environnemental moindre par unité d’utilisation. C’est ce qui m’a incitée à créer le groupe de travail SIA « Structures porteuses durables ». Celui-ci développe des approches pour des structures porteuses durables, tous matériaux confondus, et prépare des lignes directrices SIA sur le sujet. Au bout du compte, nous avons besoin de processus de planification et de conception globaux qui intègrent la question de la durabilité le plus en amont possible.
Quel est le coût du béton durable?
D’un côté, en diminuant la quantité de ciment, on réduit les coûts. De l’autre, les adjuvants chimiques et les contraintes plus élevées pour la préparation des mélanges de béton entraînent des coûts supplémentaires. En outre, le béton durable doit rester plus longtemps dans le coffrage, ce qui entraîne un allongement des délais. Tout cela se traduit par une facture finale plus élevée, ce qui n’est pas une mauvaise chose. En effet, nous devons cesser d’envisager le béton comme un produit de masse. Je préfère que nous ayons une solution technique de qualité, qui soit durable et qui fonctionne bien. Nous devrions limiter l’usage du béton aux applications où les autres matériaux ne sont pas aussi performants. Je m’attends à de légers surcoûts pour les matériaux. En revanche, le volet de la construction recèle un potentiel d’économies, à la condition de faire l’objet d’une planification judicieuse.
Quelle est la prochaine étape pour le béton durable?
La recherche fondamentale est importante, mais on ne peut pas tout miser sur les projets pilotes. Il faut généraliser l’adoption de solutions durables dans le secteur de la construction et c’est ce à quoi nous travaillons. C’est en effet le seul moyen de réduire les émissions de CO2 de manière significative.
Pour écrire aux auteur·trices: Christer Joho, spécialiste Communication et affaires publiques à la SIA, christer.joho [at] sia.ch (christer[dot]joho[at]sia[dot]ch) et Hana Buterin, stagiaire Communication à la SIA, hana.buterin [at] sia.ch (hana[dot]buterin[at]sia[dot]ch)
Note
1. Le certificat européen pour le charbon végétal (EBC) a été mis au point depuis 2010 sous la direction de l’Institut Ithaka avant de devenir une norme industrielle volontaire.