Redécouvrir Jacques Simon, agitateur du paysage
Paysagiste, dessinateur, photographe, éditeur, artiste, les auteurs du dernier numéro des Carnets du paysage révèlent les multiples facettes de Jacques Simon (1929-2015), figure atypique du monde du paysage qui fut l’un des principaux animateurs du renouveau de la pensée et de la pratique paysagères en France depuis les années 1950.
Après des études aux Beaux-Arts de Montréal et à l’École nationale supérieure d’horticulture de Versailles, Jacques Simon, fils de pépiniériste forestier, fait ses premières armes avec les grands chantiers de la reconstruction, dans les ZUP, à Reims, à Provins. Sa pratique, déjà, est atypique: il travaille sans plans ni coupes, mais avec des croquis qui décrivent des ambiances, des parcours entre les nouveaux immeubles, et intervient parfois directement sur site avec des engins de chantier, sans dessin préparatoire. À la recherche du geste simple, radical et efficace, qui installe tout de suite un nouveau paysage, il mène des chantiers éclair, avec peu de moyens, utilisant les terres excavées des bâtiments et des voiries, terrassées en monticules, revêtues d’une peau de terre végétale enherbée puis plantées.
Sa connaissance et son goût des arbres, son attention aux climats, aux sols, aux ressources, aux techniques de plantations, Jacques Simon les diffuse dans des ouvrages (Mes arbres d’ornement, 1958, L’art de connaître les arbres, 1964) et les exploite dans ses projets. Il plante «dense, monospécifique, jeune et tordu pour former des masses végétales en quelques années, suffisamment charpentées pour rivaliser avec le cadre bâti massif avec lequel elles doivent composer» (Denis Delbaere). Il conçoit également lui-même les mobiliers, les aires de jeux pour les enfants.
Militant, soucieux de partager ses connaissances, d’informer les professionnels et de mettre en lien les entreprises, les maîtres d’ouvrage, les habitants et les concepteurs, Jacques Simon envisage le paysage comme une question citoyenne, un sujet de société qui doit être débattu avec le grand public. C’est par le biais de son activité éditoriale qu’il trouve à diffuser ses idées, ses outils et ses positions critiques dans des formats et selon des codes qui empruntent à la contre-culture de l’époque: dessins, collages, photographies commentées, bulles, photomontages. Il tient d’abord, dès la sortie de ses études en 1960, la rubrique «espaces verts» de la revue Urbanisme, puis prend la direction de la revue Espaces verts, qui sera plus tard dotée d’un supplément sous forme de chemise A4 paysage contenant une cinquantaine de feuillets non reliés: «Aménagement des espaces libres». Vingt numéros de cet objet singulier, de ce «bricolage éditorial» (Isabelle Jégo) paraîtront entre 1975 et 1983. Simon y aborde différents sujets: «Paysages et loisirs», «Jardins privés et lotissements», «Espaces et jeux» ou «Clôtures» de manière didactique et critique. Produits artisanalement, ses fascicules, comme ses projets de paysage, visent la plus grande efficacité avec le minimum de moyens.
Son activité d’édition n’est pas plus dissociable de sa pratique de concepteur que son approche artistique. À partir des années 1970, et de manière quasi exclusive à partir des années 1990, Jacques Simon se tournera vers ce qu’il appelle l’«articulture», dessinant dans les champs avec des tracteurs, des moissonneuses batteuses, à la manière du land art. Inventif, libre et imprévisible, Jacques Simon laisse une œuvre et une pensée particulièrement stimulantes pour notre époque austère et normative.
Actes Sud, École nationale supérieure du paysage, printemps 2021.