Sources d’uto­pie

Un an après l’exposition autour des architectes Lucien & Simone Kroll, le lieu unique à Nantes présente l’exposition Théâtres en utopie  – Un parcours d’architectures visionnaires. Pensée comme un grand récit scénographié, elle est consacrée aux plus beaux projets de théâtres utopiques imaginés par les avant-gardes du 20e siècle. Partenaire de l’exposition, Tracés a conçu un hors-série qui est distribué aux visiteurs, pendant toute la durée de l’exposition. Cet article en est tiré

Date de publication
19-11-2014
Revision
25-10-2015

Il plane de tout temps au-dessus des architectes le soupçon qu’ils ne s’intéressent au théâtre qu’en raison de son programme libre, prestigieux et hautement symbolique, ignorant de ce fait les difficultés bien réelles à répondre aux besoins complexes de la création dramatique. Cette crainte est parfois justifiée, surtout lorsque les concepteurs se prennent tellement au jeu de théâtraliser l’édifice, que leur projet en vient à se substituer à la théâtralité qu’il est censé contenir. S’arrêter à ce type d’excès serait toutefois ignorer la faculté des architectes à se saisir de la question ancestrale de l’espace théâtral, à l’actualiser par une position souvent experte, voire à élaborer un projet de manière étroite avec des personnalités du théâtre.
Si l’histoire des lieux scéniques est généralement présentée comme une lente transformation de types et une dialectique complexe avec les pratiques théâtrales depuis l’Antiquité, force est de constater à quel point les architectes spéculent régulièrement sur ce programme, notamment dans les périodes de rupture et de crise où fleurissent les projets de papier. Dans les pages qui suivent, l’hypothèse d’une histoire de ces « théâtres en utopie », spécifique et parallèle, est avancée et discutée de plusieurs manières : la valeur, la portée ou la dimension critique des projets utopiques et leur action sur le réel ; les implications politiques et idéologiques décelables dans les formes même des configurations « scène-salle » ; ou encore le rôle de l’architecture théâtrale dans la constitution du symbolique et du collectif aujourd’hui.
Quelques pistes en somme pour envisager l’utopie sous l’angle très particulier de ces machines à rêver, dont la multitude de formes et d’usages suggérés, à défaut de pouvoir s’éprouver, révèle en creux ce qui résiste des composantes de l’espace spectaculaire, ses manipulations possibles et la nature de ses limites.

Yann Rocher est architecte et coresponsable du département Art Architecture Politique de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture Paris-Malaquais.

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