Tsuyoshi Tane: créer l’avenir à partir de vestiges
Outre Sarine, le Musée suisse d’architecture (S AM) présente une monographie de Tsuyoshi Tane, l’un des jeunes loups de la scène architecturale japonaise contemporaine. Sa démarche de travail, une «archéologie du futur», est pour la première fois exposée en Europe.
Une exposition consacrée à un architecte japonais a lieu jusqu’à fin février à Bâle. Un fait, qui, par la nature même de sa rareté, mérite que l’on s’y attarde…
Établir une biographie de l’espace
À 41 ans, Tsuyoshi Tane, à la tête de l’ATTA (Atelier Tsuyoshi Tane Architects, Paris) comptant quelque 40 collaborateurs, est identifié par l’Architectural Design Association of Nippon (ADAN) comme l’une des figures de proue de la relève architecturale japonaise. Celui qui s’efforce de «créer une architecture que personne n’a jamais vue, expérimentée ou encore imaginée» propose de subordonner la phase de conception à celle de la recherche des souvenirs de traces d’activité humaine incrustés dans un lieu, faisant de la mémoire « une force motrice pour créer l’architecture du futur », écrit-il dans son manifeste.
Chacun de ses chantiers débute par une étape de collecte des mémoires enfouies d’un site, qui permettront de rendre intelligible la biographie de l’espace. La monographie des 1500 objets collectés par Tane et à découvrir au S AM se présente sous la forme d’un parcours scénographique, en miroir à la méthode de travail que l’architecte poursuit dans son projet : explorer comment l’architecture, à partir du passé, contribue à créer le futur. « Il travaille avec des images/références historiques et des objets « archéologiques » que lui et son équipe collectent dans le cadre de projets en cours de développement, déclare Andreas Kofler, curateur au S AM. Ainsi, dans les deux salles principales de l’exposition, environ 1000 images sont accrochées sur les murs et 500 objets (maquettes de travail, « souvenirs » de visites de sites, etc.) sont entreposés. Pourtant, ceux-ci n’appartiennent «qu’à» 13 projets. Cela souligne la manière dont le concept final de chacun de ses projets est issu d’une sorte de processus de distillation, où l’apport du passé est filtré, connecté, interprété… avant d’être traduit en un projet pour l’avenir.»
Une méthode contextuellement et pragmatiquement située
Pour mieux comprendre la démarche de Tsuyoshi Tane, examinons la réalisation emblématique ayant façonné sa réputation internationale: le Musée national estonien à Tartu (2006-2016), un complexe longitudinal de 34 000 m2 abritant une collection de 140 000 objets. C’est en 2006, alors qu’il était âgé d’une vingtaine d’années, que l’architecte a remporté, au sein du collectif parisien Dorell.Ghotmeh.Tane (DGT), le concours organisé par le Ministère estonien de la Culture. À elle seule, la proposition «Memory Field» du trio résumait déjà la méthode de travail de l’architecte japonais.
En quoi cette proposition se distinguait-t-elle? Par son audace, d’abord: celle d’avoir défié de manière habile et poétique le cahier des charges du concours. Plutôt que de situer le bâtiment sur le site envisagé, Tsuyoshi Tane et ses acolytes l’assignent à l’emplacement d’une ancienne base militaire soviétique attenante, servant d’aérodrome. D’après eux, le nouveau musée doit jouer un rôle fondamental dans la résilience urbaine de la région et la reconstruction d’une identité nationale, à travers la réhabilitation d’un lieu empreint d’une histoire douloureuse, entre invasions successives et dictature communiste. C’est donc dans cette perspective qu’ils réinvestissent, à la manière d’un continuum à l’histoire du site, les ruines de l’ancien aéroport, tout en proposant un édifice dont la toiture part du sol et évoque le décollage progressif d’un avion sur une piste, pour se prolonger librement dans les airs.
Le rôle de l’architecture dans l’arbitrage entre passé et futur est la question que convoque Tsuyoshi Tane tout au long de son travail d’histoire mémorielle. Partant du constat que, dans la pratique architecturale contemporaine, l’histoire d’un lieu sombre bien souvent dans l’oubli au profit d’un nouveau concept, faisant tabula rasa du passé, son approche, à la fois sensible et pragmatique, constitue un plaidoyer en faveur d’une «Archéologie du futur».
TSUYOSHI TANE: ARCHAEOLOGY OF THE FUTURE
Exposition – jusqu’au 28.02.2021