Une agglomération celtique du 2e siècle avant J.-C. sur le tracé de la RC 177
En 2007, à l’occasion de l’étude d’impact sur l’environnement de la future RC 177, l’Archéologie cantonale vaudoise a demandé une campagne de sondages préalables sur ce nouveau tracé. Légalement, il s’agissait de vérifier que les importants travaux projetés ne portaient pas atteinte à des vestiges archéologiques répondant à l’article 46 de la loi sur la protection de la nature, des monuments et des sites (LPNMS).
Lors de ces travaux, les archéologues découvrent les premiers témoignages d’une importante occupation humaine établie à proximité immédiate de la Venoge, sur la commune de Vufflens-la-Ville. Ce site n’était alors pas encore répertorié sur la carte archéologique cantonale. La réalisation de la RC 177 allait devoir obligatoirement passer par une étape de fouilles archéologiques préventives sur près de 450 mètres linéaires, soit une surface de plus de 8000 m2.
Deux ans plus tard, une campagne de sondages complémentaires est effectuée afin de déterminer la complexité du site et ainsi préciser la durée et les coûts nécessaires à l’indispensable opération de fouilles. Les résultats sont impressionnants : cinq occupations successives, associées à un mobilier riche et abondant, sont identifiées.
Il faudra encore sept ans de patience aux archéologues avant de connaître la nature précise de cette occupation. Les premiers coups de pelle mécanique sont donnés fin avril 2015 : la fouille, prévue sur 13 mois, démarre. Ce seront finalement 15 mois en continu, en respectant malgré tout le budget initial pour la phase de terrain, de l’ordre de 3,7 millions, ainsi que les délais impartis par la réalisation de la RC 177.
Après la fouille : les inventaires
La fouille s’achève fin juillet 2016, mais le travail des archéologues est loin d’être terminé. Dans un premier temps, il s’agit d’inventorier, trier, classer toute la documentation issue des fouilles : pas moins de 1200 dessins, 1500 structures, 10 000 photos et 4000 fiches de terrain à coordonner entre elles. Le mobilier récolté est quant à lui répertorié, comptabilisé, pesé, ce qui représente plus de 60 caisses de céramique, 60 caisses d’os d’animaux, environ 3000 objets métalliques (fer, bronze) et 152 monnaies, sans compter les nombreux échantillons prélevés pour des analyses ultérieures (sédimentologie, datation par radio-carbone, paléo-botanique, etc.). Ce bilan général des produits issus de la fouille est indispensable et indissociable de l’opération de terrain. Il permet non seulement l’archivage des documents constituant désormais la mémoire d’un site archéologique détruit par la fouille, mais encore l’entrée de tous les objets récoltés dans les dépôts du Musée cantonal d’archéologie et d’histoire (MCAH). Cette étape conduira à la limite du crédit accordé par le Grand Conseil pour la réalisation de cette opération archéologique, soit 4,5 millions.
Un long chemin vers des résultats et des publications
Les premiers constats de ces fouilles, avant études et analyses approfondies pour des publications tant scientifiques et spécialisées que destinées à tout un chacun, mettent déjà en lumière le développement sur les bords de la Venoge d’une véritable agglomération occupée durant quatre générations, entre environ 175 et 100 avant J.-C. Il s’agit d’une ville ouverte – elle n’est pas fortifiée – organisée en six quartiers au moins. On y accède par une voie en graviers damés large de six mètres. Deux secteurs sont dévolus respectivement à l’artisanat du métal et à la production de vaisselle en céramique que cinq fours de potiers ont servi à cuire. Deux aires funéraires distinctes recèlent l’une des tombes à inhumations, l’autre des sépultures à incinérations. Enfin, deux zones sont destinées à de l’habitat organisé en terrasses. Ici les bâtiments en terre crue sont construits sur une ossature en bois (poteaux et sablières basses), parfois établie sur des solins de pierres sèches. Les sols des habitations sont généralement en terre battue ; ils comportent un foyer central constitué d’un lit de galets recouvert d’une chape d’argile. Les niveaux de circulations extérieurs sont le plus souvent en galets damés.
Les objets en métal suggèrent la production sur ce site de biens de prestige destinés à une élite aristocratique (armement, pièces de char, parures). Ces pièces de qualité et de haute technicité pourraient avoir été exportées sur de longues distances. En effet, les monnaies indiquent des relations commerciales avec le bassin méditerranéen (Italie du Nord et Marseille) et des peuples du nord de la Gaule [régions actuelles de Zurich et de l’Yonne (F)].
Des intérêts scientifiques et historiques majeurs à partager
L’exploration de ce type d’agglomération est pratiquement unique en Suisse. Seules Bâle, Berne et Yverdon ont livré des vestiges comparables, bien que notoirement perturbés par le développement de ces centres urbains depuis le Moyen Age. A Vufflens-la-Ville, rien hormis Dame Nature n’est venu bouleverser les vestiges antiques ; les occupations successives sont dans un état de conservation exceptionnel.
Les cinq phases d’occupation du site, échelonnées sur un peu moins d’une centaine d’années, permettront de proposer une chronologie beaucoup plus fine que celle utilisée actuellement, au moins au niveau régional. L’essor de cette agglomération, son apogée et son déclin pourront être analysés dans le détail.
L’étude des deux zones artisanales fournira des indications précieuses sur les modes de fabrication, la spécialisation des artisans, ainsi que sur la diffusion de leurs produits. Sera-t-il par exemple possible d’établir une relation entre les habitants de Vufflens-la-Ville et les populations qui se sont réunies sur la colline du Mormont, distante d’une dizaine de kilomètres, dans les années 100 avant J.-C.? La Venoge était-elle utilisée comme voie de transport pour le halage des marchandises ? La ville jouissait-elle d’une position privilégiée au carrefour de grandes voies de communication antiques ? Quel était le rayonnement du site de Vufflens-la-Ville au sein du monde celtique ? Voici quelques-unes des autres problématiques soulevées par la découverte de ce site exceptionnel.
Ces questions et ces pistes de recherches resteront toutefois sans réponse en l’absence de ressources financières adaptées. Une évaluation des montants nécessaires à l’étude et à la publication de cette fouille est actuellement en cours. Il en va de notre responsabilité devant l’importance archéologique et historique de ce site, au niveau vaudois, suisse et européen, de faire partager au public tous les résultats des études à mener.