Une école foraine
L'architecture scolaire de l'Agence Construire
L’aspect et la configuration d’une école traduisent souvent une certaine perception de l’enseignement. De l’école républicaine du 19?e siècle, sobre et solide comme l’idée de la nation qu’elle représente, aux machines à transmettre de la reconstruction d’après-guerre, les choix architecturaux racontent l’évolution de la pédagogie.
Au 20?e siècle, les expériences pour rendre compatible la transmission avec l’épanouissement personnel se multiplient. Elles restent tout de même des exceptions dans un contexte qui privilégie l’uniformité et les solutions standard.
L’agence Construire vient de livrer la deuxième tranche d’un établissement qui semble désavouer le clivage entre unicité et standardisation. L’école foraine à Saint-Jacques-de-la-Lande combine la richesse humaine d’un ensemble fait sur mesure, à l’exigence comptable d’une construction temporaire peu chère. Comment faire bien avec peu de moyens ? Patrick Bouchain et ses collaborateurs, Loïc Julienne et Sébastien Eymard, semblent avoir la réponse.
Poussée par la dynamique de Rennes, la petite agglomération pavillonnaire s’est développée rapidement. L’augmentation de la population suite à un ambitieux projet de logements collectifs exigeait des mesures d’urgence pour scolariser les nouveaux arrivants.
Dans ce cas de figure, des solutions toutes faites existent et sont à la disposition des mairies : le recours aux salles préfabriquées est courant pour des établissements en surcharge ou en rénovation.
C’est la présence sur le site d’une compagnie théâtrale unique en son genre qui semble avoir écarté la solution préfigurée. En effet, c’est à Saint-Jacques-de-la-Lande qu’est implantée la compagnie Dromesko (TRACÉS, 2007). Le terrain, cédé par la municipalité, s’est retrouvé au cœur d’une négociation. Le maire, sans remettre en question son engagement envers la compagnie, souhaitait en utiliser une partie pour la construction de l’école. Enclavée entre un aéroport et une zone industrielle, la commune manquait d’espace.
Finalement, un compromis est trouvé : le maire va accepter de garder le campement Dromesko dans sa commune, en échange de quoi, une école temporaire serait accueillie sur son terrain. Le projet d’école foraine allait ainsi être lancé.
Les premières salles en bois virent le jour en 2007. En 2011 s’y ajoutent quatre salles supplémentaires et un préau. Le principe qui régit l’ensemble, s’inspire des constructions modulaires préfabriquées sans pour autant donner dans la rhétorique techniciste. Les salles rayonnent de cette chaleur propre aux baraques foraines et aux cabanes forestières. L’usage qui est fait du bois s’efforce de ne pas en dissimuler l’identité. Chaque classe est une bâtisse autonome, disposée autour d’une cour commune. Les enfants découvrent un environnement conçu pour encourager les expériences à l’extérieur. Un jardin potager, mais aussi la proximité avec le campement Dromesko, constituent autant d’incitations à sortir de la classe pour des activités en plein air.
Contrairement aux écoles temporaires standard où l’absence d’espaces intérieurs partagés est perçue comme un défaut, ici les espaces extérieurs font pleinement partie du dispositif pédagogique. En renégociant le partage conventionnel entre dedans et dehors, l’école du Haut-Bois transforme un manque en avantage. Si les activités en plein air font partie du quotidien des écoles dites alternatives, de type Montessori ou Waldorf, elles restent rares dans le système public. Pour les jeunes Français, il y a un dedans strictement délimité, et un dehors souvent stigmatisé (en France les écoles sont clôturées). Le principe de classes indépendantes inverse cet ordre de valeur.
Sur le plan architectural, la forme des classes traduit une volonté explicite d’aller au-delà du formatage orthogonal qui caractérise une grande majorité des nouveaux établissements scolaires. Est-ce pour inculquer une certaine idée de la droiture que les architectes privilégient à ce point les volumétries perpendiculaires ? L’agence Construire s’amuse à transgresser cette loi informelle.
Les classes en bois aux angles saillants ne sont pas sans rapports aux utopies expressionnistes du début du 20?e?siècle. On y trouve la même conviction, celle qu’un environnement stimulant va pouvoir nourrir le processus de transmission. Les classes disposées comme les tentes d’un campement forment un espace partagé inhabituel. Contre les typologies étouffantes agrémentées de couleurs, l’école foraine fait le pari d’un retour à l’échelle humaine. S’agit-il d’une exception, ou peut-on s’imaginer une généralisation d’écoles de ce type ? Ceux qui écartent cette hypothèse trop simplement sont les mêmes qui, au nom du rendement, imposent la laideur, les échelles écrasantes et les configurations stériles.
La reconduite des expériences réussies, est au cœur de la démarche de l’agence Construire. La solution mise en œuvre à Saint-Jacques-de-la-Lande est rentable et facilement renouvelable. Il sagit d’ossatures et de panneaux de remplissages en bois. Les classes identiques, groupées en binômes, varient par la disposition des deux modules qui constituent la paire. Comme dans un jeu de construction, il s’agit de produire des configurations différentes avec des éléments similaires.
La simplicité du processus de construction et son caractère peu coûteux, permettent certains ajouts qualitatifs : sols en caoutchouc plutôt qu’en PVC, peintures sans solvants, et ce n’est pas tout ; car le développement durable tel que l’entend Patrick Bouchain n’est pas juste l’affaire d’équipements ou de quotas énergétiques. L’école foraine n’est pas faite que pour être fréquentée. Elle est surtout faite pour être habitée. Véritable dispositif d’apprentissage en acte, elle offre à l’enseignant la possibilité d’adapter l’espace de travail à son projet éducatif. L’enfant se retrouve ainsi engagé dans un environnement qui évolue en fonction de ses besoins. L’apprentissage renonce à son caractère formaté et inflexible pour devenir une démarche appliquée et ouverte. Au-delà des contenus, l’école s’avère capable, par sa seule forme, de générer un authentique sentiment d’appartenance à ses jeunes occupants. Plus que n’importe quel autre établissement standard, l’école du Haut-Bois est celle des enfants qui s’y activent.
A ceux qui se demandent si cette approche sensible est compatible avec la modernité, la réponse est une question : entre une modernité d’images de synthèse, dont les formes restent prisonnières des standards fixés par les fournisseurs en matériaux de construction, et une modularité aux déclinaisons infinies reposant sur la flexibilité du bois, où est l’authentique innovation ?