«L’approche doit être multidimensionnelle»
Fin 2023, le Conseil fédéral a adopté le nouveau plan d’action sur la culture du bâti afin d’améliorer la qualité des processus de planification et de construction en Suisse. Oliver Martin, de l’Office fédéral de la culture, a accordé un entretien pour expliquer pourquoi une culture du bâti de qualité est nécessaire et pourquoi cette notion va bien au-delà de la construction de beaux édifices précurseurs.
Judit Solt: Monsieur Martin, pourriez-vous nous expliquer en quelques mots les notions de culture du bâti et de culture du bâti de qualité?
Oliver Martin: La construction désigne communément une activité technique aux répercussions économiques. Mais c’est aussi un acte culturel qui interroge nos modes, types et lieux de construction, depuis la genèse du projet jusqu’au résultat final. Autant d’aspects qui expriment notre culture du bâti. La culture du bâti de qualité s’efforce d’atteindre un niveau de qualité à la fois bon et approprié pour chaque lieu.
Pour promouvoir une culture du bâti de qualité, la Confédération a élaboré une stratégie et initié un plan d’action. Cela était-il nécessaire? L’architecture suisse est réputée pour sa qualité, y compris à l’international.
La culture du bâti ne se limite pas à l’architecture; elle englobe l’ensemble de l’espace de vie créé et sa genèse. Plutôt que de mettre l’accent sur les projets architecturaux phares, elle se concentre sur la masse de l’ordinaire, à savoir la périphérie, la banlieue, l’agglomération: toutes ces zones bâties sont omniprésentes en Suisse, mais souffrent malheureusement d’un déficit important en matière de qualité de culture du bâti. Ce sont ces zones-là qu’il convient de revaloriser. Une culture du bâti de qualité favorise le sentiment d’identité, de sécurité et d’appartenance. Elle apporte des réponses à des enjeux tels que le changement climatique, la raréfaction des ressources ou la perte de biodiversité. Cette qualité globale passe par une meilleure collaboration entre toutes les parties prenantes et par une réflexion plus systémique, qui va au-delà de la pensée sectorielle. La stratégie mise en place par la Confédération a pour but d’y contribuer.
Pour justifier son engagement en faveur d’une culture du bâti de qualité, la Confédération avance que celle-ci constitue la clé d’une société durable, respectueuse des ressources et inclusive. Pourquoi est-ce le cas?
Car la qualité culturelle du bâti est par définition multidimensionnelle. Le système Davos de qualité pour la culture du bâti se fonde sur huit critères (Gouvernance, Fonctionnalité, Environnement, Économie, Diversité, Contexte, Esprit du lieu et Beauté) et reflète tous les aspects du développement durable. Dans le cas de projets de densification, par exemple, il n’y a pas que des questions esthétiques ou techniques qui entrent en ligne de compte, mais aussi les aspects liés à la diversité, à la mixité sociale, à la compatibilité, aux objectifs climatiques, au financement, etc. L’approche doit être multidimensionnelle. Les critères d’une culture du bâti de qualité forment une trame de réflexion pour se repérer dans cette thématique complexe.
De nombreuses communes de plus petite taille manquent de ressources pour concevoir une stratégie de développement de haute qualité pour la culture du bâti. Comment la Confédération peut-elle les soutenir?
Voici quelques années, nous nous sommes penchés sur la question de la nécessité d’un soutien. Il existe déjà de nombreuses offres de conseil au sein des cantons et des régions. Mais les communes plus petites ne parviennent pas toujours à y accéder. Pour répondre à ce besoin, il existe désormais une plate-forme qui concentre l’ensemble des offres de conseil.
La population suisse augmente, de nombreuses régions sont confrontées à des pénuries de logements et le secteur de la construction ne parvient pas à suivre. Pourtant, les processus qui garantissent la qualité prennent du temps et sont parfois vus comme des obstacles inutiles, par exemple en cas d’intervention de la protection de la nature ou du patrimoine.
Au lieu de vouloir construire le plus vite et le plus possible, nous ferions mieux de nous interroger sur le développement futur de tel ou tel lieu, sur les compétences requises pour y parvenir, sur les éléments qui augmentent la qualité de l’ensemble et sur ce qui ne fait que servir des intérêts particuliers. C’est précisément lorsque la densité de population augmente qu’il importe de préserver l’espace de vie en le gérant sainement. Il ne suffit pas de répondre à toutes les exigences fonctionnelles pour, in fine, bénéficier, presque en complément, d’une culture du bâti de qualité. Aboutir à une culture du bâti de qualité demande de trouver, de la meilleure des manières, la solution la plus appropriée pour chaque lieu. Lorsque la demande augmente, que les terrains à bâtir se raréfient et que les contraintes se multiplient, seuls des procédés prudents fonctionnent. Dans un monde complexe, il n’y a pas de réponses simples. Une réflexion sérieuse peut s’avérer longue et fastidieuse mais utilisée correctement, elle peut faciliter la réalisation: une meilleure acceptation donne lieu à moins d’opposition et à un résultat plus durable.
Les prescriptions en matière de construction sont du ressort des cantons et communes. Quel intérêt ont-ils à réclamer officiellement une culture du bâti de qualité?
Lorsqu’une communauté s’interroge sur les éléments constitutifs d’une culture du bâti de qualité et sur la manière d’y parvenir, il en résulte une plus-value pour tout le monde: les priorités restent toujours la qualité de l’espace de vie en général, la création de lieux qui ne se limitent pas à la simple réalisation des objectifs et portent leur propre identité. Par ailleurs, cela augmente entre autres la qualité du site, ce qui représente un avantage sur le plan économique.
Et quel est l’intérêt d’une culture du bâti de qualité pour les maîtres d’ouvrage et les investisseurs privés?
Lorsqu’un lieu présente un niveau élevé de qualité de vie, la valeur de chaque bien immobilier s’en trouve améliorée. Inversement, il est pertinent de créer des projets de grande qualité: une étude réalisée par la London School of Economics révèle que cela se traduit par des rendements plus élevés à moyen et long termes pour les investisseurs. Les critères d’une culture du bâti de qualité peuvent donc aider à définir des directives, règles et objectifs clairs. S’ajoutent à cela une simplification des procédures et, le plus souvent, un soutien par les autorités, par exemple sous forme d’un conseil ou d’un bonus sur l’indice d’utilisation du sol. Au final, tout le monde est gagnant. La qualité, ça paie!
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Oliver Martin est docteur en architecture de l’EPFZ. Il dirige la section Culture du bâti de l’Office fédéral de la culture, où il est membre de la direction. Il est l’un des auteurs du concept «Culture du bâti» et de la Déclaration de Davos adoptée en 2018 par les ministres de la culture européens et qui a permis au système Davos de qualité pour la culture du bâti de se hisser au rang de référence en matière de politique de construction et de planification.
Assemblée annuelle de l'Alliance de Davos à Genève
Le 18 juin 2024, la conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider a inauguré à Genève la seconde assemblée annuelle de l'Alliance de Davos pour la culture du bâti au siège du Forum économique mondial. Créée en 2023 par la Suisse avec le WEF, l'Alliance vise à promouvoir une culture du bâti de qualité, durable et abordable. Elle regroupe 27 États, 21 entreprises de premier plan, 10 ONG et 3 organisations internationales. Lors de la conférence, des modèles de transformation durable ont été discutés. L'Alliance développe des outils exemplaires et des partenariats public-privé efficaces, notamment avec Holcim, partenaire fondateur. L'Alliance est présidée par l'Office fédéral de la culture (OFC).
Liens complémentaires
Culture du bâti Concept, stratégie et mesures