Dé­nouer un nœud fer­ro­vi­ai­re

Saut-de-mouton, Renens (VD)

Réalisé par les CFF dans le cadre du programme Léman 2030, le saut-de-mouton de Renens est indispensable à l’augmentation de la capacité de la ligne ­Lausanne – Genève. Le contexte urbain dans lequel il s’inscrit lui impose une géométrie uni­dimensionnelle. Ses concepteurs en ont joué pour aboutir à un concept formel alliant fluidité, rigidité, rythmicité et transparence, en déclinant à l’envi un motif faussement répétitif.

Publikationsdatum
10-03-2022

Le saut-de-mouton est situé entre la halte de Prilly-Malley et le faisceau de voies à l’entrée est de la gare de Renens, au cœur du nœud ferroviaire de Lausanne et d’une zone fortement urbanisée. Environ 600 trains empruntent quotidiennement ce tronçon commun aux grandes lignes Genève – St-Gall et Brigue – Pied du Jura. Ce nœud représente également un problème géométrique. À l’est de la gare de Lausanne, le flux ferroviaire est divisé par lignes (en direction du Plateau ou du Valais), alors qu’à l’ouest de la gare de Renens, il est divisé par directions: les voies côté lac accueillent les trains circulant vers l’ouest, celles côté Jura les trains circulant vers l’est, d’où d’inévitables croisements, jusque-là réglés par une série d’aiguillages qui avaient la fâcheuse habitude de faire valser les voyageurs en provenance de Berne. En lieu et place de ces pas de danse improvisés, les pendulaires traverseront désormais le faisceau de voies à une hauteur d’une dizaine de mètres au moyen du saut-de-mouton de Renens.

Comme un pont à deux niveaux

Long de près de 1200 m, large de 17 m et haut de 9 m, le saut-de-mouton a l’apparence trompeuse d’un objet unidimensionnel. La topographie du lieu imprime une légère courbure à sa géométrie en long, déterminée par la distance nécessaire au croisement. Alors que le saut-de-mouton situé à la sortie ouest de la gare centrale de Zurich se déploie nonchalamment au-dessus des voies, celui de Renens file au plus droit, canalisé qu’il est par le développement urbain des friches industrielles de Malley.

Vidéo: Philippe Morel explique son choix.

L’ouvrage se compose de deux rampes (qui relient la plate-forme ferroviaire existante aux culées), deux ponts (qui élèvent la voie jusqu’au niveau de franchissement) et une galerie centrale (sur laquelle s’effectue le croisement). Alors que la variante la plus simple techniquement aurait été de couvrir cette galerie par une dalle pleine, le croisement se fait au moyen d’une auge sinuant de part et d’autre des 25 cadres régulièrement espacés qui la soutiennent. C’est précisément le retrait de la matière statiquement inutile qui imprime au saut-de-mouton une légèreté et un dynamisme étonnants par rapport à ses contraintes et à son contexte d’exploitation. Au niveau de ses fondations, l’ouvrage est posé sur 350 pieux forés reposant sur la molasse.

Expérience cinématographique

En coupe longitudinale, le saut-de-­mouton est asymétrique afin d’absorber la différence de niveau entre ses extrémités. La pente des rampes (2,5 %) est dictée par les contraintes ferroviaires. Les 2 × 66 poteaux soutenant les deux ponts et les traverses de la galerie confèrent une impressionnante transparence à l’ouvrage. Il participe ainsi à une série d’opérations qui réparent la fracture ferroviaire ayant coupé une ville en deux. Ces poteaux lui donnent également l’aspect d’une pellicule de cinéma. C’est d’ailleurs une expérience quasi cinématographique qui s’offre au voyageur traversant le saut-de-mouton au niveau inférieur: la régularité des cadres saccade la contemplation du paysage, à un rythme cependant bien plus lent que les 24 images par seconde d’une pellicule 35 mm défilant dans un projecteur.

Formes simples, calculs complexes

C’est en coupe transversale que l’ouvrage révèle toute sa complexité – qu’hélas seuls les pilotes de locomotive peuvent pleinement expérimenter. Avec ses 25 cadres transversaux, la galerie pourrait sembler très répétitive, voire monotone. Mais c’est une impression trompeuse. En effet, chacun de ses cadres est unique. Tout d’abord, leur portée varie entre 11 et 17 m. Ensuite, la position de l’auge sur les traverses et l’angle qu’elle forme avec ces dernières sont propres à chaque cadre. Cette diversité a évidemment des répercussions sur la statique. Ainsi, pour ce qui est des contraintes, les efforts de flexion sont déterminants pour les cadres de portée moyenne; avec un appui presque direct sur les piles, les cadres plus élancés sont davantage sollicités en effort tranchant. Une autre particularité réside dans l’insertion de l’auge dans les traverses des cadres, ce qui diminue d’autant la hauteur de la structure porteuse et contribue à augmenter la transparence de l’ouvrage.

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L’angle de cadre des portiques de la galerie est l’un des éléments les plus complexes de l’ouvrage. La section critique se trouve en haut de la pile, juste sous la traverse. La résistance en section et à la fatigue a fait l’objet d’une vérification détaillée et d’un recoupement de plusieurs approches de dimensionnement distinctes. De plus, la particularité de cet ouvrage de croisement, comparable à un pont ferroviaire à deux niveaux, implique une démultiplication du nombre de combinaisons de charges à considérer pour le dimensionnement de l’ensemble des éléments porteurs.

Le saut-de-mouton a été entièrement réalisé en béton armé coulé sur place. Le maître d’ouvrage est en effet arrivé à la conclusion que l’usage de la précontrainte n’était pas adapté à ce viaduc pour des raisons de durabilité, de mise en œuvre et de coûts de construction. Tous les appuis ont été réalisés par encastrement: il n’y a donc aucun appui mécanique sujet à maintenance et à entretien. Au droit des joints de dilatation, chaque bord de tablier est encastré dans une demi-pile, soit une pile fendue comme un diapason. Le viaduc se comporte donc globalement comme un système semi-intégral, soit une suite de ponts d’une longueur comprise entre 44 et 68 mètres.
Fossile vivant

Le saut-de-mouton de Renens est une infrastructure stratégique et imposante, située dans un contexte de développement urbain et d’exploitation complexe. Si sa fonction en a déterminé les contours, l’intelligence du maître d’ouvrage et des planificateurs a permis de jouer de ces contraintes pour l’alléger au maximum. À l’image d’un préparateur de fossiles, ils l’ont débarrassé de sa gangue minérale pour ne conserver que le squelette de ce gigantesque arthropode de béton et de ferraille. En jouant du contraste entre la rigidité des cadres et la fluidité de l’auge, ils ont même réussi à le mettre en mouvement.

Cet article a été publié dans le numéro spécial «Culture du bâti: qualité et critique». Commandez dès maintenant!

Saut-de-mouton, ­Renens (VD)
Intervenants
Maître d’ouvrage et technique ferroviaire
CFF SA

 

Ingénieur civil
Groupement PMSB (Perret-Gentil SA, MONOD­PIGUET + ASSOCIÉS, Schopfer & Niggli SA, Bovay Consulting)

 

Géomètre
Renaud & Burnand SA (sous-traitant Groupement PMSB)

 

Géotechnicien
Karakas et Français SA (sous-traitant Groupement PMSB)

 

Architecte
Farra & Zoumboulakis (sous-traitant Groupement PMSB)

 

Expertise structure
GVH SA

 

Suivi environnemental (SER)
biol conseils

 

Mise à terre
Enotrac SA

 

Coordination sécurité chantier
Orqual SA

 

Spécialiste câbles
RS Ingénieurs SA

 

Entreprise de construction
Implenia SA

 

Données du projet
Calendrier travaux
2017: permis de construire
Novembre 2018: début des travaux ­d’ouvrage
Été 2022: mise en service

 

Coûts
Env. 112 mio fr. (travaux d’ouvrage d’art et de technique ferroviaire)

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