Sta­de de Bul­le: struc­tu­rer par le vi­de

Même une intervention architecturale sur un stade est un exercice qui peut interroger les limites de la discipline. À Bulle, celui de Bouleyres est adossé à la forêt éponyme. Ses six pistes d’athlétisme dominées par une tribune couverte, son café en angle, ses terrains de foot et de tennis n’ont pour la plupart pas été rénovés depuis les années 1980. Depuis 2012, un nouveau plan directeur introduit une promenade arborisée de 915 mètres reliant le nord au sud du site¹. Ce n’est donc pas seulement une infrastructure sportive bâtie que le concours pour la transformation et la rénovation du stade demandait de considérer, mais bien un système complexe composé d’un maillage écologique et de structures d’origine en bon état général, qu’il fallait rénover pour les remettre aux normes et repenser l’organisation.

«Sur une esplanade sportive, ce sont les vides plutôt que les pleins qui sont structurants, commente le président du jury, Manuel Bieler. La composition du site se fait au travers des terrains de sport et les bâtiments ne sont là que comme des éléments de ponctuation.» À cet exercice, les architectes Truwant+Rodet et la paysagiste Camille Frechou se sont imposé·es avec le projet Interstices sportifs (1^er rang, 1^er prix). Manuel Bieler relève chez les lauréat·es une réelle connaissance de ce qu’est un stade – comment on le parcourt, on y évolue – qui les a distingué·es de leurs concurrent·es.

Devant le sort encore incertain du café du stade, l’équipe applique la même logique qu’au reste du projet: conserver et s’appuyer sur les structures existantes, qu’elles soient construites ou paysagères, pour y ancrer les besoins programmatiques. «Les terrains de sport existants sont caractérisés par leur horizontalité, combinée à des éléments verticaux légers comme les clôtures, les lampadaires, les cages… Les nouveaux bâtiments cherchent à s’inscrire dans ce paysage, ils forment un ensemble de toits, construits par une structure métallique légère recouvrant un remplissage bois²».

Ainsi, le long de la liaison nord-sud, les lauréat·es dessinent un bâtiment filigrane pour les vestiaires, dont les coursives abritées deviennent autant de belvédères d’où contempler les terrains. Perpendiculairement à cette ligne et dans l’axe de l’entrée secondaire du stade, ils et elles esquissent une double toiture voûtée pour la halle de tir et la salle polyvalente. Le projet propose ensuite d’élever deux édicules symétriques en tête de tribune afin d’accueillir la buvette et l’espace VIP. Enfin, le café du stade est coiffé d’une nouvelle toiture qui revalorise sa position.

Autres projets

Les bureaux LVPH (2^e rang, 2^e prix) et Boeglikramp (3^e rang, 3^e prix) se sont également illustrés par leur grande maîtrise de l’architecture et du paysage. Le premier, en concevant une architecture quasi-troglodyte tout autour des pistes d’athlétisme, pour y loger les vestiaires et le café. Si la proposition a effrayé les utilisateur·ices, qui ont douté des qualités lumineuses d’un tel espace édifié dans une topographie artificielle faite en terre de remblai, elle a néanmoins fasciné le jury par sa grande cohérence conceptuelle³. Le second proposait quant à lui un nouveau bâtiment en structure bois pour héberger les vestiaires, la buvette, la salle polyvalente et le café. Si l’expression du nouvel édifice a été jugée élégante, l’édification d’un ouvrage de cette ampleur s’est néanmoins révélée complexe à réaliser et trop ambitieuse pour les besoins du maître d’ouvrage. «L’équipe lauréate a au contraire très bien saisi l’équilibre nécessaire entre une position interventionniste et conservatrice, explique Manuel Bieler. Elle a anticipé les questions qui peuvent surgir dans un tel type de processus, qui peut prendre une dizaine d’années. Le projet, souple et flexible, permet aux utilisateur·ices de gérer les interventions nécessaires sur le temps long.»

Interstices sportifs répond donc très bien au programme, mais va aussi bien au-delà. L’image qui frappe le plus est sans doute celle de ces grandes citernes absentes des prescriptions initiales qui, combinées aux vastes toitures tantôt convexes tantôt concaves, récoltent de l’eau pour arroser les terrains de sport (surtout ceux en synthétique demandant parfois, à l’inverse de ce que le bon sens inspirerait, encore plus d’eau que les pelouses naturelles durant les surchauffes estivales!). Les ventres ronds et brillants de ces installations deviennent des éléments emblématiques du projet, totems climatiques qui outrepassent leur vocation technique pour devenir tectoniques. Bien sûr, ce n’est pas la première fois que les architectes s’emparent du silo comme élément de conception (c’était, pour le Corbusier, les magnifiques prémices du nouveau temps⁴), et l’échelle de ces citernes-ci évoque plus une esthétique à la Gurzelen⁵ que les mastodontes américains en béton armé salués par les Modernes. Néanmoins, un siècle plus tard, alors qu’on se demande encore comment concilier énergie et patrimoine, les initiatives de ce type, qui intègrent la question de l’usage et de la maintenance au cœur même de la question architecturale, sont à saluer.

Concours Stade de Bouleyres, Bulle (FR)

 

Maître d’ouvrage
Ville de Bulle

 

Procédure
Concours en procédure sélective à un degré (SIA 142)

 

Projets

• Interstices sportifs (1er rang, 1er prix) – Truwant+Rodet, Camille Frechou
• Élis (2e rang, 2e prix) – LVPH architectes
• Pentathlon (3e rang, 3e prix) – Boeglikramp Architekten, Hager Partner, Timbatec ingénieurs bois

Notes

 

1 Voir programme du concours

 

2 Truwant+Rodet et Camille Frechou, Interstices sportifs, planche de rendu de concours, 2023

 

3 Le projet rappelle par ailleurs la proposition que LVPH avait fait en 2016 pour le concours du stade de Coubertin à Lausanne (2^e prix)

Rapport du jury et planches sur competitions.espazium.ch.