«La voix de la SIA comp­te»

Susanne Zenker a pris la tête de la SIA le 1er juillet 2024. Quels défis a-t-elle identifiés au cours des premiers mois de sa présidence? Quelles impulsions souhaite-t-elle donner à l’association au cours de son mandat? Entretien sur la responsabilité sociétale, les dialogues intenses et la capacité de la SIA à traiter des enjeux complexes de manière transversale.

Publikationsdatum
14-11-2024

Judit Solt: Madame Zenker, vous êtes présidente de la SIA depuis le 1er juillet. Quelles sont vos premières impressions?
Susanne Zenker: Les trois premiers mois ont été riches en enseignements. J’ai beaucoup appris. À chaque fois, ces moments d’échange m’ont enthousiasmée : que de savoir et d’engagement au sein de la SIA, que d’enjeux passionnants elle traite ! Je suis ravie de pouvoir me consacrer professionnellement à autant de sujets qui impactent la société dans laquelle nous vivons. C’est à la fois une opportunité unique et une grande responsabilité, car la SIA est une organisation écoutée en Suisse, sa voix compte. Il m’arrive régulièrement d’être interrogée sur sa position concernant telle ou telle question, même si le sujet ne touche pas directement à la planification. C’est impressionnant.

La SIA est une grande association interdisciplinaire dont l’organisation est complexe. En avez-vous déjà une vue d’ensemble?
Je suis encore loin d’avoir tout vu. Pour l’instant, je comprends le rôle des différents organes de la SIA, je sais qui fait quoi et en quelle qualité. En revanche, j’aimerais encore y voir plus clair dans la manière dont ces différents acteurs inter­agissent. Ce point est central à mes yeux. Comment puis-je contribuer à rapprocher les différents acteurs de la SIA, tant sur le plan thématique qu’organisationnel, afin de fluidifier leurs échanges et renforcer leur collaboration? C’est à cela que j’aimerais m’atteler.

Vos prédécesseurs ont concilié leur mandat de présidence de la SIA avec leur activité au sein de leur bureau d’études. Vous, en revanche, avez décidé de démissionner de votre poste précédent pour vous consacrer pleinement à vos fonctions de présidente. Qu’est-ce qui a motivé ce choix?
La décision s’est imposée d’elle-même, les deux fonctions n’étaient pas compatibles. En tant que responsable Développement chez CFF Immobilier, j’étais à la tête d’un service de 70 collaborateurs qui s’occupaient de gérer des projets et d’attribuer des mandats à des concepteurs: le conflit d’intérêts aurait été flagrant! Du reste, je n’aurais jamais pu combiner les deux casquettes: j’étais à plein temps chez CFF Immobilier et la présidence de la SIA correspond à un 60%.

Dans les faits, la présidence de la SIA correspond-elle vraiment à un poste à 60%?

Probablement pas. C’est pour cela que la décision de me consacrer pleinement à cette fonction à côté des quelques mandats que j’exerce au sein de conseils d’administration est vraiment sensée. Pour moi, et je l’ai déjà souligné lors des entretiens que j’ai menés avant mon élection, quand on est présidente de la SIA, on l’est à 100 %. On incarne cette fonction. On ne peut pas dire «ça y est, j’ai fait mon quota d’heures, à la semaine prochaine!» Le chiffre de 60 % a servi d’ordre de grandeur pour le calcul de la rémunération.

Vous connaissez différentes facettes du métier d’architecte: après vos études à l’EPFL, vous avez travaillé près de dix ans en tant qu’architecte, notamment à Londres puis à Zurich. Ensuite, vous vous êtes orientée vers le développement immobilier. Par votre parcours, vous connaissez tant la perspective des concepteurs que celle du maître de l’ouvrage. Est-ce un avantage pour vous aujourd’hui?
Une branche ne peut survivre si elle ne comprend pas ses clients. Or les clients de la branche de l’architecture et de l’ingénierie, ce sont les maîtres de l’ouvrage. D’ailleurs, dans ce contexte, le terme de client s’emploie tant pour faire référence à l’utilisateur qu’au mandant. La compétence des mandants est l’une des clefs du succès d’un projet, et c’est un point sur lequel nous avons énormément à rattraper – un enjeu que j’entends faire avancer en tant que présidente de la SIA. Je ne pense pas seulement aux mandants professionnels qui, en règle générale, savent ce qu’ils veulent, mais avant tout aux maîtres de l’ouvrage sans expérience, vis-à-vis desquels les concepteurs portent une grande responsabilité. En tant que professionnel, il faut prendre le temps d’échanger avec ses clients afin de comprendre leurs besoins et de les conseiller correctement. Lorsque, dès le départ, on instaure un dialogue avec les maîtres de l’ouvrage afin de les aider à formuler clairement leurs attentes, en leur fournissant des explications au besoin, les choses avancent bien mieux. La définition des prestations et la formulation de l’offre d’honoraires s’en voient simplifiées et l’on évite les malentendus.

Pleinement exercées, ces fonctions de conseil peuvent-elles contribuer à valoriser les métiers de la conception aux yeux de la société – sur le plan de la rémunération également?
Certainement. Combien de maîtres de l’ouvrage ne savent pas vraiment quel est le rôle des concepteurs, ni pourquoi il est déterminant ? Au cours de ma carrière, j’ai pu entendre des choses telles que «nous n’avons pas besoin d’une belle façade, mais d’un bâtiment fonctionnel». Certains ne comprennent pas que ces critères ne sont pas contradictoires, et qu’une culture du bâti de qualité repose toujours sur un dialogue interdisciplinaire. Il reste donc encore beaucoup à faire pour rapprocher ces deux mondes! C’est l’une des raisons qui m’ont poussée à me porter candidate à la présidence de la SIA.

Mis au point par des centaines de professionnels bénévoles, le cadre normatif de la SIA reflète les réalités du terrain, garantissant son acceptabilité. En contrepartie, ce mode d’élaboration est relativement chronophage, ce qui peut s’avérer frustrant lorsque les enjeux sont urgents, comme la révision des règlements concernant les prestations et les honoraires (RPH). Qu’en pensez-vous?
La SIA conçoit des normes et règlements importants qui, sans avoir force de loi, sont quasiment appliqués comme tels dans la pratique. Or, si je compare leur durée d’élaboration à celle d’une loi, je ne trouve pas que ce processus soit particulièrement long. Nous avons la chance de pouvoir nous engager collectivement pour définir les standards de notre branche. C’est un atout majeur, mais je comprends aussi l’impatience que cela peut susciter. Pour ce qui est de la révision des RPH, j’ai l’impression que le nœud du problème réside dans le fait que toutes les personnes impliquées n’avaient pas la même compréhension de la tâche. Sans doute certaines choses auraient-elles dû être clarifiées en amont, c’est-à-dire qu’il aurait fallu identifier les divergences, écarter les désaccords et définir un objectif commun avant même le début des travaux.

En tant que présidente, vous êtes – conjointement avec le Comité – en charge de la conduite stratégique de la SIA, tandis que le Bureau assure la gestion opérationnelle. Quels thèmes stratégiques aborderez-vous en priorité ? Quels sont les principaux défis que la branche de l’architecture et de l’ingénierie aura à relever ? Comment la SIA peut-elle contribuer à les surmonter?
La SIA s’est dotée d’une vision forte – «Ensemble pour créer un cadre de vie durable». J’y adhère pleinement, car elle résume l’objectif vers lequel nous devons tendre en tant que société. Dans ses efforts pour la concrétiser, la SIA s’est fixé six thèmes prioritaires : la culture du bâti, l’aménagement du territoire, le climat et l’énergie, la transformation numérique, la formation et la passation des marchés. À mon avis, le principal défi consiste à les traiter de manière transversale, tant sur le fond que sur le plan organisationnel. Il y a une tendance à se limiter à son domaine, on se cantonne à son groupe professionnel, sa région, sa discipline. Or je suis persuadée qu’il faut dépasser ces silos pour pouvoir aborder des enjeux complexes. On ne peut pas parler de culture du bâti sans soulever d’autres questions comme l’aménagement du territoire, l’approvisionnement énergétique et la crise climatique. On ne peut pas réfléchir à la question de la formation sans tenir compte de la transformation numérique. La vision et les six thèmes prioritaires de la SIA sont très pertinents, reste maintenant à mettre tout cela en lien. C’est là mon défi personnel, mon but: nous aider à travailler de manière beaucoup plus transversale, à la fois d’un point de vue organisationnel et thématique.

La boucle est bouclée donc, puisqu’au début de cet entretien, vous avez mentionné les interactions entre les organes de la SIA.
Oui, et j’aimerais ajouter ceci: l’interdisciplinarité est inscrite dans l’ADN de la SIA, qui est donc prédestinée pour adopter des modes de travail transversaux, et cela de façon exemplaire vis-à-vis de la société. La Suisse est un pays associatif: dès que les gens s’engagent pour une cause et arrivent dans une impasse, leur premier réflexe est de créer une association. Il y a des associations pour tout, mais toutes travaillent dans leur coin, sur leur thématique spécifique. La SIA, en revanche, a été fondée comme association interdisciplinaire et rassemble des concepteurs issus de différents domaines. La transversalité fait tout simplement partie de son identité. La SIA ne se limite pas à représenter les architectes ou les ingénieurs, elle réfléchit dans une perspective synthétique. C’est ce qui, comme je l’ai souligné en introduction, explique son positionnement de leader d’opinion en Suisse.

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