Con­ti­nui­té: l’es­prit et la for­me

La transformation d’un bâtiment administratif postmoderne en logements a soulevé d’intéressants défis de conception et de construction à Brauen Wälchli Architectes. Le renforcement de son expression d’origine rend hommage à l’esprit du bâtiment et marque également l’extension.

Publikationsdatum
23-12-2024

Construit par Jean-Marc Lamunière comme siège romand de l’assureur Winterthur entre 1974 et 1978 à Genève, l’immeuble administratif a accueilli différents locataires au fil des 40 dernières années et a été inscrit au patrimoine en 2022. Sa façade se caractérise par une expression structurelle marquée, reposant sur des éléments préfabriqués en béton, des coursives métalliques et des éléments de remplissage légers. Préfigurant le traitement post moderne que Jean-Marc Lamunière adoptera par la suite, la façade présente des formes originales grâce aux géométries courbes de ses préfabriqués et à ses proportions classiques: la tripartition est modulée par l’allongement des doubles colonnes en partie basse, et par des bow-windows aux angles et à l’axe de l’immeuble, au niveau du couronnement.

Les années 1970 ont aussi vu l’émergence de concepts qu’on appellerait aujourd’hui «bioclimatiques» et qui amenèrent l’architecte genevois à exploiter les modules de façade comme brise-soleils verticaux. Ces efforts vers une construction durable visaient directement l’efficacité énergétique de l’édifice. Toutefois, l’orientation est-ouest de l’immeuble a rendu cette protection inefficace, les étages étant trop éclairés le matin et en fin de journée. Au lieu de servir de support à des plantes, comme l’architecte se l’était imaginé, les coursives ont servi d’espace de stockage pour les climatiseurs, ce qui réduit en conséquence l’efficacité énergétique de l’immeuble.

Solutions obliques

Le plan d’origine consiste en un grand plateau libre desservi par un noyau de circulation principal au centre et deux cages d’escalier circulaires de part et d’autre. De grosses colonnes (1 m de diamètre) comprenant les gaines techniques assurent une grande flexibilité d’usage, avec un entraxe de 9 m. La reconversion des espaces de bureaux en logements soulève des difficultés, en raison de la profondeur importante du plan (23 m avec les coursives) et du rythme de la façade, qui ne correspond pas à des proportions de chambres standards. Lors du concours, Brauen Wälchli Architectes a cherché une solution innovante en amenant des géométries obliques à l’intérieur du plan.

Pour le second édifice demandé, au lieu de l’apponter à l’immeuble existant, les architectes ont imaginé une extension qui entrerait en dialogue tout en s’en détachant. Celui-ci est pétri de contraintes, car le plan des appartements doit s’aligner sur la trame du parking souterrain préexistant et enjamber sa rampe d’accès. Ces mesures s’avèrent positives par rapport à une nouvelle construction avec son propre sous-sol. La construction d’étages souterrains est en effet très gourmande en énergie et devrait être évitée dans la mesure du possible. La réutilisation du parking existant a donc permis d’économiser de l’énergie grise et de précieuses ressources.

Le concept structurel en encorbellement repose sur l’utilisation de voiles et de dalles en béton précontraint. Si l’horizontalité de sa composition contraste avec le bâtiment de Lamunière, quelques variations subtiles, sur les hauteurs de parapets ou les retraits des trois derniers étages, construisent une continuité visuelle entre les deux édifices.

Parce qu’elle n’est pas conventionnelle, la solution de reconversion fait débat au sein même du bureau: peut-on introduire une telle géométrie dans un édifice dont il s’agit de préserver l’esprit? Pourtant, l’approche s’avère être la seule capable de créer des appartements de qualité sans contrevenir au rythme de la façade. Par la suite, afin de rassurer aussi bien le maître d’ouvrage que la commission d’architecture préavisant l’autorisation de construire, les architectes ont fait réaliser sur place une maquette à l’échelle 1:1 qui démontre que la loggia insérée entre chambre et séjour ouvre des dégagements de qualité et amène une lumière généreuse jusque dans la profondeur du plan.

Jouer des contraintes

Certains espaces du bâtiment ont été conservés dans leurs finitions d’origine et ont pu être restaurés à l’identique. C’est le cas du grand hall du rez-de-chaussée, dont la générosité permet aussi d’y créer un espace mis à disposition des habitants.

En d’autres endroits – et comme souvent –, ce sont les exigences contradictoires entre celles du patrimoine et le respect des normes qui créent des difficultés. Pour répondre à la contrainte sismique, la stratégie consiste à envelopper les noyaux de distribution existants jusqu’au 7e étage. Mais, pour conserver leur aspect, il a fallu employer un coffrage qui donne aux murs une finition identique à celle d’origine. Au niveau feu, comme il faut deux cages d’escalier pour évacuer l’immeuble (les cages circulaires ne répondant plus aux dimensions actuelles des chemins de fuite), il a fallu créer un nouvel escalier dans le noyau central. Pour ce faire, les architectes ont sacrifié un ascenseur et un monte-charge pour ajouter un escalier en découpant les dalles. En introduisant une porte coupe-feu, ils sont parvenus à conserver la générosité du hall ouvert.

Pour les façades, le service des monuments et sites accepte de les faire remplacer pour répondre aux besoins de la nouvelle affectation et aux problématiques liées à la présence d’amiante, mais exige la conservation ou la restitution des coursives et des garde-corps dans leur état d’origine. Or l’enjeu de la reconversion mène à réinterpréter les coursives en balcons utilisables par les habitants. Pour y parvenir, il a fallu augmenter la hauteur des garde-corps, ajouter un treillis métallique discret, resserrer les lames des caillebotis et ajouter une marche. Quant aux fenêtres métalliques, elles ont été refaites à neuf dans l’esprit de l’époque. Comme il s’agit d’un immeuble construit par une entreprise générale, Jean-Marc Lamunière a certainement dû faire des concessions, Brauen Wälchli Architectes a tâché de poursuivre à la manière de l’architecte, en se détachant de ce qui a été fait et en essayant d’imaginer ce qu’il aurait voulu -développer.

En termes de durabilité, il était important, d’une part, que le bâtiment existant soit amélioré sur le plan énergétique et transformé et, d’autre part, que les sous-sols existants puissent être utilisés pour la nouvelle construction. Parallèlement, des espaces qui ne fonctionnaient pas auparavant, comme les coursives métalliques, ont été modifiés et rendus utilisables.

Construire dans l’existant est indispensable d’un point de vue énergétique et le potentiel est loin d’être épuisé en Suisse. Si l’exercice demande beaucoup de doigté de la part de tous les intervenants, il peut aussi donner naissance à des espaces inattendus et particulièrement intéressants.

Transformation et extension de l’immeuble AXA Assurances

 

Maître d’ouvrage: AXA Assurances représentée par AXA Investment Managers Suisse, Zurich

 

Architecture: Brauen Wälchli Architectes, Lausanne

 

Entreprise totale: HRS Rénovation, Genève

 

Alimentation en énergie: Pompes à chaleur

 

Structure porteuse: Nicolas Fehlmann Ingénieurs Conseils, Genève

 

Physique du bâtiment: Sorane, Lausanne

 

Spécialiste façade: BCS, Lausanne

 

Ingénierie électrique: Caeli Ingénierie Sàrl, Carouge

 

Période Planification: 2018-2023

 

Achèvement des travaux: 2025 pour la transformation, 2026-2027 pour l’extension

Avec le soutien de SuisseEnergie et de Wüest Partner, les numéros spéciaux suivants ont été publiés par espazium - les éditions pour la culture du bâti:

 

1/2018 «Immobilier et énergie: stratégies pour l'immobilier – orientation pour les investisseurs institutionnels».

 

2/2019 «Immobilier et énergie: stratégies de mise en réseau».

 

3/2020 «Immobilier et énergie: stratégies de la transformation».

 

4/2021 «Immobilier et énergie: sur des routes communes avec l'électromobilité».

 

5/2022 «Immobilier et énergie: stratégies d'autoconsommation».

 

6/2022 «Immobilier et énergie: reconnaître la valeur de l’existant».

 

7/2022 «Immobilier et énergie: Métamorphose: de bureaux à appartements».

Tous les articles de ces numéros spéciaux peuvent être consultés dans notre dossier numérique «Immobilier et énergie».

Verwandte Beiträge