1200 bras pour cons­truire le vide

Le projet d’aménagement du préau du Cycle d’orientation du Reposieux à Monthey (VS) transforme une ancienne parcelle bâtie en un lieu vivant grâce à une démarche participative ­réunissant élèves, enseignant·es et habitant·es. Conçu autour d’espaces fonctionnels et écologiques, le nouveau préau favorise la bio­diversité et la dynamique collective.

Date de publication
04-02-2025

L’extension et l’aménagement du préau du Cycle d’orientation du Reposieux offrent l’opportunité d’explorer des processus de transformation et de requalification d’espaces urbains en dehors des logiques traditionnelles de densification. Suite à l’acquisition par le service urbanisme, bâtiment & constructions de la Ville d’une parcelle de 1147 m2 attenante au préau, l’atelier renanais MOP A a été mandaté pour élaborer un projet de co-conception et de co-construction, avec la participation des élèves de l’établissement.

Une méthode participative avec 600 personnes

L’ensemble scolaire est situé au cœur d’un quartier résidentiel de la commune valaisanne de 18 000 habitant·es. Le secteur est caractérisé par une forte prédominance de surfaces minérales et est bordé par une voie ferrée, qui marque la limite avec le centre-ville plus animé. Le projet vise à améliorer la qualité et la diversité des aménagements extérieurs de l’ensemble scolaire tout en enrichissant les espaces environnants par la création d’un espace public connecté au reste de la trame urbaine.

MOP A a été mandaté directement par la Ville, intéressée à développer une démarche participative, voire de conception collective, sur la base de l’expérience acquise par l’atelier en Suisse romande1. Son approche s’inscrit dans une réflexion élargie sur la transformation urbaine, en développant une démarche projectuelle centrée sur l’individu, l’environnement et le patrimoine. La co-conception et la co-construction, mises en place par MOP A comme méthode et fil directeur du projet, permettent d’impliquer les élèves, qui deviennent des acteurs actifs et décisionnaires2.

Dès la rentrée 2023, élèves, enseignant·es, services de la Ville de Monthey, ainsi que riverain·es du quartier ont pris part à un atelier de co-conception de trois jours, co-organisé par le CO et l’atelier MOP A: l’Atelier des 600. Ils et elles ont collaboré pour imaginer les limites, usages et cheminements de leur «espace idéal» sur la nouvelle parcelle. Cette phase de rencontre, d’échange et d’expérimentation, préalable à la phase d’avant-projet, a permis de dessiner collectivement les contours des nouvelles ambiances et les espaces de demain tout en ajustant le cahier des charges. Grâce à un diagnostic sensible et immersif, les participant·es ont exploré les enjeux et le quotidien du futur préau avec l’implication des 568 élèves de l’établissement. Une étape clé a été la réalisation de grandes maquettes à partir de planches récupérées sur l’annexe de la petite villa qui occupait encore la parcelle à ce stade du projet. Après la démolition de la maison3, certains éléments ont été préservés : les colonnes de l’entrée du jardin donnant sur la rue du Tonkin ainsi que quelques arbres. Les pierres des murs de soutènement ont également été conservées, avec pour objectif de les mettre en œuvre comme socle des futures constructions ou pour aménager des rocailles destinées à accueillir la faune locale.

Le projet comme outil pédagogique

Dans cet esprit, l’atelier participatif a aussi permis de plonger les élèves dans la gestion de projet et la valorisation des ressources présentes sur place: quelles réflexions nous suggère le site ? Quels matériaux met-il à disposition pour donner vie aux idées?

Dans cette optique, la requalification et la diversification des usages offrent l’opportunité de repenser et d’optimiser l’existant. La réappropriation créative du préau associée à l’intégration de nouveaux programmes – lieux de rencontre variés et accessibles à tous·tes, zones de repos et de contemplation, ou encore salle de classe à ciel ouvert – contribue à créer une véritable « densité vivante».

Durant l’hiver 2023, 525 m2 de bitume, couvrant la nouvelle parcelle et le préau existant, ont été dégrappés4, transformant le lieu en un vaste terrain d’exploration et de création pour les élèves dès le printemps. Ce chantier vivant et ouvert a permis d’expérimenter une nouvelle forme d’aménagement urbain, articulée autour de trois axes principaux: la pleine terre et la biodiversité, la valorisation des ressources et la diversification des espaces.

Urbanisme de situation

Le projet se déploie en plusieurs zones qui s’articulent autour de quelques éléments urbains existants: deux rangées de trois grands bacs en béton agrémentés d’arbres de part et d’autre du préau et un parking à vélos couvert viennent structurer et définir les contours du nouvel espace. À l’extrémité sud de la parcelle, des niches sont aménagées entre les grands bacs, créant ainsi des refuges. Au nord, ces mêmes bacs se transforment en gradins. Ces éléments, les tout premiers du nouveau préau, ont été conçus en structure bois par l’Atelier des 600 et réalisés lors des trois jours d’atelier en début de projet.

Le long de la route du Tonkin, MOP A a imaginé une bordure verte et une haie champêtre pour détourner le trottoir et inviter les passants à traverser le préau, rompant ainsi l’orthogonalité stérile de la route figée entre le rail et la zone villa. À l’intérieur, trois poches végétalisées en pleine terre de tailles variées ont été aménagées. La plus grande abrite des espaces de repos et de rassemblement, tels que le foyer et la zone de la sieste. Entourée d’arbres et de haies, elle attire la faune locale, notamment les petits animaux, tout en contribuant à la connectivité écologique5. Elle est bordée au nord par le parking à vélos couvert, où des plantes grimpantes peuvent se développer. À l’est, la scène, installée sur une pelouse, est également encadrée par de la végétation. Enfin, le phare marque l’accès principal depuis l’établissement. Il se compose d’une prairie fleurie et d’un espace de pelouse. Majoritairement composés de plantes indigènes, les espaces végétaux renforcent la biodiversité locale.

Les poches vertes dessinent également un système de cheminements perméables réalisés avec de la grave naturelle récupérée lors du dégrappage. Afin de gérer efficacement les eaux pluviales, le projet intègre une noue paysagère, une légère dépression au centre de la plus grande poche, qui permet à l’eau de s’écouler naturellement et de s’infiltrer dans le sol.

Au centre, un couvert filigrane de 21 mètres de long sur 5 mètres de large se compose de trois modules distincts – une aula, une grande arche et un espace de rencontre. Alignés avec les grands bacs en béton existants, ces modules sont entièrement réalisés en bois local, fourni par le triage forestier de Monthey. Les arceaux métalliques de contreventement proviennent du réemploi d’une ancienne œuvre d’art municipale, stockée pendant plusieurs années à la voirie. La structure repose sur des pierres récupérées lors de la démolition de la villa existante de la parcelle, permettant à MOP A d’expérimenter et de développer un système innovant de fixation, où la base en bois est vissée directement dans la pierre, créant un effet de légèreté. Pour les fondations, des pieux d’ancrage remplacent les pieux en béton habituellement utilisés pour s’inscrire dans une démarche cohérente avec la technique du dégrappage. Cette partie du projet a été co-construite avec les élèves, qui ont participé activement à la découpe et au montage des différentes pièces de la structure. Les sections et les techniques employées ont été choisies pour favoriser leur implication à chaque étape de la réalisation. Tout le mobilier – chaises, tables, bancs – est conçu selon ce même modèle, contribuant à l’harmonie de l’ensemble.

Laisser place à l’imprévu

Au-delà de la dimension sociale et fonctionnelle du projet, qui cherche à dynamiser la vie communautaire d’un quartier, MOP A et les nombreux acteurs impliqués démontrent qu’il est possible d’agir de manière consciente et réfléchie dans le territoire urbain. En choisissant de «planifier par le vide», ils et elles transforment une villa et son jardin en un espace public ouvert à tous·tes. Cette approche, centrée autant sur le parcours que sur le résultat, a aussi permis d’initier les élèves à la culture du bâti par la transformation de leur espace de vie et de décloisonner, le temps du projet, l’urbanisme traditionnel pour privilégier un «urbanisme de situation». Celui-ci révèle le potentiel d’usage des lieux et permet de concilier de manière simple les attentes des futur·es usager·ères et les objectifs du projet.

Notes

 

1. Voir: La Ville est à Vous (2021, chantiers ouverts dans les quartiers des Pâquis, des Acacias, de Sécheron et des Délices [Genève] favorisant la participation et l’autonomisation des citoyen·nes), Jouxtens-Mézery (VD) (2021, collaboration avec les habitant·es et l’école pour repenser la centralité du village), ou encore le Parc Chemin des Côtes à Renens (VD) (2023, projet d’occupation test et co-construction de structures en bois de grande envergure).

 

2. En cela, les travaux MOP A s’inscrivent dans la définition de la sociologue américaine Sherry Phyllis Arnstein (1930-1997), qui a souligné l’importance de lier la participation citoyenne au pouvoir réel des citoyens. Voir: Sherry Arnstein, A Ladder of Citizen Participation, 1969

 

3. La maison en question a été détruite en raison de son état et de sa typologie, qui ne permettaient pas d’en faire un élément fonctionnel pour le groupe scolaire. Il s’agissait de la dernière maison de cette époque et de ce style dans le quartier. Après le décès des propriétaires, il a été jugé plus pertinent, tant pour des raisons de sécurité que d’utilité, de la démolir et de l’intégrer au préau.

 

4. Le dégrappage est une pratique clé dans le concept de la ville éponge. Il consiste à remplacer les surfaces bitumineuses, qui sont imperméables et accumulent la chaleur, par des sols naturels et perméables. Cette approche permet de redonner au sol sa capacité à absorber l’eau de pluie, favorisant ainsi la gestion des eaux pluviales, la réduction des îlots de chaleur urbains et la résilience des villes face aux événements climatiques extrêmes.

 

5. Les liens entre éléments du paysage qui favorisent les déplacements et les interactions des espèces.

Préau du Reposieux, Monthey (VS)

 

Maître d’ouvrage: Ville de Monthey

 

Développement du projet: atelier MOP A

 

Co-conception: les élèves et les enseignant·es du Cycle d’orientation du Reposieux, les utilisateur·rices du site avec la participation de Soluna (service jeunesse)

 

Organisation, encadrement et production: atelier MOP A

 

Démolition, récupération des tuiles en ­toiture et pierres taillées: Multone

 

Génie civil (dégrappage et cheminements piétons en grave naturelle): Multone

 

Paysagiste: Germa Paysages

 

Soin aux arbres existants: Elag’arbres

 

Pose des tuiles: Centre régional travail et orientation (CRTO)

 

Sous-couverture du couvert: Charpenterie Gétaz

 

Fondations du couvert: G.A.O construction bois

 

Électricité: Grau électricité

 

Réalisation: Début de la démarche septembre 2023 – inauguration juin 2024

 

Surface: 4000 m²

 

Coûts: CHF 260 000

Sur ce sujet