Pro­je­ter le site (lit­té­ra­le­ment)

Invention du «ferro-terre»

À Ursy (FR), Pittet Artisans construit son dépôt avec un béton projeté réalisé avec la terre d’excavation du site. Le chantier est une expérience inédite en Suisse romande.

Date de publication
13-12-2024

Et si, plutôt que de faire venir le béton par camion, on le réalisait sur place, directement avec la terre du site? Aujourd’hui, toutes les pistes sont bonnes pour valoriser la terre et réduire enfin les déchets d’excavations. Dans cette quête, on réanime volontiers des techniques ancestrales, mais coûteuses. L’entreprise Pittet Artisans, elle, emprunte une piste plus pragmatique, le béton de terre projeté. «On nous prend parfois pour des hippies, mais nous venons du chantier», rappelle volontiers Sébastien Pittet, également ingénieur de formation. Avec leurs connaissances techniques du chantier,  des capacités des machines et du coût horaire de chaque geste, les artisans ont inventé une solution qu’ils estiment aussi économique que l’emploi de béton traditionnel: ils recomposent l’ensemble des étapes de production du béton directement sur le site. Les unités mobiles rassemblées forment une petite usine qui effectue l’extraction, le criblage puis le mélange prêt à projeter.

Une fois les machines réunies et les équipes formées, l’opération s’avère très compétitive. Elle limite surtout le va-et-vient des camions (et donc le bilan carbone de l’opération) car elle exploite un gisement à portée de main : la terre du site. 

Un nouveau mélange  

Afin de réunir la main d’œuvre et l’équipement nécessaires, la société Opus Terra SA a été créée. Elle réunit les entreprises Pittet Artisans, Grisoni et Pizzera Poletti dont les maçons ont été formés. Quant à la technique, baptisée short-earth, elle est développée en collaboration avec la HES-SO et la HEIG-VD et son développement bénéficie d’un soutien Innosuisse. 

Une fois extraite, la terre est criblée afin de conserver des granulats de 16 mm, puis mélangée dans un camion muni d’un tapis-roulant avant d’être déversée dans le projeteur. La recette de ce béton peu ordinaire est composée à partir des propriétés de la terre alentour et de ciment comme liant. «On pourrait employer d’autres liants, précise Sébastien Pittet, c’est surtout une question de budget et de conception». Il peut s’agir de chaux, de plâtre ou de géopolymère, précise le prof. Marco Viviani (HEIG-VD), qui confirme que plusieurs liants bas carbone ont déjà prouvé leur efficacité1

Des voûtes catalanes aux voûtes de ferro-terre

À la différence du béton employé habituellement, le béton projeté (ou gunite) ne nécessite que peu de coffrage. Une fois le mélange humidifié, il est projeté à plus de 300 km/h, directement sur l’armature, à l’aide d’une lance maintenue à la main ou sur un bras téléguidé. Comme le mélange ne contient pratiquement pas d’eau, il sèche rapidement et épouse simplement les formes de l’armature. Celles-ci prennent la forme de coques dont les quatre pointes reposent sur des piliers préfabriqués. Le rendu sera brut – on aime ou on n’aime pas, mais pour ce premier chantier mis en œuvre par l’entreprise il s’agit bien d’un hangar, pas d’un musée.

Pour cette première étape, les formes arrondies du plafond n’ont pas été calculées de manière à optimiser strictement le report des charges. Il s’agit d’une volonté architecturale (sans architecte), celle de poursuivre le projet initial, qui consistait à fabriquer cet espace en voûtes catalanes (réalisées avec la terre du site, naturellement). Une telle construction est envisagée pour la seconde étape, une extension du hangar sur la même parcelle. Mais pour cette première étape l’entreprise a opté pour cette option expérimentale, afin de tester sa faisabilité technique et économique. Le dépôt sert donc de laboratoire, et bientôt de démonstrateur. 

 

Note
 

1. Voir l’article de Marco Viviani, «La shot-earth – une solution innovante pour une construction durable», Interface 40/décembre 2024

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