Air in­té­rieur à l’école: un en­jeu de santé pu­blique

Si la qualité de l’air dans les écoles n’est pas une nouvelle problématique en soi, la pandémie de COVID-19 l’a remise sur le devant de la scène. On semble ainsi avoir redécouvert les bienfaits de la ventilation des espaces intérieurs. Mais qu’en est-il vraiment? La ventilation mécanique fait-elle effectivement la différence? Les leçons de la pandémie ont-elles permis un changement durable des comportements?

Date de publication
18-10-2024

En 2010, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) définissait des indicateurs pour «fournir à chaque enfant, d’ici 2020, un environnement intérieur sain dans les établissements de garde d’enfants, les jardins d’enfants, les écoles et les lieux de loisirs publics»1. De nombreuses études menées depuis lors en Europe ont démontré le lien évident entre qualité de l’air, confort dans les écoles, performances d’apprentissage et santé des enfants2, 3, 4, 5. La qualité de l’air est impactée par de nombreux produits tels que les allergènes et les composés organiques volatils (COV) issus des matériaux de construction et de finition (revêtements de sol, ameublement, produits utilisés lors des activités scolaires)6, 7. Dans cette liste, on trouve aussi le radon et les particules fines issues de différentes sources intérieures ou extérieures telles que la circulation routière ou le terrain8. Néanmoins, c’est du CO2 dont on parle le plus souvent. Or, si sa concentration et la ventilation sont effectivement des indicateurs utiles pour qualifier la qualité de l’air intérieur (QAI), seule l’évaluation spécifique des polluants permet de connaître la toxicité réelle de l’air9.

En Suisse, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a publié en 2019 les résultats de l’étude De l’air frais dans les écoles en Suisse qui révélait que la QAI était insuffisante dans deux tiers des salles de classes équipées de fenêtres à ouverture manuelle. Elle y a même été jugée inacceptable (supérieure à 2000 ppm) pendant plus de 10% du temps d’enseignement. Une étude pilote effectuée après coup dans quelques écoles en employant le simulateurSimaria (outil en ligne développé pour aider les enseignant·es à planifier temps et fréquence d’aération de leur salle de classe) a montré une amélioration de la QAI10. Si l’association entre confort thermique, intensité de la ventilation et performance des élèves à l’école n’est plus à démontrer11, 12, 13, la corrélation est tout aussi évidente entre ces conditions et la diminution des symptômes respiratoires rapportés.

Enfin, dans le contexte énergétique actuel, la question de la ventilation des bâtiments est cruciale. La ventilation mécanique avec récupération de chaleur peut réduire les pertes de chaleur par rapport à la ventilation naturelle14 si et seulement si tout a été bien conçu, construit et mis en service. Par ailleurs la filtration peut contribuer à soulager la vie des 20% de la population allergique au pollen en Suisse. Pourtant en 2020, la Schweizericher Verein Luft and Wasserhygiene (SVLW) s’insurgeait contre le fait que trop peu est encore fait pour garantir une bonne qualité de l’air dans le bâtiment, alors que 14% des adultes et 10% des enfants souffrent d’asthme aggravé par un air de mauvaise qualité en Suisse.

Une approche interdisciplinaire pour traiter une problématique multifactorielle

Le centre romand de la qualité de l’air intérieur et du radon (croqAIR) de l’Institut Transform a décidé de s’emparer de ce sujet avec l’appui scientifique du comité de l’Observatoire romand et tessinois de la qualité de l’air intérieur (ORTQAI), fondé en 2022 dans le cadre du projet de recherche SCOL’AIR-FR (2021-2024).

Dans ce contexte, quatre campagnes de mesure de l’air aux protocoles identiques se sont succédé dans 24 écoles primaires du canton de Fribourg entre les hivers 2021 et 2023. Dans chaque école, deux salles de classe et un point extérieur ont été monitorés. Elles ont porté sur plusieurs polluants (COV, radon, PM2.5) et les facteurs de confort (température et humidité relative). Elles ont aussi considéré les caractéristiques constructives des bâtiments et leurs installations techniques, les activités et rythmes scolaires. Les échanges avec les gestionnaires des bâtiments et les usagers, ici les enseignant·es, sont aussi riches d’informations utiles. Les deux premières campagnes ont été marquées par les strictes conditions de désinfection et d’hygiène préconisées par les autorités en raison de la pandémie alors que la quatrième a eu lieu en pleine crise énergétique. Sans surprise, les écoles équipées de ventilation mécanique sont les plus récentes. Elles ont toutes été construites depuis les années 2000, avec une médiane en 2015. À l’inverse, l’année médiane de construction des écoles à ventilation naturelle est 1943, avec la plus ancienne des écoles étudiées construite en 1835.

Des résultats encourageants mais…

Globalement, les résultats montrent que les écoles ventilées mécaniquement se comportent mieux que les écoles aérées par intervention de l’occupant ; ces dernières enregistrent en moyenne des niveaux de CO2 deux fois plus élevés (ill. A). Il en est de même pour les autres polluants (radon et particules fines). Ces différences sont notables quelle que soit la campagne de mesures (ill. B) mais elles sont plus marquées en automne/hiver qu’en été et encore plus durant l’hiver 2023. Les concentrations de CO2 lors des deux premières campagnes sont très atténuées par les mesures d’aération mises en place pour lutter contre la contamination par le SARS-CoV-2. Au cours de l’hiver 2023, caractérisé par la crise énergétique, on constate une augmentation significative de 19% de la concentration moyenne de CO2 dans les écoles ventilées naturellement alors qu’elle est de moins de 5% dans les écoles ventilées mécaniquement. Par ailleurs, la part du temps d’enseignement pendant laquelle la concentration de CO2 dépasse 1000 ppm passe de 24 à 38 % dans les écoles ventilées naturellement contre une augmentation de 6 à 12% avec la ventilation mécanique. Pour rappel, la plage de concentration recommandée par la norme suisse SIA 180 Protection thermique, protection contre l’humidité et climat intérieur dans les bâtiments est de 1000-2000 ppm pour les espaces occupés. La norme SIA 382-1 Installations de ventilation et de climatisation – Bases générales et performances requises recommande quant à elle de dimensionner et d’utiliser les systèmes de ventilation mécanique de manière à ne pas dépasser 1400 ppm.

Les COV totaux sont quant à eux nettement plus élevés au cours des deux premières campagnes marquées par les restrictions liées au COVID-19 (ill. C). L’usage intensif de détergents et de désinfectants impacte grandement les mesures. Les niveaux mesurés au cours de l’hiver 2023 sont en revanche nettement plus faibles.

Enfin, l’humidité relative de l’air est très basse en hiver et de manière plus marquée dans les écoles ventilées mécaniquement (HR < 30%) durant la plupart du temps d’enseignement, engendrant maux de tête et saignements de nez chez les enfants et favorisant la propagation de virus. La situation est un peu meilleure dans les autres écoles mais demeure néanmoins inférieure au niveau de 40 % recommandé pour un air sain (ill. D).

La ventilation mécanique, un gage de succès?

Les tendances observées sont-elles attribuables au fonctionnement des systèmes de ventilation ou aux comportements des occupants? Nous avons expertisé tous les systèmes de ventilation mécanique rencontrés. Une relative cohérence entre les différentes unités principales de traitement de l’air installées a été relevée. Le débit nominal annoncé dans chaque salle de classe laisse supposer qu’une grande partie des installations ont été conçues pour mettre les salles de classe en légère surpression, ce qui devrait aussi inclure les toilettes. Nous avons néanmoins constaté d’énormes différences entre les débits d’air conçus et mesurés (de 1 à 3 fois le débit nominal) dans les salles de classes.

Sur l’ensemble des VMC expertisées, un seul système n’est pas équipé de ventilateurs modulants, qui permettent d’adapter les débits d’air aux besoins. Toutefois seules deux des installations équipées de ces ventilateurs modulants en tirent réellement parti. Toutes les autres fonctionnent sur un régime à deux vitesses. De même, aucune ne profite de la possibilité de réduire le débit d’air par temps froid pour maintenir l’humidité ambiante comme le recommande la norme SIA 382-1:2007 & 2014. Ces installations fonctionnent pour la plupart beaucoup trop longtemps et trop fort. L’adaptation des débits d’air en fonction des besoins effectifs permettrait des économies d’énergie substantielles, d’éviter un air trop sec en hiver tout en réduisant les coûts de maintenance des installations.

Enfin, plusieurs salles de classe mesurées sont en dépression au lieu d’être légèrement sur-pressurisées, en conséquence, elles sont partiellement alimentées par de l’air pré-pollué provenant d’une autre salle de classe ou du corridor. Le renouvellement de l’air est alors insuffisant pour offrir des conditions ­optimales aux enfants.

Renouveler l’air intérieur, un choix éclairé de la planification à l’occupation

Un bon concept de ventilation, qu’il soit naturel, mécanique ou mixte, doit être correctement mis en œuvre, exploité et surveillé pour atteindre le même objectif si la qualité de l’air extérieur est bonne.

Nos résultats soulignent que les problèmes mesurés dans les bâtiments équipés de systèmes de ventilation mécanique sont principalement liés à l’équilibre du système, au manque de connaissances de certain·es professionnel·es et à une mise en service puis un suivi trop souvent négligés. Un système de ventilation mécanique correctement conçu, construit, mis en ­service et exploité devrait être en mesure de fournir le débit prévu. L’adaptation des débits d’air aux besoins effectifs permettrait d’éviter la sur-ventilation observée dans les écoles et de faire des économies d’énergie substantielles.

Dans les bâtiments en ventilation naturelle dans lesquels on peut aussi prévoir des ouvertures automatiques en conception, l’occupant est le principal régulateur du climat intérieur. À ce titre, sa sensibilisation à la qualité de l’air conditionne largement son comportement.

Enfin, faire d’une bonne qualité de l’air un objectif à atteindre nécessite de réduire au maximum les sources de pollution intérieures en s’appuyant sur des démarches complémentaires et volontaires telles que l’analyse préalable des risques associés au site, les techniques constructives, le choix des matériaux de construction, les pratiques de nettoyages et l’entretien en exploitation.

Une mauvaise qualité de l’air intérieur est souvent le fruit de la combinaison entre dysfonctionnement du bâtiment et gestion inadaptée de celui-ci. Trop souvent les coûts induits sont l’argument avancé pour ne pas la traiter dans les règles de l’art. Or, dans le contexte actuel des changements globaux, il est déterminant de tout mettre en œuvre pour réduire la consommation d’énergie tout en assurant le bien-être des personnes et la durabilité du cadre bâti.

Dr Joëlle Goyette Pernot est professeure à la HEIA-FR et déléguée radon de l’OFSP pour la Suisse romande. Elle est également responsable du Centre romand de la qualité de l’air intérieur et du radon (croqAIR) et présidente de l’Observatoire romand et tessinois de la qualité de l’air intérieur (ORTQAI). Elle a écrit cet article avec la collaboration scientifique et technique du comité de l’ORTQAI et plus particulièrement de Claude-Alain Roulet, Philippe Favreau, Joan Frédéric Rey, Matias Cesari et Christophe Brunner de l’association QualiVentil.

Notes

 

1. WHO, «Methods for monitoring indoor air quality in schools», Report from the meeting 4-5 April 2011, Bonn, Germany, 2011.

 

2. H.-J. Moriske, R. Szewzyk, «Guidelines for indoor air hygiene in school buildings», Umweltbundesamt, Allemagne, 2008.

 

3. OQAI, « Qualité de l’air et confort dans les écoles en France : premiers résultats de la campagne nationale », Bulletin de l’OQAI, no 11, 2018.

 

4. L. Chatzidiakou, D. Mumovic, A. J. Summerfield, «What do we know about indoor air quality in school classrooms? A critical review of the literature», Intelligent Buildings International, vol. 4, no 4, 2012, pp. 228-259, doi.org/10.1080/17508975.2012.725530.

 

5. I. Annesi-Maesano, N. Baiz, S. Banerjee, P. Rudnai, S. Rive, «Indoor air quality and sources in schools and related health effects», Journal of Toxicology and Environmental Health, Part B, vol. 16, 2013, pp. 491-550, doi.org/10.1080/10937404.2013.853609.

 

6. E. Chatzidiakou, D. Mumovic, A. J. Summerfield, H. M. Altamirano, «Indoor air quality in London schools. Part 1: Performance in use», Intelligent Buildings International, vol. 7, nos 2-3, 2015, pp. 101-129, doi.org/10.1080/17508975.2014.918870.

 

7. G. Ramachandran, J. L. Adgate, S. Banerjee, T. R. Church, D. Jones, A. Fred­rickson, K. Sexton, «Indoor air quality in two urban elementary schools – Measurements of airborne fungi, carpet allergens, CO2, temperature and relative humidity», Journal of Occupational and Environmental Hygiene, vol. 2, 2005, pp. 553-566, doi.org/10.1080/15459620500324453.

 

8. C. Guerriero, L. Chatzidiakou, J. Cairns, D. Mumovic, «The economic benefits of reducing the levels of nitrogen dioxide (NO2) near primary schools: The case of London», Journal of Environment Management, vol. 181, 2016, pp. 615-622, doi.org/10.1016/j.jenvman.2016.06.039.

 

9. R. M. Baloch, C. N. Maesano, J. Christoffersen, S. Banerjee, M. Gabriel, É. Csobod, E. de Oliveira Fernandes, I. Annesi-Maesano, «Indoor air pollution, physical and comfort parameters related to schoolchildren’s health: Data from the European SINPHONIE study», Science of Total Environment, vol. 739, 2020, doi.org/10.1016/j.scitotenv.2020.139870.

 

10. C. C. Vassella, J. Koch, A. Henzi, A. Jordan, R. Waeber, R. Iannaccone, R. Charrière, «From spontaneous to strategic natural window ventilation: Improving indoor air quality in Swiss schools», International Journal of Hygiene and Environmental Health, vol. 234, 2021, doi.org/10.1016/j.ijheh.2021.113746.

 

11. W. J. Fisk, «The ventilation problem in schools: literature review», International Journal of Indoor Environment and Health, vol. 27, no 6, 2017, pp. 1039-1051, doi.org/10.1111/ina.12403.

 

12. P. Wargocki, D. P. Wyon, «The effects of moderately raised classroom temperatures and classroom ventilation rate on the performance of schoolwork by children (RP-1257)», HVAC&R Research, vol. 13, no 2, 2007, doi.org/10.1080/10789669.2007.10390951.

 

13. D. A. Coley, R. Greeves, B. K. Saxby, «The effect of low ventilation rates on the cognitive function of a primary school class», International Journal of Ventilation, vol. 6, no 2, 2007, pp. 107-112, doi.org/10.1080/14733315.2007.11683770.

 

14. R. Mosbacher, C. Sidler, «Raumluft in Schulbauten», Faktor, Architektur Technik Energie, 2020.

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