Architecture parlante (avec les voisins)
À Pully (VD), FAZ architectes réalise une opération de densification tout en douceur en surélevant d’un étage privatif une villa urbaine des années 1930 et en réalisant sur la parcelle adjacente un petit immeuble locatif de sept appartements. Tous deux cherchent le dialogue avec le voisinage.
Il n’est pas aisé de composer un semblant d’urbanité dans les quartiers cossus qui bordent le Léman. Au sud de l’avenue C. F. Ramuz à Pully se déroule un territoire quadrillé de villas urbaines tournées comme des petits soldats vers le même horizon (le lac, les montagnes) et rigoureusement confinées entre quatre haies. Le respect de la sphère privée et la fascination pour la vue ne favorisent pas la recherche d’une interaction architecturale. Ce que proposent les promoteurs de la région se résume à un slogan: «Votre balcon sur le Léman» et une architecture blanche, lisse, «moderne» dans les clichés.
Comme l’obsession de préserver son petit bout de grand paysage l’emporte sur d’autres considérations, pour s’insinuer ici il vaut mieux éviter de boucher la vue à ceux qui étaient là avant, se faire petit et, idéalement, disparaître. À deux pas de là, Localarchitecture dessinait en 2022 un plan ovoïde, centripète, un immeuble compact, dont la courbure n’offre que peu de prises aux regards de voisins prompts à s’opposer1. FAZ architectes choisissent ici une stratégie inverse: proposer une forme qui viendrait titiller les riverains, les inviter au dialogue. Le petit immeuble se contorsionne et tourne ses nombreuses façades comme autant de visages vers celles des immeubles alentour. Il recherche les vues, sur le proche comme sur le lointain – un arbre, une montagne, le balcon du voisin.
Composition
L’édifice est abondamment fragmenté afin de morceler sa longueur et l’inscrire dans l’échelle du quartier. Ce faisant, il multiplie les angles, les facettes, et donc les façades à traiter. L’attention des architectes se porte alors sur l’effort de composition pour caractériser l’opération. En effet, sans raffinement, la forme articulée contredirait la cohérence du tissu culturel ambiant, voire l’identité de ce quartier peuplé de somptueuses villas urbaines des années 1930. L’édifice doit parler une langue proche, celle du temps long, et les architectes ne craignent pas d’exploiter une palette d’outils de composition éprouvée: symétries axiales, matérialités contrastées, grammaire tectonique. Sur l’élévation sud, les loggias sont pourvues d’un généreux encadrement saillant recouvert de céramique et qui dote les façades d’une profondeur, d’une échelle intermédiaire, et soutient la corniche à la manière d’un pilastre monumental. Sur l’immeuble surélevé, un large bandeau marque la transition vers le nouvel étage, qui semble ainsi avoir toujours été là. Dans les deux opérations, ce travail classicisant évoque également les cadres et les bandeaux en béton ciselés qui caractérisent les immeubles Art déco du quartier.
Organicité
Le volume est taillé de manière à optimiser les vues, réduire les vis-à-vis ou, au contraire, confronter les façades. Pour ce faire, le plan est scindé en deux avec une césure franche et opère des mouvements latéraux qui singularisent chaque pièce. Avec ses diagonales libérées et sa fluidité de mouvement, il évoque encore – toute échelle confondue – certains infléchissements opérés dans les logements bourgeois de Milan ou de Barcelone pendant cet après-guerre que l’on continue d’idolâtrer2. Dans l’immeuble Casa de la Marina, par exemple (1951-1954, Barcelone), Antonio Coderch et Manuel Valls provoquaient à partir d’un pli généré dans la cage d’escalier une succession de mouvements qui se répandent sur tout l’étage. On applique dans le petit immeuble une stratégie similaire: à l’exception de l’ascenseur, aucune pièce rectangulaire ne subsiste. Les angles s’ouvrent, comme pour adoucir les relations et les passages entre chaque espace, celui du vent, de la lumière, ou des habitant·es.
À l’extérieur, les architectes ont tâché d’ouvrir autant que possible la parcelle, en supprimant les haies du côté le plus conciliant. Chacun réalise bien vite que l’espace, ainsi mutualisé, est bien plus vaste. Tout le monde en tire bénéfice. Quant au stationnement, il est réduit de moitié par rapport aux besoins recommandés par cette norme désuète que certaines communes imposent encore. Cela permet d’éviter de réaliser un étage souterrain dispendieux et une rampe d’accès qui sacrifierait une surface importante de pleine terre. Dans l’esprit, cette approche préfigure le «demi-moratoire» mis en place en 2023 par la Municipalité de Pully, et qui n’autorise plus les projets qui emploient trop de surface au sol.
Construction
L’immeuble compte donc des caves en sous-sol, puis deux appartements par étage et un en attique. C’est une opération relativement banale, qui ne propose ni offre mixte, ni espaces communs, si ce n’est un hall d’entrée généreux. D’un point de vue constructif, les parties enterrées et la distribution sont réalisées classiquement en béton armé. À partir de là, les architectes se sont efforcées de trouver des solutions pour minimiser l’emploi du béton armé, en y renonçant partout où cela est possible. Les cages d’escalier sont laissées brutes, simplement peintes. L’ossature des façades et les planchers d’étages sont en bois: des dalles BLC de 14 cm et un surbéton affiné à 6 cm, avec des surépaisseurs à 10 cm aux endroits des connecteurs. Pour diminuer leur portée et ajouter un peu de masse thermique, un mur porteur supplémentaire réalisé avec un béton de chaux (5 % de ciment) sépare la cuisine et le séjour. Laissée brut de décoffrage, sa surface donne à lire visiblement les traces des clous, des veines du bois et des joints. Les planches ont été savamment appareillées de manière à reproduire un effort tectonique (socle et couronnement horizontal, corps à la verticale) qui semble tenir le plafond dont le bois est visible.
De manière générale, la référence signalée à l’architecture de Coderch et Valls pourrait se poursuivre dans le traitement (brut ou «pauvre» / povera) qui caractérise l’esprit dans lequel l’immeuble est réalisé. Les matériaux sont mis en œuvre comme finition, de manière à éviter les couches inutiles (le placoplâtre est pratiquement banni) – et donc employer chaque corps de métier au mieux, en limitant son travail à l’indispensable.
Climats
Le mur en béton de chaux entre dans une stratégie que l’on pourrait qualifier de bioclimatique, même si ce terme n’est pas toujours compris ou accepté sous nos latitudes. Il s’agit simplement (comme ce fut le cas depuis l’Antiquité), d’exploiter les propriétés du plan pour maximiser le bien-être climatique, avec le concours des habitant·es. Chaque appartement est ainsi doté d’une loggia fermée, un espace tampon protégé et muni d’un rideau d’ombrage extérieur. Quant à l’appartement en attique, il est doté de deux autres dispositifs climatiques: une pièce qui chauffe, à l’extérieur, une qui rafraîchit, au centre du plan. La première est un solarium réalisé dans le creux d’un mur courbe enduit de chaux qui, tel un four solaire, capte le rayonnement et protège de la bise. La seconde résulte d’une interprétation du règlement de construction pulliéran. Celui-ci autorise d’aligner un attique sur la façade existante (et non en retrait) sur max. 3/5e des surfaces bâties. Pour créer la diversité d’usage, les architectes ont évidé la pièce centrale, la traitant en loggia, voire en courette. Comme elle est pourvue d’une ouverture zénithale, parfois, il pleuvra dans cette pièce.
En résumé, c’est bien une architecture «parlante», familière, qui anime ces deux opérations. Parce qu’elles ne mentent pas, disent ce qu’elles sont, mais aussi parce qu’elles adressent volontiers la parole à leurs voisin·es.
Immeuble d’habitation et surélévation d’une villa urbaine, Pully (VD)
Maître de l’ouvrage
Privé
Architecture
FAZ Architectes
Ingénieur civil
gex&dorthe ingénieurs consultants
Physique du bâtiment et CVS
Perenzia
Coût TTC
3.5 mio CHF
Réalisation
2021-2023
Notes
1 Marc Frochaux, «La rationalité d’un plan ovoïde», TRACÉS 4/2021
2 Par exemple avec la publication coordonnée par Elli Mosayebi et Michael Kraus, The Renewal of Dwelling – European Housing Construction 1945–1975, Triest Verlag, 2023.