Con­trats d’al­liance: tendre en­semble vers le même ob­jec­tif

La SIA travaille actuellement à l’élaboration d’un nouveau cahier technique consacré aux contrats d’alliance. Formulées de manière à favoriser un état d’esprit partenarial, ces bases contractuelles alignent les incitatifs économiques sur la réussite du projet. En ce que les intérêts des parties se recoupent avec l’atteinte d’un objectif commun, elles engendrent une dynamique vertueuse: en cas de problème, les acteurs de projet sont ainsi amenés à adopter une attitude constructive et pragmatique, et à chercher des solutions main dans la main.

Date de publication
06-06-2023
Heinz Ehrbar
ingénieur civil ETH/SIA, président de la commission SIA 118 et responsable du groupe de travail SIA 2065

La construction est un secteur de poids de l’économie suisse, et représente quelque 10% du produit intérieur brut (PIB), ce qui correspond à des milliers de projets portant sur des prestations de conception et de réalisation de haute volée. À l’origine de ces projets, on trouve, en règle générale, des mandats ou des contrats d’entreprise arrimés aux dispositions correspondantes du droit des obligations et des normes en vigueur, notamment celles de la SIA. En principe, les choses se passent alors de la manière qui suit : le maître de l’ouvrage décrit les prestations attendues de façon détaillée, puis l’entrepreneur établit ses prix en se fondant sur ces descriptifs de prestations et en tenant compte de ses capacités. Généralement, les résultats escomptés sont au rendez-vous, mais cela suppose que le projet soit clairement défini (art. 5, al. 1 SIA 118) au préalable.

Gérer risques et opportunités

Les projets de longue durée et/ou présentant un degré élevé de complexité s’accompagnent de risques significatifs et présentent de nombreuses interfaces. Ils constituent de ce fait un terrain propice aux modifications, car il est pratiquement impossible de prévoir toutes les éventualités et d’avoir une vue exhaustive de tous les paramètres du projet au moment de la formulation de l’appel d’offres. En effet, des changements des conditions-cadres, de nouvelles directives du mandant ou des informations supplémentaires peuvent changer la donne en cours de projet. La norme SIA 118 et l’art. 373 al. 2 CO fixent un cadre très général à la gestion des imprévus. Mais seule la norme SIA 118/198 consacrée aux constructions souterraines fournit un mécanisme de quantification détaillé des conséquences sur les finances et les délais d’un changement des conditions-cadres.

Prise en charge des risques

Les modifications de projet soulèvent bien souvent des discussions autour de la définition des responsabilités et de la quantification des conséquences contractuelles. La cause de ces situations parfois tendues réside dans la structuration même des rapports contractuels en vigueur dans la construction. Tant le mandat que le contrat d’entreprise (tout comme le contrat d’alliance) sont conçus comme des échanges de prestations, où chaque partie agit selon ses intérêts et porte sa part des risques. Si des difficultés surviennent, ce compartimentage des responsabilités peut mener à des blocages et des dissensions, voire, chez certains mandataires indélicats, susciter l’envie de tirer profit du problème. Les contrats traditionnels ne s’articulent généralement pas autour d’objectifs communs. Mais même lorsque c’est le cas ou que des obligations de coopération ou de partenariat y sont stipulées, ces clauses restent souvent sans effet en raison de la structure des incitatifs, et notamment de l’allocation des risques. Résultat, que ce soit avant ou après la conclusion du contrat, les parties se concentrent en priorité sur leurs propres risques et tentent de reporter d’éventuelles conséquences sur les autres parties du projet. Une situation qui, au final, barre la route à une prévention globale des risques et à une résolution constructive et rapide des problèmes.

Modèles de contrat traditionnels

Les inconvénients de ces structures contractuelles sont les suivantes:

  • aucune vision d’ensemble du projet et de l’ouvrage d’un point de vue technique;
  • analyse lacunaire (non globale) des risques;
  • communication insuffisante entre les partenaires de projet;
  • synergies potentielles inexploitées  
  • en cas de problèmes, comportements défensifs, accusateurs et contestataires et non pas de recherche de solutions.

Toutefois, certaines mesures permettent de réduire le potentiel de tension inhérent aux contrats classiques. Il est par exemple recommandé de décrire avec plus de précision les prestations souhaitées ; de réglementer dans le détail l’apport de modifications (conditions, processus et conséquences) ; de répartir équitablement les risques et de les assumer conjointement ; de partager des espaces de données numériques ; de définir des processus décisionnels clairs ou encore de convenir de mécanismes extrajudiciaires de résolution des conflits. Ces démarches peuvent faire toute la différence, de nombreux projets en attestent.

Modèles partenariaux

Les tensions ne sont pas une fatalité, et il est possible de les prévenir en amont en choisissant un modèle de contrat qui tient compte de tous les intérêts en jeu, de manière à ce que la maîtrise d’ouvrage et ses partenaires contractuels en sortent soit tous gagnants, soit tous perdants. Les intérêts de chaque partie coïncident ainsi avec ceux du projet. Ces trente dernières années, de telles approches se sont développées et ont été mises en pratique surtout dans les pays anglo-saxons.

Elles se caractérisent par les cinq points suivants :

  1. prise en charge, analyse et gestion communes des risques (opportunités et dangers), en excluant dans une large mesure la responsabilité réciproque (ce principe ne s’applique pas si l’une des parties contrevient à ses obligations, que ce soit par négligence ou délibérément);
  2. instauration d’une culture de la collaboration orientée sur la recherche de solutions et fondée sur des valeurs (culture sans blâme, code de valeurs commun) grâce à la limitation de la responsabilité évitant les stratégies de report de la responsabilité;
  3. définition commune des prestations et des coûts dans le cadre d’un dialogue;
  4. Pilotage commun du projet et décisions prises en commun par une équipe intégrée, selon le principe best for project ;
  5. rémunération incitative liée à la réussite du projet («win-win» ou «lose-lose»).

Dans les pays où ces modèles ont été introduits, ils ont, dans de nombreux cas, contribué de manière déterminante à un meilleur déroulement du projet, favorisant le respect de nombreuses exigences et pas uniquement des coûts et des échéances. Pour atteindre l’excellence, les acteurs de projet doivent sortir des schémas de pensée classiques et être prêts à en faire plus lors de certaines étapes. En effet, par rapport aux modèles traditionnels, les modèles partenariaux exigent un investissement bien plus important durant les premières phases de projet – ce jusqu’à ce que les partenaires de réalisation aient été trouvés au terme d’une procédure de dialogue. Ceci vaut particulièrement pour le secteur public, où la procédure de dialogue doit être menée avec trois fournisseurs jusqu’à ce que le projet ait atteint un niveau de maturité suffisant. De ce fait, les modèles partenariaux ne se prêtent qu’aux assez grands projets publics et/ou présentant un degré élevé de complexité. En résumé, avant de s’engager dans un contrat d’alliance, les concepteurs doivent être disposés à abandonner certaines pratiques traditionnelles et à s’investir pleinement dans la coopération, pierre angulaire de cette forme contractuelle.

Nouveau cahier technique en vue

Les contrats d’alliance sont des contrats pluri-parties de type contrat d’entreprise présentant de nombreuses caractéristiques qui peuvent faire la différence, dont la prise en charge commune des risques. Il sera bientôt plus facile d’y recourir puisque la SIA élabore actuellement un cahier technique assorti d’un modèle de contrat qui leur sera consacré. La publication est prévue courant 2024.

Reste à espérer que des maîtres d’ouvrage, tant du secteur privé que public, seront disposés à concrétiser leurs projets sur la base de ce modèle. Leur démarche permettra ainsi d’en démontrer concrètement les avantages – soit d’un contrat assurant l’alignement des intérêts en jeu – pour le bien de l’industrie suisse de la construction.

 

 

Le 26 septembre 2023 à Berne, la SIA organise un colloque consacré aux contrats d’alliance. La manifestation se déroulera en allemand avec interprétation simultanée en français. Informations complémentaires : https://allianzvertraege-2023.events.sia.ch/?lang=fr

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