De la lanterne magique au Cube
Lauréat d’un concours remporté en 2017, le bureau MAK architecture a récemment livré le Cube, un bâtiment polyvalent dédié à la culture et aux événements, sur le site de Beausobre, à Morges (VD). Comment passe-t-on de l’abstraction du concours à la réalisation physique ? Récit d’un exercice exigeant.
La Suisse possède un outil d’attribution de marché formidable: le concours. Ces dernières années, le bureau MAK architecture de Zurich s’est illustré en remportant mandat sur mandat: la centrale de chauffage à distance et l’établissement médico-social d’Orbe (2015), l’établissement médical de Nyon (2016), les foyers de Beausobre – «le Cube» – de Morges (2017), le musée d’histoire naturelle de Genève (2017), l’école professionnelle de Winterthour (2019), l’école technique de Berthoud (2020)… Une liste impressionnante qui démontre que les jeunes agences peuvent régater, même en procédures ouvertes. MAK, un acronyme pour machine à concours?1
Ce palmarès laisse le choix au bureau – comme le raconte Marcia Akermann, l’une des deux associé·es, pendant la visite du Cube – de ne pas accepter de mandats directs, préférant pour le moment se focaliser sur ce mode d’attribution plus héroïque; une réussite que bien des confrères et consœurs leur envient certainement. Ces prix, le bureau les doit cependant moins à la chance qu’à l’intelligence dont il fait preuve à l’égard des cahiers des charges. L’approche radicale, mathématique et élégante de MAK architecture a séduit bien des jurys.
Aujourd’hui, la plupart de ces projets sont en phase de réalisation. Le Cube, l’un des premiers d’entre eux à être finalisés, offre l’occasion de se pencher avec attention sur ce processus difficile de sublimation: du concours à la réalisation.
Cube, comme Culture de Beausobre
Beausobre a longtemps été un domaine arborisé sur les hauts de la commune de Morges. En 1977, la propriété, léguée à la Ville, abrite un théâtre conçu par Pierre Grand. Au fil des années, le site accueille de nouvelles infrastructures publiques (collège, conservatoire, accueil et restauration pour enfants en milieu scolaire, foyers, salles modulables, stationnement). En 2013, une étude préliminaire engagée par la Municipalité définit un scénario qui prévoit de préserver au maximum le parc en limitant l’impact au sol des extensions. Pour ce faire, le scénario envisage un programme de rénovation et de surélévation échelonné jusqu’en 2030 et intègre un seul et unique nouveau bâtiment, ancré au sud-est du site, entre la salle de gymnastique et le parking de l’école, qui sera mis au concours en 2017.
À l’époque, MAK architecture convainc le jury par un projet à la volumétrie compacte et non directionnelle – un cube – qui s’insère dans l’ensemble existant, délimite l’espace public central et préserve les qualités du parc. Le visage offert sur l’avenue des Pâquis par le nouvel espace culturel était l’un des points forts de la proposition des lauréats: un accès, un regard et une adresse face à une artère fréquentée majoritairement par des véhicules. Le bâtiment dans la pente s’ouvre aussi, un étage plus haut, sur l’esplanade qui lie entre eux les différents programmes du site : une implantation redoutablement efficace.
Dans le nouveau bâtiment, les trois programmes principaux sont une grande salle modulable de 600 m2, une salle multifonction dotée de gradins escamotables pour accueillir des spectacles et, enfin, une petite salle modulable de 320 m2, principalement dédiée aux assemblées du Conseil communal. La structure porteuse du projet est en béton et le traitement acoustique de chaque salle est réglé par un revêtement en bois qui lui est propre. Comme des boîtes dans le cube, les grandes portées nécessaires à certains programmes – 15 m pour la grande salle modulable et la salle multifonctions – ont été résolues par des poutres en béton préfabriqué.
Ces différentes boîtes sont mises en relation par le hall central, verticalisé par un spectaculaire escalier hélicoïdal, souligné par une délicate main courante en laiton. La forme puissante de l’escalier se développe au centre d’un vide elliptique, un œil, lui-même baigné de lumière par un gigantesque lanterneau. Pour réaliser cet objet sculptural, déjà dessiné au stade du concours, il a fallu toute l’ingéniosité des architectes et des constructeurs métalliques. L’atrium est beau, sobre, minéral, bruyant aussi. Le sol, une chape incrustée de marbre de Carrare, se marie au béton apparent des murs et du plafond. Les architectes ont assumé cette minéralité brute, laissant aux visiteur·euses le loisir d’amener la chaleur humaine. Les bars et les espaces attenants s’insèrent dans cette forme aux contours indéfinis. C’est enfin dans les détails, d’une précision toute zurichoise, que se loge la beauté de ce projet: des sanitaires à la signalétique, les architectes livrent un projet total.
La dictature de l’image
Avant qu’il ne soit renommé «le Cube» par les autorités, les architectes avaient baptisé leur projet «la lanterne magique», en référence à l’ancêtre des appareils de projection du 17e siècle. Ce nom, la proposition le doit à la matérialité de la façade choisie dès le stade du concours, fin assemblage de clinkers sablés qui devaient s’ouvrir ou se refermer au gré des usages, résille de terre illuminée, la nuit, par les activités qui se dérouleraient à l’intérieur des foyers.
C’est l’une des choses qui m’a frappée lorsque j’ai longé l’avenue des Pâquis pour parvenir au site de Beausobre : la ressemblance parfaite du bâtiment de trois étages avec l’image de rendu du concours. Il a fallu toute l’adresse des architectes de MAK pour régler, en phase de projet, le calepinage des façades en briques produites par Petersen Tegl, le célèbre fabricant danois. Malgré la performance technique, j’ai éprouvé une forme de malaise devant le choix de ces quelque 40 000 briques. Je devrais m’habituer à cette esthétique – après tout, on la retrouve désormais sur les façades de nombre de lieux culturels, dans le sillage lointain du sensationnel Kolumba Museum de Peter Zumthor (Cologne, 2007), au Kunstmuseum Basel (2016), au MCBA Lausanne (2019, où le matériau sera finalement remplacé par des briques produites dans le nord de l’Allemagne) et, plus récemment, au théâtre de Carouge (2021). Mais c’est peut-être cet aspect générique et décontextualisé qui, justement, me dérange; comme une tentative de revêtir des immeubles flambants neufs d’un habit façonné par des matériaux sobres et simples, qui évoquent peut-être un passé industriel, et qui laissent présumer un choix économiquement sage: une diva en robe de bure. Si la métaphore est touchante, elle n’en est pas moins hypocrite, puisque la Suisse romande laisse mourir ses fabricants de briques – la manufacture de Bardonnex était l’une des dernières.2 Et tandis que la visite avec la presse locale s’est transformée en match de tennis entre les journalistes et l’architecte – les un·es demandant systématiquement d’où provenaient le bois des sols, des murs et des plafonds, l’autre répondant à la volée et de manière précise par des noms de régions romandes –, nul ne semblait se soucier de la façade.
L’expression en briques de parement adoptée par de plus en plus de lieux culturels est un phénomène intéressant, mais qui ne semble pas assez conscientisé. Même dans les projets les plus réussis, c’est peut-être dans les détails de ce type que l’on constate les limites de l’exercice du concours, de plus en plus soumis à la dictature de l’image. Le render fige: et ce qui avait été choisi pour des raisons atmosphériques et esthétiques se retrouve à devoir être réalisé coûte que coûte – quand bien même les architectes prendraient conscience au cours du projet, que ni le matériau, ni sa mise en œuvre ne sont reliés au contexte. Le volume rugueux, chaleureux et vibrant du render s’est transformé, une fois photographié, en un objet hermétique, lisse et minéral.
Notes
1 Tracés 1/2021 «Place aux jeunes!»
2 Audanne Comment, «La tuile de Bardonnex n’est plus», Tracés 4/2021
Foyers de Beausobre, Morges (VD)
Maître d’ouvrage
Ville de Morges
Architecture
MAK architecture
Direction de travaux
Pragma partenaires
Ingénierie civile
Boss & Associés Ingénieurs Conseils
Construction métallique
Joux
Physique du bâtiment
Enpleo
Ingénierie CVS
Basler & Hofmann West
Ingénierie électrique
BG Ingénieurs Conseils
Ingénierie acoustique
Décibel Acoustique
Éclairagiste
Lumière Électrique
Signalétique
Coral Studio
Procédure
Concours ouvert, 1er prix, 2017
Planification
2017-2020
Réalisation
2020-2022
Surface de plancher brute
3778 m2
Coût HT CFC2
16.7 mio CHF