Dé­pen­dances bour­geoises: deux pa­vil­lons de lo­ge­ment à Gen­thod

La partie supérieure du centre du village de Genthod (GE) est ­caractérisée par une série de maisons bourgeoises de tailles moyennes, ­entourées de dépendances et de beaux arbres centenaires1. L’une d’elles, datant de 1912, est depuis peu flanquée de deux nouvelles constructions de type pavillonnaire, abritant des logements locatifs. Propriétaire de ce terrain, la Commune de Genthod a souhaité étendre son offre de logement en location à travers un projet de densification du bâti.

Date de publication
20-05-2021
Nicolas Bassand
architecte EPFL, docteur ès sciences et chargé de cours hepia / HES- SO

La maison d’origine occupe une position centrale devant un jardin en légère pente. Elle abrite trois étages principaux, et un quatrième sous combles. Avant la construction des pavillons, chaque étage comportait déjà un appartement indépendant en location. À cet égard, le rez-de-chaussée de cette maison, surélevé de quelques marches, facilite la lecture d’un terrain naturel partagé. Par ailleurs, son architecture et sa taille modeste (un plan d’environ 10 × 10 mètres) peuvent s’apparenter au style Biedermeier2. En effet, le plan se caractérise par un long couloir central distribuant quatre pièces d’angles principales, de tailles presque identiques. Leurs murs d’angles sont régulièrement ­percés, en leur centre, par une fenêtre. En ce sens, ces pièces correspondent au concept de plan neutre, qui offre la possibilité d’intervertir une chambre avec un salon3.

«Les projets les plus simples prennent la teinte de l’âme qui les conçoit»4

Mandaté en 2017, le bureau d’architecture Sylla Widmann a conçu ces deux pavillons qui proposent en tout quatre nouveaux appartements, avec, ici aussi, un seul logement à chaque étage (au rez-de-chaussée et au premier étage). D’emblée, ils ont voulu conserver le caractère unitaire du site et la générosité de son jardin. Dans ce but, ils ont consolidé les qualités déjà présentes en systématisant par une longue strate arrière l’entrée des logements au nord-est et en maintenant sur l’avant l’étendue collective du jardin. De par sa masse murale et son imposante toiture mansardée, la maison d’origine conserve une forte présence sur le site, en regard des deux nouveaux volumes qui la devancent dans la déclivité du jardin. Ceux-ci semblent néanmoins l’encadrer, dans une composition presque symétrique. Abstraction faite des prolongements extérieurs, leurs plans respectifs sont de dimensions très semblables à la maison de 1912. Toutefois, les pavillons ont deux étages de moins et des toitures plates. Aussi, leurs silhouettes formées de trois plateaux ouverts superposés, en béton apparent et de géométrie mouvementée, manifestent un contraste saisissant avec la maison préexistante, beaucoup plus statique et verticale. Ainsi, leur intégration à la parcelle établit une hiérarchie claire entre maison principale et dépendances.

Une assise intérieure

Dans chaque pavillon, le couvert d’entrée est également, au nord-est, une terrasse collective. Il est soutenu par des potelets métalliques et bordé d’un escalier menant au premier étage. En second plan, contrastant avec les inflexions géométriques des têtes de dalle, un fin bardage vertical en mélèze pré-grisé revêt l’enveloppe chauffée, conçue de façon parfaitement orthogonale. Une fois à l’intérieur, il s’opère un retour soudain aux valeurs traditionnelles de la maison d’origine. Immédiatement, une ambiance introvertie émane du hall d’entrée, avec son long couloir rythmé par de hautes portes reliant le sol au plafond. Soulignées par d’élégants cadres en chêne, ces verticalités prononcées rendent l’antichambre intimidante. En particulier, l’ouverture du fond sur le salon affirme une figure de symétrie presque sacrale. Bien que distributive, cette première pièce s’annonce déjà, par ses proportions (1,7 × 5 m), comme un lieu d’assise. De fait, les architectes cherchent précisément à offrir cette valeur domestique fondamentale à leurs pièces d’habitation. Dans un certain nombre de leurs derniers projets, ils s’orientent effectivement vers une plus grande compartimentation du plan et une valorisation de l’autonomie de chaque pièce, créant des lieux de résidence distincts dans la maison. À l’exception du salon, aux proportions plus allongées, les pièces d’angles (cuisine et chambres) s’approchent d’un format carré permettant d’y projeter diverses appropriations. En parallèle, ces quatre pièces réaffirment une certaine modernité en ouvrant l’angle sortant, non plus avec deux fenêtres centrées, mais de généreuses baies vitrées. Ici se reconquiert par la diagonale une ouverture physique et visuelle qui avait temporairement disparu dans le dispositif introverti de l’entrée. Ce continuum spatial est appuyé par le plafond en béton apparent, dont les lignes fines du coffrage se poursuivent entre l’intérieur et l’extérieur, sous terrasse. Mais les baies vitrées ne mettent pas pour autant à nu leurs usagers vis-à-vis du dehors. Dans chaque pièce, elles sont contrebalancées par des pans de murs pleins qui permettent d’alterner avec souplesse exposition et repli.

La libération du plan s’étend ensuite aux terrasses, dont le dessin d’ensemble (en plan) induit une idée de mouvement continu, en aile de moulin. Élargies par des contours obliques, ces terrasses enrichissent sensiblement les usages compartimentés des pièces intérieures. Certaines procurent un parcours alternatif entre pièces depuis le dehors. D’autres permettent de s’extraire du dedans en s’appuyant sur un pan de mur extérieur. Aussi, leur position au rez-de-chaussée, légèrement surélevée par rapport au terrain, consolident le démarcage entre logement privé et jardin partagé. Elles forment enfin un seuil déterminant pour mettre à distance la maison d’origine, dont les niveaux d’étage ne sont pas identiques à ceux des pavillons. Ainsi, la profondeur des terrasses estompe les vis-à-vis entre voisins.

Entre la dépendance et la maison

À l’arrière d’un sas distributif, les salles de bains délivrent à leur tour une tout autre ambiance, qui peut à nouveau évoquer une dépendance, comme un vieil abri de jardin. Plongé dans la pénombre, ce type d’intériorité secondaire pouvait être autrefois agrémenté d’un claustra simplement ouvragé qui, traversé par la lumière, produisait une figure marquante. Ici, la lumière naturelle se diffuse à travers un motif d’ouverture similaire, transperçant à la verticale la continuité du bardage extérieur. Par conséquent, les salles de bains sont pour ainsi dire «dépendantes» d’une singulière ambiance lumineuse relevant d’une ornementation vernaculaire, propice à l’intimité.

Si, à l’extérieur, ces deux pavillons s’apparentent aisément à des dépendances, ils réinterprètent à l’intérieur les codes d’une maison bourgeoise. Néanmoins, cette hybridation de deux types, en convoquant une grande variété d’ambiances, modernes et traditionnelles, forme une image d’ensemble cohérente et familière. D’ailleurs, elle se fond déjà dans la quiétude de ce village arborisé tout en ayant capté, des concepteurs, la teinte de leur âme.

Notes

 

1. Construites entre le 19e et le 20e siècle, ces demeures investissent des terrains bien plus réduits que les grands domaines, datant en grande partie du 18e siècle (domaines de Malagny, de Saugy, etc.).

2. Le style Biedermeier incarne, en architecture, les valeurs de cette petite bourgeoisie germanique du 19e siècle affectionnant simplicité et discrétion.

3. La théorie du plan neutre a été développée par Martin Steinmann, dont Marc Widmann a été l’assistant.

4. Citation de : Claude-Nicolas Ledoux, L’architecture considérée sous le rapport de l’art, des mœurs et de la législation, Paris, 1804

Deux pavillons de logement à Genthod (GE)

 

Études préliminaires: 2016,

 

Réalisation: 2019-2021 

 

Maître d’ouvrage: Commune de Genthod

 

Architecture: sylla widmann architectes

 

Direction de travaux: Thinka Architecture studio sàrl

 

Ingénieur civil: B + S Ingénieurs Conseils SA

 

Ingénieur CVS: Energestion SA

 

Ingénieur E: MD Engineering

 

Géomètre: Buffet-Boymont SA

 

Acousticien: Decibel Acoustique

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