Di­ver­sité bio­lo­gique sur et sous l’eau

Sur la rive sud du lac d’Uri, de nouvelles îles et zones d’eau peu profonde ont été créées au début des années 2000 à l’aide de matériaux d’excavation provenant des chantiers du Gothard et de l’Axen. Ces travaux ont favorisé la biodiversité végétale et animale. Un deuxième remblayage doit maintenant s’inscrire dans la continuité de ce succès.

Date de publication
19-06-2024

L’embouchure naturelle de la Reuss sur le lac d’Uri accueillait jadis, d’après les archives, des zones de faible profondeur qui ont peu à peu disparu. Lorsque le niveau de l’eau était bas, elles émergeaient, comme des îles. Si l’idée de reconstituer de telles «îles» est envisagée depuis longtemps au niveau de la planification, elle n’a été mise en œuvre que très récemment. Entre 2001 et 2008, deux groupes d’îles et de nouvelles zones de faible profondeur ont été créées à partir de 2.5 millions de tonnes de déblais provenant du tunnel de base du Gothard et du tunnel de contournement de la N4 à Flüelen. Cette zone s’est entre-temps intégrée dans l’écosystème existant et contribue de manière significative à l’augmentation de la biodiversité dans le delta de la Reuss. Aujourd’hui, les habitats pour la faune et la flore, l’exploitation agricole et touristique ainsi que l’extraction de gravier1 coexistent sur le delta – l’environnement, la société et l’économie se trouvent en équilibre et profitent les uns des autres. Ce projet de remblayage du lac est une première en Suisse.2

Projet phare pour la faune et la flore

Des répercussions écologiques sont à prévoir dans tous les cas lors d’un remblayage de lac car les plantes aquatiques et les zones de reproduction des poissons sont recouvertes. De plus, il existe un risque de turbidité dans le lac. C’est ce qui s’est passé il y a 20 ans lors du premier remplissage du lac dans le delta uranais de la Reuss. Depuis, une végétation diversifiée s’est formée sur cette terre nouvellement créée. La commission du delta de la Reuss3 mise en place par le Canton d’Uri accompagne le développement de la faune et de la flore. Au fil des ans, les conditions évoluent et la situation doit être surveillée en conséquence. Si le besoin s’en fait sentir, il faut réagir par des mesures ciblées.

Les contrôles à long terme effectués par les biologistes dressent un tableau positif: lors des relevés de végétation de l’été 2015, ils ont trouvé 335 espèces végétales. Dix d’entre elles sont menacées ou protégées à l’échelle nationale, comme le Souchet jaunâtre ou l’Œillet prolifère. Une comparaison des cartographies de 2015 et de 2009 montre clairement qu’il existe une grande dynamique dans le delta. De grandes surfaces pionnières sont apparues sur la rive gauche, de même que dans le bras latéral droit de la Reuss. Sur les anciennes surfaces pionnières, des buissons de saules ont poussé ou ont été emportés par les eaux.

La dynamique se reflète également dans la liste des espèces. Ainsi, en six ans, quelque 55 espèces végétales ont disparu, tandis qu’une centaine sont apparues. C’est dans l’association pionnière que les variations ont été les plus importantes ; ici, on compte 48 espèces disparues pour 66 nouvelles découvertes. D’un point de vue botanique, l’évolution de l’estuaire est un point fort. La seule ombre au tableau est la propagation de plantes problématiques telles que l’Impatiente glanduleuse, la Renouée du Japon ou le Séneçon sud-africain, une plante toxique.

Mais la flore n’est pas la seule à en profiter : les populations d’oiseaux, d’insectes et de reptiles ont également augmenté rapidement. Il en va de même sous l’eau: les plantes aquatiques ont rapidement colonisé les zones d’eau peu profonde nouvellement remblayées. Les populations de poissons ont non seulement triplé, mais leur diversité a également augmenté. On compte aujourd’hui 30 espèces de poissons contre 9 à l’époque.

Deuxième déversement à partir de 2024

Dès le premier remblayage, l’ambition était de créer davantage de zones d’eau peu profonde – telles qu’elles existaient dans le delta de la Reuss vers 1900 avant l’exploitation industrielle du gravier – mais le matériau de remblayage manquait.

Ces dernières années, il s’est avéré que les nouvelles îles de baignade – appelées îles de la Lorelei – étaient régulièrement affectées par le bois flotté et les matières en suspension provenant de la Reuss. La construction d’une fascine, une installation de protection des rives devant les îles de baignade, a permis d’atténuer cette influence. Néanmoins, le résultat n’est pas encore totalement convaincant. Un nouveau remblayage du lac devrait y remédier en agrandissant les zones d’eau peu profonde existantes. Les îles de baignade seraient ainsi ménagées et les matières en suspension déviées plus loin dans le lac.

Actuellement, les travaux reprennent dans le massif du Gothard avec le deuxième tube du tunnel routier (voir «Der Längste mal zwei») et les projets de l’Axen (voir «Uferloses Unterfangen») génèrent également de nouveaux matériaux d’excavation. Une partie de ces matériaux pourra être utilisée ici de manière à répondre aussi bien à l’économie qu’à l’écologie (voir «Bereit für die grossen Materialmengen»).

Contrairement au dernier remblayage du lac, les mesures des prochaines années se feront exclusivement sous l’eau; il n’y aura pas d’îles visibles. En revanche, deux zones d’eau peu profonde seront créées, c’est-à-dire des surfaces pouvant atteindre 10 m de profondeur, où la lumière du soleil atteint encore le fond du lac et où les plantes aquatiques disposent ainsi de conditions de vie optimales.

Le chef de projet «Seeschüttung», Roland Senn, explique: «Notre intention est de générer une zone de faible profondeur aussi étendue que possible avec le moins de matériaux possible.» Il est prévu de créer 7 ha de nouvelles surfaces.

Répéter les succès

Pour les travaux de remblayage à venir, les responsables peuvent s’appuyer sur les expériences de leurs prédécesseurs. Les effets sont en grande partie connus ; il est donc possible de prendre les précautions qui s’imposent afin de réduire au maximum les nuisances pour l’être humain et l’environnement. Un déroulement différencié selon les saisons est par exemple prévu : en hiver, on déverse plus près de la rive, en été plus loin. Cela permet de tenir compte de manière optimale des besoins de loisirs ainsi que des périodes de fermeture de la pêche, explique Roland Senn. Un suivi environnemental du chantier garantira à nouveau le respect de toutes les exigences environnementales et des valeurs limites légales. L’objectif est de poursuivre la réussite du premier déversement et d’augmenter encore la biodiversité dans le delta uranais de la Reuss. Avec ce deuxième déversement, la restauration des zones de faible profondeur et l’«assainissement» du delta de la Reuss seront terminés en 2029. «En l’état actuel des connaissances, il n’y aura pas d’autres déversements dans le lac», conclut Roland Senn.

Daniela Dietsche est rédactrice pour TEC21. Son article «Biologische Vielfalt über und unter Wasser» est paru dans TEC21 38/2023. Traduction: TRACÉS / Philippe Morel

Deuxième remblayage du lac, lac d’Uri

 

Maître d’ouvrage
Canton d’Uri, Direction de la santé, des affaires sociales et de l’environnement, Altdorf

 

Comité consultatif
Offices de l’environnement, du développement territorial et des infrastructures, Altdorf

 

Direction du projet
Direction de la santé, des affaires sociales et de l’environnement, Altdorf

 

Assistance au maître d’ouvrage
EBP Suisse, Zurich

 

Direction des travaux/Ingénieur de projet
Bigler Ingenieure und Planer SIA, Altdorf

 

Planification environnementale / suivi environnemental de chantier
IG Reussdelta: ilu, Uster; Enviso, Altdorf; oeko-b, Stans

 

Géomètre
Schällibaum, Wattwil

 

Entreprise de remblayage pour le matériel au départ de Flüelen
Arnold & Co, Flüelen 

 

Fournisseur de matériaux 2TG
Office fédéral des routes OFROU, Bellinzone

 

Fournisseur de matériaux A4 Axen
Office des ponts et chaussées du canton de Schwytz, Brunnen

 

Coûts
env. 62 mio CHF

 

Durée du projet 
2023-2029

 

Coulées d’essai 
avril et juin 2023

Le delta de la Reuss en mutation
La Reuss, avec un bassin versant de 832 km², a toujours provoqué d’importantes inondations dans le fond de la vallée entre Amsteg et le lac d’Uri. Au 19e siècle, le Landrat d’Uri a décidé de canaliser la Reuss. De 1850 à 1852, des digues de protection contre les crues ont été construites. Plus tard, le profil a été élargi, mais en raison de l’augmentation des dépôts dans le chenal avant l’embouchure dans le lac d’Uri, le fond a été surélevé, ce qui a entraîné un refoulement et de nouveaux dégâts dus aux crues. L’exploitation du gravier a commencé vers 1900, lorsque l’on a découvert que les matériaux charriés en permanence par la Reuss constituaient une source de matières premières. Mais l’extraction de gravier a entraîné la perte des zones d’eau peu profonde et un déplacement de la ligne de rivage vers l’intérieur des terres. En 1970, le Service cantonal des travaux publics d’Uri a suggéré de régénérer le delta de la Reuss. Entre 1970 et 1979, un projet global de «revitalisation du delta de la Reuss» a été élaboré. Il tenait compte aussi bien de la possibilité d’une nouvelle exploitation de gravier que des intérêts de la protection et de l’utilisation de la rive sud du lac d’Uri. Jusqu’au début des années 1980, la situation du delta de la Reuss était pourtant mauvaise: le paysage des rives disparaissait mètre par mètre dans le lac. En 1985, la population uranaise a adopté la loi cantonale sur la protection du delta de la Reuss. De 2001 à 2005, six îles et zones de faible profondeur ont été créées sur la rive sud du lac d’Uri dans le cadre du projet «Seeschüttung». En 2024, le remblayage du lac débutera pour créer d’autres zones d’eau peu profonde.

Notes

 

1 «L’extraction de gravier et de sable n’a [d’ailleurs] jamais été fondamentalement remise en question, car elle était importante pour le canton d’Uri d’un point de vue économique» («Die Gewinnung von Kies und Sand wurde [übrigens] nie grundsätzlich in Frage gestellt, war sie doch aus wirtschaftlicher Sicht für den Kanton Uri bedeutend.») Urs Wüthrich, Walter Brückner, Ruedi Hauser, Das Urner Reussdelta. Arbeitsgruppe Reussmündung, Berichte der naturforschenden Gesellschaft Uri, 25, 2011 

 

2 Le projet de remblai lacustre dans le lac d’Uri a reçu la distinction SIA «Umsicht – Regards – Sguardi 2006/2007» pour ses contributions durables au patrimoine bâti suisse.

 

3 Dès 1992, le delta de la Reuss a été inscrit à l’inventaire des zones alluviales d’importance nationale. La Commission du delta de la Reuss est responsable de la surveillance et du suivi (reussdelta.ch).

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