Forêts: milieu et interfaces
En Suisse comme ailleurs, des politiques fleurissent dans les villes pour augmenter la présence du végétal à toutes les échelles. On veut plus de mesures de verdissement, plus d’espaces ouverts à la plantation, plus d’arbres, plus de biodiversité… Au milieu de toutes ces ambitions, le concept de forêt urbaine irrigue de nouveaux plans d’aménagements qui poursuivent d’anciennes traditions paysagères1. Mais la forêt urbaine n’est qu’un exemple parmi d’autres efforts pour intégrer la forêt aux paysages de milieux urbains en quête de nouveaux rapports avec le vivant dans sa diversité. Elle est à la fois un répertoire de formes – une architecture de la forêt qui inspire les aménagistes – et une ressource, pour bâtir les villes de demain. Une vision bien utilitariste. Et si on s’intéressait à la forêt pour elle-même?
La forêt, c’est un tiers du territoire suisse2. En pleine mutation, elle cohabite, non sans peine, avec les milieux urbain et agricole. La forêt, ou plutôt les forêts, désignent des peuplements qui évoluent dans le temps, l’espace et selon les pratiques sylvicoles. Si «produire» et «protéger» représentaient les deux grandes attentes envers la forêt (telles que décrites dans la première loi forestière de 1876), de nouvelles fonctions se sont peu à peu frayées un chemin: agent régulateur du climat et de biodiversité terrestre, rôle d’espace public non urbain, paysage de proximité et interface conséquente avec les milieux urbain et agricole3. Aujourd’hui, les acteurs de la forêt restructurent la ressource pour s’adapter aux nouvelles données climatiques et génèrent ainsi, progressivement, un nouveau paysage. Et les enjeux portent sur l’ensemble des peuplements et en particulier sur ses espaces les plus riches et diversifiés, mais fragiles et exposés: les lisières. En effet ces dernières hybrident les milieux agricoles, urbains et forestiers et doivent s’adapter aux fortes pressions extérieures (foncières, climatiques, …)
En résumé, les peuplements forestiers de tous types sont actuellement sous les projecteurs des stratégies d’aménagement, qui souhaitent faire évoluer les pratiques. Identifier ses lisières avec le milieu agricole, c’est observer un paysage qui disparaît au profit d’une agriculture extensive et lourdement mécanisée. Intégrer les lisières au projet urbain, non pas comme une marge distante mais comme une ressource à enrichir, poursuit une attitude jardinière que le projet de paysage, d’architecture et d’ingénierie peut et doit accueillir. Connaître la réalité du milieu forestier et de ses interfaces permet aussi d’encourager les nouvelles ressources en bois d’œuvre et en matériaux biosourcés que les forêts et leurs lisières vont produire. De tous côtés se dessinent des solutions durables aux conséquences des changements climatiques. Repartir de la forêt et de ses interfaces permet de comprendre ces paysages et de tisser sur l’ensemble du territoire ce rapport d’interdépendance tant culturel que matériel.
Notes
1, De Central Park de New York (1857), à la Green Belt de Londres (1890), en passant par le Five Fingers Plan de Copenhague (1947) ou le plan Braillard de Genève (1948), ce ne sont quelques projets représentatifs de recherche d’une canopée dans les métropoles.
2, Les forêts représentent 32 % du territoire suisse, soit 12 684 km2 selon les résultats actualisés en 2020 de l’Inventaire forestier national réalisé entre 2009 et 2017 (IFN4).
3, Toujours selon l’IFN4, il y a 115 000 km de lisières forestières en Suisse.