Hommage à Martin Steinmann (1942-2022)
Le théoricien et ancien professeur EPFL est décédé à l’âge de 80 ans. Deux de ses anciens collègues rendent hommage à une personnalité qui a joué un rôle central dans l’affirmation de l’architecture suisse, tissant des liens entre toutes les parties du pays, par-delà les «tendances» qu’il contribuait à faire émerger.
«Sans son œuvre, l’architecture suisse ne serait pas là où elle est aujourd’hui, ni dans sa forme concrète et encore moins dans nos pensées.» C’est par cette phrase que Roger Diener a conclu son hommage à Martin Steinmann lors de la cérémonie d’adieu qui a eu lieu le 21 mars dernier à Aarau – il nous a quittés dans sa 80e année à la suite d’une longue maladie. On ne peut mieux résumer, nous semble-t-il, le rôle central qu’il a joué tout au long de sa carrière, par ses apports critiques dans la théorie architecturale et du logement, dans le domaine de l’architecture suisse en général – de la scène tessinoise à l’architecture suisse allemande, de Herzog & de Meuron à Peter Zumthor en passant par Diener & Diener, entre autres.
Les débuts de son parcours académique et professionnel sont indissociables de ses recherches au gta de l’EPF de Zurich où, durant les années 1970, il explore de façon systématique les archives des CIAM. C’est à cette occasion qu’il croise Bruno Reichlin, Fabio Reinhardt et Arthur Rüegg, avec qui il va créer des liens d’amitié et développer des échanges intellectuels profonds et durables.
Rapidement, Steinmann se fera remarquer par l’exposition Tendenzen. Neuere Architektur im Tessin, qui s’est tenue à l’EPFZ en 1975 et dont il assume la curation avec Thomas Boga. L’argument développé à cette occasion, à savoir la liaison entre la tradition et la réalité, deviendra un thème central de la revue archithese, dont il assume la direction de 1981 à 1986. Dans plusieurs numéros devenus iconiques, il mettra en lumière, souvent avec la complicité d’Irma Noseda, des architectures auxquelles il n’était pas habituel de faire référence, d’Heinrich Tessenow, Franz Scheibler ou encore Kay Fisker.
En 1987, il est nommé professeur à l’EPFL. Dès lors, il marque, par son enseignement éclairé et exigeant, plusieurs générations d’étudiants en architecture, notamment dans le domaine du logement collectif. À ce propos, il définissait sa démarche de projet, qu’il nommait «théorie pratique», par l’expression suivante: «Le processus du projet commence avec l’observation de ce qui existe.»
Avec la parution en 1991, dans la revue Faces, de l’article «La forme forte» – titre du recueil de ses textes paru en 2003 –, on assiste à un glissement du regard critique de Steinmann. De l’intérêt pour les questions linguistiques, il s’oriente vers la problématique de la perception sensible de l’espace par celui qui le regarde. Il introduit dans la discussion le mot Stimmung, intraduisible en français, mais dont il a développé le sens théorique dans plusieurs essais de la revue matières. Il en fera également un thème central de son enseignement.
Il faut enfin évoquer l’homme, son éternelle machine à écrire et le soin qu’il avait à trier les «dias» de ses cours. Mais aussi les discussions libres et intenses, les jeudis soir dans le café Le 1900, autour d’une table ouverte et de quelques bières, pour parler d’architecture, mais parfois aussi pour regarder un match de la Champions League. Aujourd’hui, nous perdons un maître et un ami. Sans lui, ce sera certainement plus difficile. Mais la vie continue, malgré tout, comme le disait Adolf Loos.