In­ter­ve­nir dans l’exis­tant: où et com­ment se for­mer?

Point sur les spécialisations existantes

À l’heure où la transformation de l’existant constitue pour les ­professionnels de l’aménagement du teritoire la majorité de leur pratique, le besoin, en Suisse, de formation spécifique à la conservation et à la restauration se fait sentir. Pierre Tourvieille de Labrouhe, architecte du patrimoine, propose un état des lieux du sujet.

Date de publication
28-01-2022

Conservation – frugalité – réemploi; ces trois mots constituent désormais la trinité sur laquelle bon nombre d’architectes, professionnels de l’aménagement du territoire et chercheurs ont choisi de s’appuyer pour développer une approche éthique de l’acte de construire, bientôt remplacé par celui de transformer. «Entre 84 et 88 % des zones à bâtir des villes et des communes sont construites – voire, dans les grandes villes-centres, 93%.» Voilà ce que nous apprend la consultation d’un rapport de l’Union des villes suisses de 20181. Si le palimpseste de la ville déjà construite n’est pas figé, cette situation de saturation des terres «disponibles» augmente la pression sur le tissu urbain et donc sur le patrimoine architectural. Extension immédiate de cette situation, l’augmentation des mises sous protection de bâtiments ou de sites dont les Offices cantonaux ont la charge et qui peinent à suivre le rythme, il est vrai soutenu, des demandes qui leurs proviennent bien souvent de commissions, d’associations ou de groupes de pression citoyens. Désormais qualité de vie rime avec préservation du patrimoine bâti.

Aussi intervenir dans l’existant, qui plus est sur du patrimoine protégé, devient une nécessité et demande une nouvelle approche, de nouvelles compétences. L’issue du projet architectural n’est plus la construction mais la transformation de structures héritées de projets inscrits dans une autre époque et qui répondaient bien souvent à d’autres programmes. C’est le cas par exemple des églises et des temples: en Suisse, d’ici dix ans, quelques centaines d’entre eux ne seront plus utilisés selon l’usage pour lesquels ils ont été pensés et construits2. De plus en plus de communes et de propriétaires privés doivent prendre en charge cet héritage, élément puissant et identitaire, parfois même constitutif du tissu urbain. On assiste donc à de plus en plus d’exemples de transformations d’espaces cultuels en lieux culturels. Un processus qui demande des compétences spécifiques en commençant par des notions d’histoire de l’architecture.

La formation des nouvelles générations d’architectes doit permettre de gagner en compétences sur ces problématiques de restauration-conservation dont on pense parfois qu’elles sont l’apanage des conservateurs et conservatrices. Dans cet esprit, il serait pertinent de dépasser le clivage entre architecture et patrimoine en permettant le développement d’une culture du bâti, Baukultur dans sa version originale, commune à toutes et tous.

Si les écoles d’architecture – EPF et HES confondues – enseignent brillamment la culture du projet, l’intervention dans l’existant exige également de faire appel à une culture du diagnostic3 qui peine à trouver sa place dans les cours dispensés aujourd’hui. On notera toutefois l’exception des enseignements proposés par Franz Graff et Martin Boesch respectivement à l’École polytechnique de Lausanne et à l’Accademia di Architettura di Mendrisio, qui œuvrent à perpétuer les enseignements et l’esprit de « l’École de Genève »4 avec un accent mis tout particulièrement sur le patrimoine du 20e siècle et sa sauvegarde.

L’enjeu est donc de proposer aux architectes de se former au relevé (souvent absent des formations de base), à la notion d’archéologie du bâti, à l’élaboration d’études préalables et de diagnostics sanitaires. À ce titre, il est intéressant de décortiquer la SIA 102 Réglement concernant les prestations et honoraires des architectes et de s’apercevoir de l’absence presque totale de prestation dans le domaine de la conservation du patrimoine.

Notes

 

1 Wüestpartner/Union des villes suisses, Urbanisation vers l’intérieur dans les villes, août 2018, disponible en téléchargement sur uniondesvilles.ch

 

2 Eva Schäfer, «Sensible Sakralräume», TEC21 31/2021

 

3 Terme emprunté par analogie au monde médical. On parle également de diagnostic sanitaire lorsqu’il s’agit d’identifier les pathologies d’un bâtiment.

 

4 Mounir Ayoub, «L’école de Genève: enseignement de la sauvegarde», TRACÉS 2/2021.

Où se former? État des lieux non exhaustif

 

À l’étranger: Dans le domaine de la conservation du patrimoine, et sans trop de surprise, nos deux voisins latins tiennent la dragée haute, en proposant deux spécialisations dont l’expertise des architectes qui y sont formés est reconnue au-delà de leurs frontières respectives.

 

La Sapienza, Rome (IT)

La Sapienza, institution romaine comptant parmi les plus anciennes universités européennes, propose à la fois de suivre des modules dans le cadre de sa formation initiale dispensée aux étudiants en architecture ainsi qu’un diplôme de spécialisation en deux ans. Cette spécialisation s’appuie sur l’expérience italienne reconnue dans le domaine de la restauration monumentale. L’approche scientifique proposée met l’accent sur la rigueur méthodologique avec laquelle établir une catégorisation précise de la substance historique et des pathologies affectant un bâtiment. – scuolabeniarchitettonici.unina.it

 

L’École de Chaillot, Paris (F)

L’École de Chaillot, riche de ses 130 ans d’existence, contribue à former les architectes indépendants tout comme les architectes des bâtiments de France en proposant un diplôme d’approfondissement et de spécialisation sur deux ans qui donne accès au titre protégé d’architecte du patrimoine. «La transmission est confiée à des professionnels, la doctrine s’écrit dans la pierre et sur les chantiers, sous l’égide de grandes figures tutélaires, de Viollet-le-Duc à André Malraux»1. Voici en une phrase résumé l’esprit de cette école qui peut s’appuyer sur une corporation impliquée dans la transmission. L’étudiant qui souhaite intégrer cette formation doit présenter un Master en architecture et, depuis peu, disposer d’une expérience professionnelle suffisante. Un concours d’entrée en limite le nombre d’étudiants. – citedelarchitecture.fr, onglet formation et recherche

 

En Suisse2: La Suisse propose actuellement deux MAS (Maîtrise universitaire d’études avancées) en conservation du patrimoine.

 

MAS – Denkmalpflege – Umnutzung

Cette formation sur deux ans dispensée par la HES bernoise offre un large choix de modules permettant aux étudiants et étudiantes de composer leur MAS en fonction de leurs centres d’intérêt. Une flexibilité bienvenue pour des personnes déjà en activité qui souhaitent approfondir leurs connaissances sur des thématiques particulières rencontrées au gré de leurs pratiques professionnelles. Ce MAS propose également une série de modules destinés aux personnes souhaitant intégrer les services spécialisés des cantons ou communes en leur permettant de se familiariser avec la rédaction de préavis ou avec la méthode de recensement. – bfh.ch

 

MAS – Muséologie et conservation du patrimoine

Ce cursus, dispensé par l’Université de Genève en partenariat avec les Universités de Lausanne et Fribourg, est ouvert aux architectes, historiens et historiennes, archéologues et professionnels du domaine du patrimoine ou des musées. La formation d’une année s’organise avec un tronc commun et les deux options que sont la muséologie et la conservation du patrimoine.

La seconde option, qui nous concerne, propose à la fois des cours théoriques sur l’histoire de la restauration ou l’histoire de la protection des monuments ainsi qu’une partie plus pratique qui entraîne les étudiants sur les chantiers. Chaque visite est l’occasion d’évoquer tel ou tel aspect du ­processus de conservation-restauration et permet de rencontrer des experts et spécialistes du domaine. – maspatrimoinemuseologie.ch

 

Formation continue

On peut se réjouir de la mise en place toute récente de la formation continue intitulée «Patrimoine culturel bâti – Intervenir dans les règles de l’art» à l’initiative de la Fédération vaudoise des entrepreneurs (et entrepreneuses!). Après une première édition pré-pandémie en 2020, la seconde vient de se conclure avec un groupe d’une quinzaine de participants aux profils variés (architecte, menuisier, maçon, etc.) Celle-ci vise à «renforcer l’aptitude des participants à intervenir sur le patrimoine culturel bâti». Bien qu’elle ne dure que cinq jours et demi, la formation concentre les meilleurs spécialistes de la place professionnelle romande et constitue une manière pertinente de rentrer dans le sujet. – fve-formation.ch

 

 

Notes

 

1 Florence Contenay, Benjamin Mouton, Jean-Marie Pérouse de Montclos, L’École de Chaillot: Une aventure des savoirs et des pratiques (Architecture & Patrimoine), Editions des Cendres, 2012

 

2 La Suisse compte actuellement une quinzaine d’architectes du patrimoine actifs pour la quasi-totalité en Suisse romande. Voir l’onglet Annuaire sur le site architectes-du-patrimoine.org

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