L'entrepôt Macdonald: une occasion manquée
Propos recueillis par Aurélie Buisson
Responsable de la conception de deux immeubles de logements en accession, l’architecte et urbaniste parisien Nicolas Michelin se prête à la critique de l’entrepôt Macdonald.
Tracés: Quinze équipes d’architectes s’activent sur le chantier de l’entrepôt Macdonald. Que pensez-vous de cette diversité architecturale?
Nicolas Michelin: C’est plus simple quand il n’y a qu’un seul architecte comme dans les projets de tour. Ca devient compliqué quand on essaye de mélanger plusieurs énergies. Mais la diversité architecturale est une bonne chose.
La sélection des 15 équipes d’architectes est très diverse. Ceux qui n’y sont pas diront qu’elle est mauvaise mais je trouve que c’est plutôt un bon choix; il y a des étrangers, des figures comme Portzamparc, des jeunes comme l’AUC, etc. Nous étions très contents car c’est notre premier mandat à Paris.
Que prévoyait le cahier des charges à l’origine du projet?
A l’origine, le cahier des charges du projet global était assez ambitieux. Il prévoyait un vaste programme mixte et le passage du tramway au cœur du projet. L’entrepôt devait être conservé de sorte que de nouvelles constructions qui devaient reprendre la trame de 8 mètres par 8 mètres du bâti existant puissent venir se poser dessus.
La première mouture était donc extrêmement intéressante puisqu’en conservant cette trame, on pouvait imaginer des logements atypiques (des duplex, des triplex, des T1 très grands, etc). Ce qui n’est pas possible dans la plupart des nouvelles opérations en France.
Plus spécifiquement, notre bureau avait en charge la conception de deux immeubles de logements en accession; un donnant sur le boulevard Macdonald et l’autre sur les voies ferrées du RER E (image). Le programme établi par la société immobilière Icade stipulait aussi et surtout une très forte densité pour des questions de prix du terrain et de rentabilité.
Lors de la conférence publique que vous avez animée à l’EPFL en octobre passé, vous avez dit que le projet de l’entrepôt Macdonald était, pour vous, une occasion manquée. Pouvez-vous expliciter ces propos?
Pour être rentable, il faut effectivement construire beaucoup, ce qui signifie beaucoup de logements et donc beaucoup d’étages. Au début, le plan directeur projetait la construction de quatre niveaux au-dessus de l’entrepôt existant. Pour parvenir à la rentabilité escomptée, il en fallait six. Bien qu’elle soit très robuste, le poids de ces six niveaux a commencé à poser problème à la structure existante.
Par ailleurs, Icade demandait la construction de 50 % de petits logements; les petites surfaces étant celles qui se vendent le mieux. A cela s’ajoutaient des T2 de 37 m2, soit des surfaces tout à fait conventionnelles en France. Néanmoins, ces surfaces n’étaient absolument pas adaptées à la trame existante de l’entrepôt.
Face à ces contraintes, il a donc été décidé qu’un plancher de transfert serait réalisé de manière à ce que les nouveaux immeubles puissent présenter une trame de logement habituelle, c’est-à-dire extrêmement rentable. Toute la générosité de l’étude de faisabilité dessinée par l’équipe OMA-Alkemade est donc passée à la trappe.
Y avait-il également des contraintes imposées par Icade susceptibles de péjorer la qualité architecturale?
Notre projet devait répondre à des critères technico-économiques complètement terrifiants. Par exemple, le rapport très faible entre la surface de façade et la superficie de l’appartement. Les logements sont petits mais en plus, le linéaire de façade est limité. Et ce n’est pas tout, la quantité de vitrage est elle aussi limitée.
Apparemment, il y avait pas mal d’argent prévu pour les façades, ce qui est assez révélateur. Les promoteurs favorisent l’aspect extérieur des bâtiments le wow effect plutôt que le respect d’une trame existante ou la générosité des surfaces habitables, l’usage.
Le cahier des charges d’Icade dans lequel figure toutes ces exigences est une machine de guerre, la moulinette des promoteurs pour faire un projet économique, mais pas de l’architecture. C’est le même cahier des charges que lorsqu’il s’agit d’une opération de logements neufs, mais il n’est pas approprié à un projet de reconversion. Les logements en accession auraient pu être construits n’importe où, dans n’importe quelle ZAC.
N’y a-t-il pas un problème généralisé qui touche l’ensemble des opérations de logements en France?
Je trouve effectivement que le logement en France est en grande difficulté; les appartements sont trop petits et ils coûtent trop cher. Il y a un réel problème de coût de la construction et un autre lié à la marge de promotion du foncier. Au-delà de 55 m2, le «Français» ne peut plus acheter, donc on fait des T3 de 57 m2 avec trois petites fenêtres en PVC pour éviter les déperditions: une pour la chambre des parents de 12 m2, une pour l’autre chambre de 9 m2, une pour le séjour, la cuisine est en second jour et la salle de bains n’est plus éclairée depuis très longtemps. Ils se vendent parce qu’ils sont dits «basse consommation». Mais les habitants ne peuvent pas être heureux dans des logements si petits, si peu évolutifs, si bas de plafond et souvent dépourvus d’espace extérieur.
Pourtant, les architectes n’ont pas d’autres choix que de faire ça. C’est la raison pour laquelle je soutiens que les opérations immobilières qui s’ancrent dans un bâti existant sont des occasions rêvées de faire des logements différents.
Qu’en était-il au niveau des contraintes imposées par le plan directeur élaboré par OMA-Alkemade?
Il y avait des contraintes intéressantes principalement localisées sur le côté nord de la parcelle, le long du boulevard Macdonald. Les architectes en charge de l’opération souhaitaient conserver la façade de l’entrepôt, ce qui uniformise l’ensemble. Cette homogénéisation s’étend également dans les étages où il y a deux retraits imposés. Sur cette façade, les matériaux doivent également respecter certaines exigences; une partie notamment est en cristal et certains éléments sont encadrés. L’unité recherchée par Alkemade sera donnée par les retraits imposés, les encadrements et cette façade en cristal. De l’autre côté, nous étions plus libres.
Face à cette multitude de contraintes, comment avez-vous façonné votre projet?
Nous avons fait plusieurs recherches de volumétries successives pour réussir à compacter au maximum (image). Finalement, nous sommes parvenus à une solution intéressante qui propose un système de pentes inversées. Ca anime les façades et permet à chaque propriétaire de bénéficier d’un balcon orienté au sud (image 1 et 2).
Nous avons réussi à concevoir des appartements traversants, mais on voit bien qu’il y a des rapports entre le linéaire de façade et la surface habitable parfois très tendus. Souvent, les cuisines sont en second jour. Il y a une fenêtre pour le séjour, une pour la chambre et puis basta (image).
La conception de l’autre bâtiment était très compliquée car il y avait peu de visibilité offerte du fait de ses dimensions; 24 mètres de large et 27 mètres de profondeur. C’est impossible de faire quelque chose de correct sans créer de vis-à-vis. Nous avons donc trouvé un moyen de sculpter les façades de sorte que chaque logement bénéficie d’une vue au sud tout en limitant au maximum les vues directes chez les voisins (image). Cela génère des terrasses intéressantes qui sont accessibles par la chambre ou le séjour. Ce sont de véritables espaces à vivre.
Nous avons soigné la conception de ces deux bâtiments. Je crois que les appartements vont très bien se vendre compte tenu de la situation et des prix à peu près maîtrisés. Toutefois, j’ai l’impression d’avoir fait des bâtiments neufs posés sur une vieille carcasse.
Sur le plan général, on constate que la volumétrie de votre bâtiment est très proche de celle de Gigon/Guyer, comment expliquez-vous une telle similitude? Y avait-il des séances de coordination collectives?
La morphologie était un peu suggérée dans le cahier des charges, mais il n’y a pas eu de coordination entre les différents architectes. Au contraire, nous avons été séparés et mis dans des petits groupes répartis de manière à ce que les architectes en charge des bâtiments en accession ne soient pas ensemble. Peut-être craignaient-ils l’effet revendicatif.
C’est pourtant très intéressant d’instaurer des discussions, mais dans ce projet, on sent bien que chacun a son propre lot.
Chaque architecte a son propre projet et chaque bâtiment a son propre programme. Les logements sont d’un côté, les bureaux de l’autre: la mixité ne vous paraît-elle pas timide?
C’est vrai, il aurait pu y avoir une plus grande mixité en intercalant, par exemple, entre les surfaces commerciales du rez-de-chaussée et les logements, un ou deux étages de bureaux ou d’activités. Dans le cas précis, il suffisait de mutualiser le noyau de circulation entre les différents programmes. Mais les investisseurs trouvaient ça compliqué et craignaient surtout de ne pouvoir vendre les logements.
Comment expliquez-vous la réticence des investisseurs face à cette mixité?
En France, dans les années 1970, on a construit des monstres tels que la dalle de Beaugrenelle ou celle de Montparnasse, c’est-à-dire des grands lots avec des galeries commerçantes et au-dessus des bâtiments sociaux et des petits équipements. Ce sont des projets très intéressants sur le papier mais qui ont été mal gérés dans la découpe et qui ont surtout mal vieilli. Les copropriétés sont tellement enchevêtrées que lorsqu’il y a le moindre problème (une fuite d’eau), on ne sait pas qui doit financer la réparation. Par exemple, un propriétaire ne pourra pas revendre son logement s’il y a des parkings communs avec les bureaux ou si les parties communes ne sont pas bien entretenues. Cela génère des formes de copropriétés complexes qui font peur aux investisseurs. Depuis les années 1990-2000, on fait donc un immeuble de bureaux, un immeuble de logements. La division des programmes est très claire.
Personnellement, je défends la mixité et j’essaye de me battre pour cette complexité en prônant plusieurs points. D’une part, l’accès aux logements et aux équipements. Il doit se faire depuis la rue. Il est hors de question de monter sur la dalle ou de devoir la traverser pour arriver chez soi. L’urbanisme de dalle c’est justement ça, la dalle qui distribue. D’autre part, la découpe en volume doit être extrêmement claire. Il faut éviter de trop enchevêtrer les surfaces de différents programmes.
Je pense que les friches industrielles ou portuaires sont des occasions extraordinaires si on ne fait pas de tabula rasa pour sortir des standards. Il faut donc se battre pour conserver ces friches de manière à générer une ville différente qui s’appuie sur cet existant. En ce sens, l’entrepôt Macdonald est vraiment le contre-exemple. Ce n’est un grand projet de reconversion, c’est un grand projet spéculatif.