«Les tours ne sont pas un ins­tru­ment de den­si­fi­ca­tion»

Nous revenons sur la série intitulée «Habitat vertical», proposée en ligne sur espazium.ch en juin et juillet de cette année, où des partisans assez peu critiques des immeubles tours se sont exprimés en confirmant les tendances actuelles en faveur du bâti en hauteur. Les innombrables contre-arguments émis à ce propos par des architectes, des sociologues et des psychologues de la construction n’ont toutefois pas été abordés.

Date de publication
13-08-2020
Horst Eisterer
Architecte SIA, membre du groupe de travail Städtebau und Architektur Zürich

Afin de définir les perspectives de développement souhaitables pour Zurich, le conseiller municipal Odermatt favorise l’immeuble tour comme «apport qualitatif». Et dans ses planifications test, le service d’urbanisme de la Ville se concentre sur cette typologie pour mettre à jour ses directives sur la construction en hauteur. On a ainsi l’impression que les tours constituent la réponse clé des pouvoirs publics aux principaux défis urbanistiques.

Croit-on vraiment que les quelques friches résiduelles seront en mesure d’accueillir dans des tours une population dont la croissance est estimée entre 5000 à 10 000 personnes par an? Le véritable potentiel ne se trouve-t-il pas plutôt dans tout le reste du tissu urbain? Une réflexion au-delà des limites de la ville ne serait-elle pas également opportune? Et mis à part les rendements, croissant avec le nombre d’étages et la jolie vue – aux dépens d’un voisinage plongé dans l’ombre –, les immeubles tours présentent-ils encore des avantages méconnus?

Pour évaluer de tels immeubles, nous nous basons sur des critères écologiques (incluant le changement climatique, le climat urbain et les microclimats), sur des facteurs économiques, sociaux, psychologiques, urbanistiques et paysagers, ainsi que sur des aspects relevant des sciences humaines qui sont trop peu pris en considération lorsque – comme dans l’exemple évoqué ci-dessus – l’organe d’évaluation se compose presqu'exclusivement d’architectes.

La construction en hauteur s’avère nettement plus gourmande en ressources et plus chère dans toutes ses phases (études, réalisation, exploitation, entretien et déconstruction) que le bâti peu élevé et densifié (Low rise – High density Housing). Cela tient notamment à des besoins surfaciques par personne résidente (respectivement par nombre de lits) beaucoup plus importants, dus aux ascenseurs, installations techniques, systèmes statiques, équipements antifeu et autres que nécessite ce type de construction. (Un représentant du CS évoque lui-même un surcoût de 15 à 20% dans sa contribution.)

A notre sens, il eût été plus utile d’appliquer à des modes de construction sociaux et écologiques les efforts consentis ces dernières années pour diminuer le coût des immeubles tours. Même le professeur Peter Schwehr (de la haute école spécialisée de Lucerne) relativise le succès de son étude (soutenue par la Ville de Zurich), qui misait sur la construction en bois pour abaisser les coûts. C’est parce qu’il n’est guère possible d’offrir des logements avantageux et socialement adéquats dans des tours, que les coopératives d’habitation – excepté une expérience sur le Kochareal à Zurich – se détournent de cette typologie.

L’empreinte écologique d’immeubles de grande hauteur est très importante en regard de celle bien plus faible liée à des constructions basses, qui font appel à des modes de construction plus simples et des matériaux écologiques. Le bilan des tours est en particulier alourdi par leur énergie grise, qui se situe dans le même ordre de grandeur que l’énergie utile consommée durant toute la durée de vie de ces bâtiments. À elle seule, la protection du climat devrait proscrire la conception, de nouveaux lotissements de grande hauteur, ne serait-ce que parce ceux-ci ne répondent à aucune nécessité.

Les immeubles de grande hauteur ne sont pas un outil de densification. Le service zurichois de l’urbanisme confirme lui-même que "la tour n'est pas destinée à la densification". En effet, la quantité d'espace ouvert gagné par l'accumulation d'étages diminue de manière exponentielle à mesure que le nombre d'étages augmente, et la population serait protégée du stress de la densité par notre législation sur la construction si les plans de conception et les dérogations ne permettaient pas une densification excessive et un taux d'utilisation de plus de 300 % sur certaines zones, sans que la population des quartiers n'ait rien à dire à ce sujet.

Les tours d’habitation – récemment et opportunément rebaptisées «tours de couchage» par Hans E. Widmer – ne favorisent pas les communautés de résidence et d’habitat: elles isolent les gens du sol et entre eux et créent une hiérarchie sociale du haut vers le bas. Elles ne sont pas adaptées aux enfants, comme nombre de psychologues de la construction, de médecins et de sociologues l’ont confirmé, même si dans les rangs de ces derniers Eveline Althaus fait exception en plaidant pour cette typologie. Actif comme elle au sein du ETH-Wohnforum, le sociologue et professeur Christian Schmid est quant à lui un adversaire déclaré de la tour d’habitation.

Madame Althaus convient cependant que «Dans la théorie de l’architecture, le constat s’est imposé que la densité n’exige pas forcément des structures sous forme de tours d’habitation. Toutefois, les projets de tours d’habitation rencontrent aujourd’hui un attrait important dans les grandes villes suisses. Il va de soi que cet intérêt résulte en premier lieu d’intérêts économiques, mais peut-être aussi d’une envie de créer des îlots d’urbanité.» Dans ce contexte, un propos de Hans Weiss mérite d’être rappelé: «Tant que le sol représente un investissement pour une minorité plutôt qu’une base d’existence pour tous, l’aménagement tourne à vide.»

N’aspirons-nous pas à un développement urbain, tel que récemment décrit par l’architecte de la Ville Anne Pfeil et le professeur Jürg Sulzer dans la NZZ du 15.7.2020? Nous avons besoin de la ville et de son tissu bâti pour des communautés de vie qui peuvent évoluer dans des espaces extérieurs cohérents et hospitaliers, où les gens se côtoient et se mélangent. Asseyez-vous donc une fois, chère lectrice et cher lecteur, au pied d’une tour («Vulcano», «Hardau», «Sunrise» ou quel que soit son nom), dans un de ces espaces de détente ménagés entre de gigantesques parois de béton ou de verre, exposés à des rafales de vents anxiogènes pour beaucoup. Vous n’y verrez pas d’enfants jouant dans des lieux pensés pour eux et n’y trouverez pas davantage la fluidité entre espaces privés et publics qui caractérise le bâti peu élevé.

A l’inverse, l'alignement de maison individuelle fait partie d'un ensemble plus vaste, dont les espaces extérieurs nous offrent - comme dans les vieilles villes ou les nouveaux quartiers exemplaires - convivialité et sécurité. Quant au rôle de point de repère et de guide que les tours peuvent jouer dans le paysage urbain, il a depuis longtemps disparu en ville de Zurich en raison de leur accumulation aléatoire. De plus, la situation particulière de notre cité lovée entre de douces collines est de plus en plus brouillée par cette dissémination d’immeubles de grande hauteur, qui font de surcroît obstacle à la circulation de l’air lors de journées caniculaires.

Nous plaidons pour un urbanisme et une production de logements axés sur l’humain, socialement engagés et respectueux de l’environnement. Sauf exceptions dûment motivées, on y parvient mieux sans tours d’habitation.

Texte traduit de l'allemand. Pour la version originale rendez-vous ici.

Cette contribution ne peut donner que de brefs aperçus de la problématique qui nous occupe. Nous invitons les personnes que notre travail intéresse à nous contacter par e-mail à l’adresse: h.eisterer [at] hispeed.ch.

Nous accueillerons volontiers les leçons et contre-arguments avancés par un lectorat critique.
Groupe de travail Urbanisme et Architecture Zurich

Retrouvez tous les articles du dossier Habitat Vertical

 

L’habitat vertical, renouveau d’une forme de densification, Tania Perret
 

Les tours d’habitation au fil du temps, Eveline Althaus
 

Vidéo 01 – Antoine Hahne, architecte, Pont12, Lausanne
 
 

Vidéo 02 Paolo Poggiati, architecte paysagiste, Bellinzone

 

Vidéo 03Maria Lezzi, directrice de l'Office fédéral du développement territorial (ARE)

 

La tour et le gratte-ciel. Brève histoire de l'immeuble de grande hauteur, Matteo Moscatelli

 

Vidéo 4 - Heinrich Degelo , architecte, Bâle

 

Vidéo 5Fredy Hasenmaille, expert en analyse immobilière au sein du Crédit Suisse

 

Vidéo 6Etienne Räss, ingénieur civil et urbaniste, directeur de la Fabrique de Malley

 

«Construire en hau­teur est une forme de dé­ve­lop­pe­ment vers l’in­té­rieur», entretien avec Maria Lezzi

 

«Les tours ne sont pas un ins­tru­ment de den­si­fi­ca­tion», lettre de lecteur de l'architecte zurichois Horst Eisterer

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