L’hôtesse de l’air est seul maître à bord
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Le Silo se penche ici sur un film de 1976 qui imagine le monde tel qu'il pourrait être en 2274. Un monde dans lequel, pour pouvoir faire face à la surpopulation et au manque de ressources, la vie des individus est limitée à 30 années.
Vous entrez dans une zone sécurisée. Veuillez vous approcher et vous identifier. Asseyez-vous. Détendez-vous. Dans Logan’s run (1976), le servomécanisme qui assure le bon gouvernement de la Cité des Dômes est avant tout une voix, féminine, aimable et qui vous parle avec obligeance. Elle vous invite à rejoindre le Carrousel où doit débuter la Cérémonie du Renouveau : vos concitoyens ayant atteint leur trentième année y sont appelés à renaître (et donc à mourir) en prenant leur envol sous vos vibrants encouragements.
Logan est sandman, marchand de sable, c’est-à-dire agent de sécurité, soit l’un des rares emplois qu’il soit encore possible d’occuper en l’an 2274 avec celui d’agent de nettoyage ou de chirurgien esthétique dans un monde fanatiquement voué au bien-être et entièrement administré par une intelligence artificielle et acousmatique nommée Thinker.
Logan traque et exécute les runners qui, la trentaine consommée, se rebellent contre la logistique de l’équilibre démographique. La prévention du vieillissement a son code couleur : le cristal que vous avez au creux de la main est jaune (comme vos vêtements) durant l’adolescence, passe au vert à l’âge adulte puis au rouge à l’approche de votre date de péremption. Malheureux fugitif, sachez que vous aurez le plus grand mal à vous cacher derrière les plantes d’intérieur ramollies sous l’effet combiné de l’éclairage artificiel et de la climatisation qui égaient votre quotidien. Vous devriez plutôt profiter du jacuzzi en attendant d’aller vous faire recycler.
Et pourtant, Logan prend la fuite avec Jessica. Non pas qu’il soit lassé de ce décor astiqué comme une halte autoroutière flambant neuve (le film a notamment été tourné dans un trade center géant à Dallas), ni des plaisirs renouvelés du spa entre amis. Mais Logan se sent à l’étroit sous son dôme comme dans la cabine d’un avion, il a le mal de l’air.
Ayant découvert le vaste monde, Logan (qui est aussi le nom d’un aéroport international) se retourne finalement sur la smart city d’où il vient : dans la Cité des Dômes, ce n’est pas le pilote qui s’adresse à vous (y en a-t-il seulement un à bord ) et rien qu’au son de sa voix, vous devinez le sourire impeccable et la manucure irréprochable de l’« intelligence » qui vous parle et tient votre destin entre ses mains. Elle est avenante (distraction plaisante) et sa sollicitude vous donne l’assurance du privilège dont vous jouissez en tant que passager. Mais vous ne pouvez pas ignorer que ces agréments participent surtout d’un objectif sécuritaire : il ne faudrait pas que vous puissiez songer, ne serait-ce qu’un instant, à la réalité de votre condition (à 10 000 mètres au-dessus du sol, piégé dans une boîte oxygénée) et vous devez impérativement rester assis à votre place. La ville imaginaire d’où s’est échappé Logan, c’est Métropolis revue et dirigée par une hôtesse de l’air.