Pa­no­ra­mas d’un site ur­bain

L’extension de l’établissement scolaire du Belvédère à Lausanne, réalisée par le bureau butikofer de oliveira architectes, inscrit un plein – un cube aux yeux grand ouverts – dans un site en pente d’une grande beauté, mais aussi d’une grande complexité. Décryptage d’un exercice délicat.

Date de publication
13-02-2024
Clément Cattin
Architecte et assistant-doctorant Laboratoire d’architecture et technologies durables (LAST) l’EPFL. Membre du projet de recherche «Reliefs urbains», initié par le Pr Emmanuel Rey

L’établissement scolaire du Belvédère est l’un des chefs-d’œuvre méconnus de l’architecture moderne lausannoise. Niché sur l’arête de la moraine du Flon et ouvert sur le paysage du lac Léman, son emplacement est l’un des plus beaux que l’on puisse imaginer à Lausanne1. Marc Piccard, architecte des bains de Bellerive2, prend en 1957 possession du paysage en concevant quatre platesformes dominées par d’élégants volumes à colonnes. Lorsque, soixante ans plus tard, le bureau butikofer de oliveira architectes dessine un nouveau bâtiment sur les contrebas, ce n’est plus une colline habitée par une école aux allures de résidence de maître, mais la contrainte d’un site urbain en pente qui offre des opportunités architecturales. En découle un bâtiment compact et particulièrement efficace urbanistiquement.

En 2018, la Ville de Lausanne lance le concours d’architecture pour agrandir les capacités de cet établissement scolaire sur lequel les visiteurs tomberont en empruntant la future rampe montant depuis Plateforme 10 ou en circulant sur l’axe important qu’est l’avenue Marc-Dufour. Le programme composé de classes, de salles spéciales (activités créatrices, musique et sciences) et d’une salle de gym doit s’implanter sur le site du seul bâtiment non classé de l’ensemble, une annexe construite en 1961 par les services de la Ville. Présentée comme une démolition-reconstruction, l’option de transformer le bâtiment existant ne s’était alors pas posée. Les temps changent (heureusement), et si la question se poserait aujourd’hui, la situation d’alors a permis aux lauréats, butikofer de oliveira vernay, de développer une reconstruction pérenne qui renforce les liens, au sein de l’ensemble scolaire et avec la ville.

Urbanité dans la pente

Par son implantation, le nouveau volume proposé s’inscrit précisément dans la logique spatiale de ce promontoire dédié à l’enseignement, c’est-à-dire une séquence de sept cours et jardins délimités par du bâti et des murs de soutènement. Les architectes lausannois reconnaissent le caractère urbain de la parcelle en choisissant une implantation entre les deux rues ­bordant le site, contrairement au reste du complexe. Au nord, sur la rue des Croix-Rouges, l’alignement répond avec modestie à l’imposant piédestal du Belvédère. Une ouverture précise le long de cette rue en forte pente connecte le préau et l’entrée principale du collège au reste du complexe. Le long de la bruyante avenue Marc-Dufour, l’entrée secondaire (donnant accès à la salle de gymnastique) est ouverte dans un retrait de la façade qui conduit à un escalier calfeutré entre deux murs de soutènement, citation élégante de celui qui mène au préau sud de l’ensemble d’après-guerre. Ce passage rend lisibles les perméabilités qui mènent vers l’ensemble du collège du Belvédère et permet de clarifier le rapport précis du bâtiment avec ses deux niveaux de sols urbains. Le long de ces deux rues, l’ancrage du volume libère à l’ouest un jardin avec quelques stationnements et préserve un arbre existant, mais surtout n’obstrue pas la vue sur les fascinants murs de soutènement courbes et le bâti classé du collège. À l’est, la position définit un vide organisé par des terrains de sport et le préau de l’école. Contrairement aux cours dessinées par Piccard, cet espace urbain au cœur de la ville en pente ne dispose pas de dégagements et est tenu sur ses quatre côtés par du bâti. Les deux vides sont donc clairement structurés par le bâtiment, les murs et des emmarchements le long des rues du site, car, comme souvent dans la pente, les pleins ne suffisent pas à structurer les vides et la construction des sols complète le dessin de l’espace public. Ce choix urbain génère un cube compact et précis qui porte l’attention sur la fine et importante gestion des sols.

École avec vues

Contrairement aux plateaux projetés par Piccard, la cour du nouveau bâtiment ne cherche pas à construire la vue, pourtant majestueuse depuis le site. Le contraste est donc d’autant plus saisissant lorsque l’on franchit le seuil du préau couvert creusé dans le volume et que l’on pénètre dans le bâtiment. On découvre alors une circulation verticale «sculptée» dans le béton, qui offre à chaque niveau un cadrage du paysagé lié à un espace de dégagement utile aux récréations de l’école. En partant de la salle de gym enterrée, la séquence: rue, parc de Milan, lac, montagnes et ciel, mise en scène par l’escalier, ne désoriente jamais l’usager. Avec une belle lumière zénithale couplée à un motif lumineux au plafond, ce généreux système de circulation distribue un plan rayonnant efficace qui se joue des surprofondeurs issues de l’implantation en orientant les salles spéciales et leurs locaux attenants du côté sud et ouest. Les classes d’enseignement aux dimensions standards sont quant à elles organisées au nord et à l’est ; elles bénéficient d’une situation plus calme et d’une lumière moins directe. À l’entrée des classes, une fois franchi le dernier seuil formé par du mobilier technique, les vues sur le panorama se font omniprésentes.

Façades aux yeux ouverts

Donner une expression et des proportions à ce volume trapu était le défi à relever par les architectes. L’enveloppe aux grandes ouvertures interroge les passants: s’agit-il de bureaux ou d’une école? Une décision, forte à nouveau issue du site, selon les architectes: avec une telle vue, pourquoi se créer d’autres contraintes?

Depuis les classes, cela parait évident: les grandes baies vitrées allant du sol au plafond donnent l’impression d’être suspendues et laissent la lumière rentrer dans les profondeurs. Les élégants radiateurs adossés aux fenêtres et les stores à lamelles complètent le dispositif et compensent techniquement le peu de masse de l’enveloppe. Mais la raison majeure de cette façade aux yeux ouverts s’explique par une révérence: pour éviter de dépasser l’horizon du belvédère sommital de l’ensemble de Marc Piccard, les hauteurs d’étage ont été réduites au minimum. Alors, pour garantir une lumière naturelle acceptable, la façade s’ouvre.

Cette liberté est possible grâce à l’ossature de piliers «sandwich» en béton préfabriqué. À l’intérieur, le béton structurel sombre cadre les vues alors qu’à l’extérieur, le revêtement de béton cherche à faire écho à son contexte. La trame structurelle habilement rythmée à l’aide de petites et grandes ouvertures enveloppe le volume et introduit des verticalités bienvenues, elles-mêmes soulignées en second plan par le découpage des ouvrants. Les angles évidés permettent à la façade porteuse de tourner sur les quatre côtés sans hiérarchie. Et c’est peut-être la plus belle leçon: entre l’urbain et le paysage, les écoliers n’ont pas à choisir; tout s’offre à eux.

Construction de nouveaux locaux scolaires et d’une salle de gymnastique pour l’établissement du Belvédère, Lausanne (VD)

 

Maîtrise d’ouvrage
Ville de Lausanne – Service des écoles et du parascolaire

 

Architecture et direction des travaux
butikofer de oliveira vernay (concours)
butikofer de oliviera architectes (réalisation)

 

Génie civil 
Monod-Piguet + Associés Ingénieurs

 

Ingénierie chauffage ventilation et physique du bâtiment
Weinmann Energies

 

Ingénierie sanitaire
H. Schumacher ingénieurs conseils

 

Concours
2018

 

Études
2018-2020

 

Réalisation
2020-2022

 

Coût CFC 1-9 (TTC)
CHF 21.48 mio

Notes

 

1 Marc Piccard, «Le groupe scolaire du Belvédère, à Lausanne». Bulletin technique de la Suisse romande, 1957, 83, 5, DOI: 10.5169/seals-62774

 

2 Martine Jaquet, Bellerive-Plage: projets et chantiers. Lausanne: Payot, 1997

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