Terre conquise
On Architecture and the Greenfield, The Political Economy of Space Vol.2
Sur quel sol construisons-nous? Qui cela impacte-t-il? Voici les questions soulevées par Charlotte Malterre-Barthes dans sa dernière publication: On Architecture and the Greenfield.
Après la parution en avril 2024 de On Architecture and Greenwashing, le second volume de la série The Political Economy of Space, est sorti ce mois d’octobre. Édité par Charlotte Malterre-Barthes, architecte urbaniste et directrice du laboratoire RIOT—Research and Innovation On Territory à l’EPFL, cette publication académique regroupe plusieurs textes sur la question de l’urbanisation planétaire.
Greenfields: en voie de disparition
Du Michigan à l’Amazonie en passant par les Alpes, les différent·es intervenant·es racontent à tour de rôle comment l’humain a colonisé la Terre, se l’est accaparée, l’a cultivée et l’a transformée; comment a émergé une économie capitaliste par la privatisation progressive de terrains. Construire, toujours plus vite, toujours plus loin. Face à l’urbanisation quasi totale de la planète, les auteurs·ices investiguent les tensions provoquées par l’expansion urbaine sur les Greenfields—ici définis comme les terres sur lesquelles on construit («land upon wich we build»). Charlotte Malterre-Barthes pointe trois types d’occupation des sols dans ce processus: terrain vierge, agricole et zones résidentielles. Problème à échelles variables: d’une part, les espaces de production agricole diminuent, progressivement dévorés par la ville et la spéculation immobilière; d’autre part, ils croissent et viennent à leur tour empiéter sur des terres vierges. Voici le paradoxe que la chercheuse dévoile: d’un côté, «le logement est un droit humain», au nom duquel on pourrait continuer à s’étendre, de l’autre «la terre est une ressource finie». Peut-on encore sacrifier les Greenfields au profit de l’expansion urbaine, demande-t-elle? Et comment contrer ces dynamiques spéculatives?
Depuis les États-Unis, Andrew Herscher, chercheur, et Ana María León Crespo, architecte et professeure, réfléchissent à l’impact et à l’héritage du colonialisme sur les Greenfields, et soulignent combien l’architecture s’est mise au service du capitalisme et s’en est rendu complice. Il et elle invitent les architectes et les institutions académiques à en prendre conscience et à résister contre les opérations qui s’inscrivent encore dans ce sillage.
Swarnabh Ghosh, doctorant, explore les tensions entre urbanisation et agriculture. Il interroge notamment l’influence de la spéculation foncière sur la paysannerie en Inde, où l’État s’approprie des terres pour développer des projets urbains, contraignant ainsi de nombreux exploitants à abandonner leur profession. Beaucoup deviennent alors ouvriers et, de manière ironique, participent à la construction de ces mêmes conurbations.
Paulo Tavares, architecte et auteur, dénonce quant à lui le fait d’agrariser l’Amazonie: le passage d’une terre vierge à une terre productive. Il explique comment la forêt, en tant que paysage culturel, est modelée par les communautés indigènes et subit aujourd’hui, alors qu’elle est exploitée comme une ressource, une forme de colonisation. Il relie déforestation, design et paysages productifs dans une critique de l’exploitation systématique de la forêt.
Enfin, Milica Topalović, professeure à l’ETH Zurich, s’intéresse à la dichotomie rural-urbain. Elle explore le phénomène de «périphérisation» (peripheralization) et ses conséquences en matière de précarisation, tout en appelant à dépasser l’opposition binaire entre centre et périphérie. Pour la chercheuse et enseignante, il faut cesser de penser l’urbanisme à partir d’un centre ou d’une ville, mais l’aborder plutôt à l’échelle d’un territoire entier.
La ville colonise
Ce livre propose de renouveler la réflexion sur les tensions liées à l’extension urbaine; en prenant le parti du sol, des mains qui le cultivent et des écosystèmes qu’il abrite; en épousant réellement le regard des personnes directement affectées et non à partir de modèles théoriques encore et toujours basés sur la vision depuis un centre urbain.
Charlotte Malterre-Barthes, On Architecture and the Greenfield, The Political Economy of Space Vol. 2,
Hatje Cantz, 2024, CHF 25.50