Une ra­di­ca­lité sen­sible

«La maison du jardin», c’est ainsi qu’est surnommé le nouveau bâtiment de la Fondation Perceval, réalisé à Saint-Prex (VD) par le bureau zurichois GNWA – Gonzalo, Neri & Weck Architekten. Entre radicalité et finesse, le projet questionne la cohérence d’une culture compétitive, caractéristique du concours, dans le cadre d’un programme qui accueille des résidents fragilisés avec des besoins spécifiques.

Date de publication
16-12-2021

Le bâtiment propose des chambres et des ateliers de développement personnel pour vingt-deux adultes vieillissants en situation de handicap mental, mais aussi des appartements locatifs accessibles à tous. La plupart des résidents, fragilisés et sensibles, nécessitent des soins et un encadrement constant. De fait, il était très important, pour le maître de l’ouvrage et les architectes que les résidents se sentent «comme chez eux» en tenant compte des problèmes propres à chacun et des dispositifs que cela implique. À ce titre, le caractère domestique des espaces est primordial. Durant le concours, le geste décisif des architectes a été de réduire l’échelle du bâtiment en cassant les angles et en réalisant trois volumes qui correspondent à trois foyers d’hébergements indépendants, tous abrités sous une même toiture à deux pans. Mais le bâtiment réalisé ne se résume pas uniquement à un espace domestique et sécurisé. Loin d’être enfermé sur lui-même, il propose au contraire une grande ouverture sur le paysage environnant.

Paysage

S’insérant dans un site très arboré, le bâtiment s’articule autour d’une volumétrie pliée en béton enveloppée d’un bardage vertical en épicéa. Sa forme pourrait aussi résulter d’une interprétation libre de l’architecture anthroposophe qui gouverne quelques immeubles du site de la Fondation Perceval ou de l’école Rudolf Steiner de Crissier, une institution partenaire. La construction s’implante en bordure de la route de Lussy, mais lui tourne le dos par sa forme concave. Les espaces se retrouvent ainsi orientés vers un espace partagé, le jardin, qui prend la forme d’une prairie fleurie. Les entrées et les terrasses sont découpées dans le volume de manière à créer des angles concaves qui renforcent le lien avec l’extérieur. Depuis cet espace central, la volumétrie du bâtiment, avec ses plis, offre une vue presque panoramique sur le site. Cette relation visuelle est mise en valeur de deux manières. Premièrement, au rez-de-chaussée, le foyer se déploie tout en transparence. Les ouvertures occupent l’ensemble de la façade avec des cadres de fenêtre aussi fins que possible.

Cette prouesse structurelle au vu de la longueur de l’espace a été rendue possible par une suspension de la façade à la toiture. Deuxièmement, à l’étage, où les relations se veulent plus intimes, des dégagements visuels cadrés et généreux sont aménagés aussi bien dans les chambres et salons que dans les espaces de circulation. Chaque corridor s’ouvre en fin de parcours sur le paysage, comme un souffle venu de l’extérieur. Ils sont également éclairés en second jour par des fenêtres donnant sur les cages d’escalier dotées d’une ouverture zénithale qui confère une ambiance presque solennelle. Enfin, des loggias aux angles viennent renforcer la liaison avec l’extérieur. Ainsi, chaque espace possède une relation intime avec le paysage, dans une dualité entre introversion protectrice et ouverture affirmée sur l’extérieur.

Contrastes

La nécessité d’une certaine sensibilité dans le projet en raison du handicap mental et parfois physique des usagers a induit une architecture de contrastes et d’ambiances qui permet à chaque entité de l’institution (ateliers, cantine, chambres individuelles à l’étage) de trouver son identité. Celle-ci se retrouve notamment dans le programme, superposé verticalement. Pensé comme un jardin intérieur, l’espace commun au rez-de-chaussée épouse la géométrie de l’édifice, relie les trois foyers et l’entrée et s’oriente vers le jardin. Élément de liaison à l’origine, il est devenu au fil du projet un espace central et convivial qui rassemble aussi bien les résidents que les employés et les locataires. À l’étage, les chambres se développent selon une logique plus intime, chaleureuse et sécurisée. Enfin, le volume généré par la toiture en pente exigée par le plan partiel d’affectation a permis au cours du projet d’adjoindre au programme des locaux techniques ainsi que cinq appartements locatifs accessibles de façon indépendante. Ceux-ci sont conçus avec un minimalisme prédominant qui s’esthétise. Tout espace superflu est évité et les matériaux choisis sont bruts et neutres. La chape est poncée au sol dans les espaces de jour et la toiture en béton armé est laissée apparente, mise en valeur dans des volumes impressionnants.

Cette architecture de contrastes se trouve aussi dans les matérialités. Le béton apparent dialogue à travers l’ensemble du bâtiment avec un bois de chêne aux nervures visibles. Ce contraste se lit spécialement dans la cage d’escalier où le traitement brut du béton est tempéré par le détail travaillé de la main courante en bois. De plus, l’utilisation ponctuelle d’autres matériaux renforce ou atténue les contrastes et les spécificités du programme. C’est par exemple le cas du revêtement de tommettes en terracotta au rez-de-chaussée qui, faisant référence à un imaginaire domestique, accentue le caractère communautaire de l’espace. Ou encore les trois tonalités différentes de linoleum qui correspondent à chacun des foyers afin de favoriser le sentiment d’appartenance des résidents.

Radicalité

Les intentions claires et fortes des architectes vont dans le sens d’une architecture radicale. Prise dans son sens philosophique, cette radicalité signifie l’essence de quelque chose qui tire les conséquences du projet à l’extrême. Ce processus se lit particulièrement dans les appartements des combles dont les volumétries démesurées pour une échelle domestique sont la résultante du choix initial de la toiture. Mais que ces appartements s’assimilent à des espaces solennels plutôt qu’à du logement importe finalement peu. Par un épuisement de l’architecture dans chacune des décisions, dans ses concepts, ses fonctions, ses techniques, les espaces acquièrent une qualité singulière et hautement spécifique. La surqualification de la grande ouverture sur l’extérieur ou encore ces contrastes assumés entre les espaces et les matières constituent ici un accompagnement aux usagers, parallèle à celui procuré par le personnel soignant. L’architecture participe au soin. Interprétée comme productrice de singularités, la radicalité donne une réponse aussi bien dans la perspective de l’espace vécu que de l’espace conçu.

Ainsi, issu d’une part d’une procédure de concours ouverte qui nécessite l’élaboration de projets forts, séducteurs et efficaces et, d’autre part, d’un programme très normé en raison de son aspect médical (cloisons amovibles, lève-personne sur rail, porte coulissante pour la salle de bain, etc.), le projet parvient néanmoins à mettre en avant l’expérience individuelle de l’usager dans une réponse adaptée et cohérente. Les architectes, par leur expérience et l’instauration d’un dialogue intense aussi bien avec le maître de l’ouvrage et les futurs occupants qu’avec les ingénieurs, mettent l’architecture radicale et ce qu’ils considèrent être les éléments clés d’un projet – le contexte et la structure – au service d’une approche sensible qui offre aux usagers la possibilité de se créer un «chez soi».

«La maison du jardin», Fondation Perceval, Saint-Prex (VD)

 

Maître d’ouvrage: Fondation Perceval

 

Architecture: GNWA – Gonzalo, Neri & Weck Architekten

 

Direction de travaux: Pragma Partenaires

 

Ingénieur civil: Muttoni et Fernández, ingénieurs conseils

 

Programme: 22 chambres pour adultes vieillissants en situation de handicap, 4 ateliers, 5 appartements locatifs

 

Concours: 2016, 1er prix, 1er rang

 

Réalisation: 2018-2020

 

Surface de plancher brute: 4250 m2

 

Coût HT CFC2: 14,3 millions CHF

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