Viaduc sur l’A9
Situé sur la commune de Rennaz dans une zone dense en voies de communication, le viaduc est un ouvrage majeur de la nouvelle route principale H144. Il en est un des points de connexion et franchit l’autoroute A9, la route cantonale RC 780 et plusieurs chemins agricoles.
Un projet de pont peut se limiter à disposer des poutres les unes après les autres pour relier deux points. Mais concevoir un pont qui soit un ouvrage d’art, demande de répondre de manière synthétique à une multitude de paramètres et d’exigences. Un pont est avant tout une structure : réalisée avec un matériau adéquat qui détermine sa forme spécifique, elle intègre non seulement l’usage proprement dit, mais aussi la méthode de construction et son intégration dans le paysage.
Conception longitudinale
La géométrie de l’ouvrage est conditionnée par les exigences de gabarits de l’autoroute A9 et de la route cantonale RC780. Le projet proposé a une longueur de 351.60 m et possède onze travées dont la portée est de 33 m en général, augmentée à 34.80 m pour franchir l’autoroute et de 26.40 m dans les travées de rive (fig. 2 et 3). Les choix suivants ont été faits dans le cadre du concours :
construction sans pile même provisoire sur la berme centrale de l’autoroute afin de limiter les risques d’accidents et les nuisances pour les usagers, tablier en béton précontraint avec une section unitaire et constante sur toute la longueur du viaduc, pont flottant avec une liaison rigide du tablier sur les piles afin de supprimer les appuis sur ces dernières pour d’une part de les affiner et d’autre part de disposer les appuis mobiles qu’aux culées où ils sont facilement accessibles pour les opérations d’entretien, construction de la travée sur l’autoroute de manière indépendante du reste du viaduc.
La section du tablier est constante sur toute la longueur de l’ouvrage lui donnant une force et une unité (fig. 1).
La précontrainte longitudinale composée de quatre câbles de 13 torons et quatre câbles de 19 torons en acier Y1860 (fig. 3). Construite au préalable, la travée au-dessus de l’autoroute est renforcée avec deux câbles de 12 torons rectilignes. Aux différentes étapes de bétonnage, les câbles longitudinaux sont couplés de telle sorte que 50 % des câbles sont liés avec des coupleurs dans la même section.
Le tablier est précontraint longitudinalement de façon à atteindre un degré de compensation des déformations de b = 0.85 dans chacune des travées. Ce haut degré permet d’atteindre le niveau d’exigence élevée et assure un bon comportement à long terme de l’ouvrage ainsi qu’une bonne durabilité.
Conception transversale
L’élégance du tablier a été recherchée dans sa finesse ; il est taillé comme une aile d’avion. Le tablier, en béton précontraint, est composé d’une dalle de roulement raidie par deux nervures longitudinales qui reposent chacune sur les bras de piles en forme de V. Les deux nervures disposées dans la partie centrale du tablier sont précontraintes longitudinalement. La dalle de roulement est précontrainte transversalement.
Avec une topographique très plate, le viaduc est souvent perçu de manière rapprochée. Afin d’obtenir une image allégée, les éléments techniques (gaines techniques et le collecteur des eaux) sont donc dissimulés entre les nervures. Les conduites d’évacuation des avaloirs sont bétonnées dans l’épaisseur du tablier.
L’élégance de l’ouvrage est également due à la finesse de ses piles. Chacune des deux branches des piles est inclinée pour supporter une des nervures du tablier. La section de la base de toutes les piles est constante ainsi que celle de leur sommet. L’inclinaison des piles est donc variable (fig. 4).
La section des branches a une forme de trapèze dont la hauteur s’élargit de la base au sommet des piles. La section trapézoïdale des piles leur offre une apparence dynamique par différentiation des surfaces exposées à la lumière.
La section transversale finale intégrant le tablier, la pile et les fondations illustre bien la complexité de la construction des ponts (fig. 5) : l’armature et les câbles de précontrainte sont également visibles de même que les éléments techniques.
Culées
Situées de part et d’autre du viaduc, les culées assurent la liaison avec les remblais. La culée en tant qu’élément de liaison est déterminante pour l’intégration de l’ouvrage dans le site. Les culées s’étendent sur toute la largeur du tablier et sont intégrées partiellement dans les remblais qui prolongent le viaduc (fig. 6 et 9). Les murs d’aile sont inclinés avec un fruit négatif pour s’aligner avec les faces extérieures des bordures du tablier.
Les culées sont conçues avec une chambre de visite qui donne accès aux appareils d’appui. Sur chaque culée, un appui pot mobile unidirectionnel est disposé sous chaque nervure. Les appareils d’appui sont contrôlables et permettent de compenser les tassements différentiels.
Un joint de chaussée à peigne entraîné est disposé aux extrémités du tablier sur chacune des culées. Les éléments soumis à l’usure et au vieillissement peuvent être remplacés depuis la chaussée.
Fondations et remblais
Les sols de fondations ont été sondés lors d’une campagne de reconnaissance géologique en réalisant des forages au droit de chaque pile et chaque culée. Les couches de sols sont horizontales et elles sont composées du haut vers le bas d’une couche superficielle terreuse, de dépôt d’inondation, de dépôts fluviatiles et de dépôts lacustres jusqu’à plus de 30 m de profondeur. Des pieux, qui résistent principalement par frottement latéral, ont donc été mis en place pour chaque pile et culée. La culée «Valais» et les piles P1 à P5 sont fondées sur des pieux d’un diamètre maximal de 600 mm mis en place par refoulement de sol. Chacune de ces piles est appuyée sur une semelle qui répartit les charges sur un groupe de 2 x 3 pieux d’une longueur de 27.0 à 28.5 m. La culée Valais est appuyée sur 2 x 4 pieux de 21.5 m de longueur.
La culée Vaud et les piles P6 à P10 sont fondées sur des pieux forés tubés de 700 mm de diamètre, car le gabarit disponible à proximité des lignes à haute tension a imposé un changement de méthode d’exécution. Chacune de ces dernières piles est appuyée sur une semelle qui répartit les charges sur un groupe de 3 x 4 pieux d’une longueur de 11.5 à 14.0 m. La culée « Vaud » est appuyée sur 2 x 4 pieux de 20 m de longueur.
Les remblais des culées sont importants puisqu’ils atteignent jusqu’à 30 m de largeur et 6 m de hauteur (fig. 7). Les tassements engendrés par la construction de ces remblais peuvent être importants. Des mesures in situ et des analyses numériques de comparaison et d’ajustement ont été effectuées afin de démontrer que la construction des remblais n’allait pas créer de tassements importants (voir article p. 27).
Méthode de construction
La construction du viaduc a débuté par la réalisation des remblais de préchargement aux deux culées. Une fois les remblais consolidés, les pieux ont été exécutés pour moitié des fondations selon la technique des pieux à refoulement et pour la seconde moitié, en raison des contraintes de gabarit au-dessous des lignes à haute tension, comme des pieux forés tubés. Après le terrassement des fondations, des piles et des culées, les pieux ont été recépés avant que les semelles ne soient bétonnées. Les piles ont été exécutées successivement, en fonction de la rotation des coffrages et de l’avancement de la construction du tablier.
Le tablier a été construit par travée à l’aide de cintres appuyés sur les fondations définitives des piles sans appui intermédiaire, afin de réduire les risques de tassement lors du bétonnage. Une fois la travée bétonnée et mise en précontrainte, le cintre est déplacé dans la travée suivante (fig. 8). Le franchissement de l’A9 a été réalisé avec un cintre au-dessus du tablier. Au-dessus de la route cantonale, le gabarit routier réduit pour le chantier (4.60 m de hauteur et 6.0 m de largeur) permet la mise en place de cintres composés de profilés métalliques.
Structure en béton
Obtenir un ouvrage de qualité en béton est une histoire de définition des paramètres et de suivi du processus de réalisation.
Le béton du viaduc a été spécifié selon les normes EN-206. Deux de ses caractéristiques étaient particulières. La première était d’avoir un faible retrait, ce qui implique de limiter la quantité de pâte de ciment. Plusieurs essais et mesures ont été effectués sur les retraits de béton pour valider la formule. La deuxième exigence concernait sa coloration, puisqu’on voulait un béton gris clair, mais sans traitement particulier. Cette coloration a pu être obtenue en choisissant un ciment Bisolvo 3R CEM 11/B-M V-LL 32.5 R avec de la cendre volante siliceuse et du calcaire.
Toutes les parties visibles du viaduc ont été coffrées avec des coffrages calepinés de type 4.14. Les arêtes sont à angles vifs sans chanfrein pour toutes les surfaces des piles, des culées et du tablier.
Les bétonnages en une étape ont été favorisés, puisque cette solution a été adoptée à la fois pour chacune des travées du tablier (nervure et dalle de roulement), pour les piles (sur toute la hauteur) et pour les murs de culées.
Au niveau des traitements de cure après bétonnage, la surface du tablier a été talochée puis recouverte avec un produit de cure. Une natte isolante a été disposée sur la face supérieure du tablier et le coffrage a été maintenu durant au minimum 14 jours après le bétonnage. Ce n’est qu’après cette phase de durcissement et la mise en tension des câbles de précontrainte longitudinaux et transversaux que le tablier a été décoffré. Pour les piles, le coffrage est maintenu cinq jours après le bétonnage. Les surfaces sont ensuite protégées par une natte isolante.
Les bordures, qui sont les éléments les plus visibles du tablier, ont été réalisées en suivant l’avancement de la construction du tablier. Elles ont été bétonnées avec un chariot de coffrage pour réaliser des étapes d’une longueur de 7.5 m qui respectent le calepinage du tablier. Les têtes d’ancrage des câbles de précontrainte transversaux sont ainsi cachetées.
Calme et élégance
La construction du viaduc sur l’A9 s’est déroulée dans les délais exigés par le planning (24 mois) et dans les budgets du devis général. Le coût final de construction (hors taxes et honoraires) est de 10 850 000 fr. Ramené à la surface du tablier (3 770 m2), ce montant correspond à un coût de 2 880 fr./m2 qui intègre les remblais de plus de 200 m de part et d’autre du viaduc.
L’intégration d’exigences multiples dans une structure unitaire a abouti à la réalisation d’un ouvrage d’art qui s’insert de manière calme et élégante dans le paysage de la plaine du Rhône. Un travail qui n’a pu être mené à bien que grâce à l’implication de nombreux intervenants autres que nous profitons de remercier ici pour leur engagement.
Philippe Menétrey et Claude Broquet travaillent comme ingénieurs dans le bureau INGPHI SA à Lausanne.
Ueli Brauen est actif au sein du bureau Ueli Brauen et Doris Wälchli architectes à Lausanne.
Le viaduc en chiffres
Terrassement déblais remblais : 32 000 m3
Pieux béton à refoulement diam. 61 cm : longueur totale bétonnée 950 m
Pieux béton forés tubés diam. 72 cm : longueur totale bétonnée 1 100 m
Palplanches : surface 525 m2
Béton armé : 2 800 m3
Acier d’armature : 580 to
Précontrainte : 5 300 m
Etanchéité : 3 800 m2
Revêtement bitumineux : 860 to