Vo­lumes de pierre

Date de publication
17-09-2021

Comme John Ruskin l’écrivait dans Les pierres de Venise, les pierres naturelles qui constituent un bâtiment peuvent raconter des histoires à ceux qui sont capables de les lire1. Pour les bâtiments de Plan-les-Ouates (lire l'article Pierre mas­sive à do­mi­cile), nous aimerions en raconter deux. La première concerne le matériau choisi, le calcaire: à Genève, c’est un choix qui s’adapte à l’environnement construit. Cette ville présente, en particulier dans les bâtiments réalisés après la première moitié du 19e siècle, un large emploi de calcaires provenant autant du Jura que de la région Rhône-Alpes2. Des calcaires plus résistants et de porosité réduite dans les socles des bâtiments, corniches et modénatures, et des calcaires de duretés inférieures – et donc de façonnage plus aisé – pour les façades et les éléments décoratifs. Certains de ces matériaux, et en particulier ceux de provenance suisse, ne sont plus disponibles aujourd’hui. Notre histoire se termine donc par une double interrogation: comment concilier l’impossibilité d’employer la ressource «locale» et la recherche d’une possible intégration des constructions dans leur contexte bâti, formé par toutes les couches géologiques et historiques3.

La deuxième histoire parle de la ressource et de son emploi. La pierre naturelle a été utilisée pour la réalisation de toutes les structures verticales des bâtiments. Le système structurel choisi est celui d’une façade et d’un noyau intérieur porteurs, formés par des maçonneries en pierre naturelle. Selon le vieux principe de la bonne pierre au bon endroit, pour les bâtiments de Plan-les-Ouates, trois pierres naturelles ont été employées. Des calcaires qui ont des caractéristiques mécaniques et de résistance aux agents atmosphériques différentes. Le calcaire fossilifère de la carrière des Estaillades a été employé pour les maçonneries non porteuses d’épaisseur 14 cm qui séparent les pièces de service dans le noyau des bâtiments. Ce calcaire poreux se trouve donc dans une partie non exposée. Les maçonneries porteuses du noyau central d’épaisseur 30 cm sont constituées par le calcaire oolithique de Migné.

Le même calcaire, avec une épaisseur de 40 cm, a été employé pour les maçonneries des façades en dehors des éléments les plus sollicités statiquement, comme les linteaux, ou par les agents atmosphériques, comme le socle, les corniches et la balustrade de l’acrotère. Pour ces éléments, le choix s’est porté sur le calcaire oolithique de Brétigny. Le volume total de pierre naturelle mise en œuvre atteint les 2200 m3 ou 10 000 blocs de pierre naturelle. Les éléments de grandes dimensions, posés avec un mortier de chaux et ciment, présentent des surfaces brutes de sciage. Ce choix, imposé aussi pour des raisons de coûts, rend les bâtiments clairement reconnaissables et les différencie des anciens édifices, qui présentent une mise en œuvre «classique» du matériau. Dans le passé, les calcaires étaient «ravalés» pendant la mise en œuvre afin de rendre les surfaces les plus homogènes possibles. Ces traitements de surface permettaient également de produire des ombres et des «vibrations» dans le matériau. La surface brute de sciage, paradoxalement, produit ces mêmes effets grâce aux traces laissées par les disques diamantés. Des effets similaires sont visibles dans les bâtiments de logement de Fernand Pouillon, Gilles Perraudin ou Jørn Utzon, tous réalisés avec des calcaires.

Les deux immeubles en cours de réalisation aux Sciers démontrent que la pierre naturelle massive structurelle peut être employée pour la construction de bâtiments de logements contemporains à loyer modéré4. Ils montrent également que le matériau pierre naturelle n’est pas seulement un choix constructif contemporain, mais qu’il peut également contribuer à enrichir nos villes en significations.

Notes

 

1. «Ces couleurs, en plus de leur délicatesse d’adaptation, renferment toute une histoire; par la façon dont elles sont placées dans chaque morceau de marbre, elles nous disent par quels moyens fut produit ce marbre et par quelles transformations il a passé.» [Ruskin, J. 1934:177-178] John Ruskin, Les pierres de Venise. Études locales pouvant servir de direction aux voyageurs séjournant à Venise et à Vérone, Paris, H. Laurens Éditeur, 1934, pp. 177-178.

 

2. «Les carrières de la région Rhône-Alpes apporteront les roches dures d’Hauteville et de Villebois ou encore les calcaires tendres d’Estaillades et de Saint-Paul-les-Trois-Châteaux. Du nord et de l’est de la France arriveront les pierres tendres de Morlay et Savonnières qui supplanteront souvent de façon partielle la molasse sur un même édifice». «Quelques aspects genevois relatifs à la pierre de taille», in: Association Romande des Métiers de la Pierre, Charte d’éthique et de bienfacture pour la réfection de monuments et de bâtiments, Lausanne, ARMP, 2000, p. 28.

 

3. Pour approfondir: Guillaume Habert, «C’è abbastanza pietra in Svizzera?», Archi, 5/2018

 

4. Pour approfondir: Gilles Perraudin, «Sobrio e frugale», Archi, 5/2018

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