Révision du projet R3: "Les professionnels secouent la tête"
Fin mai, le gouvernement valaisan a annoncé une révision du projet de la 3e correction du Rhône. Cette décision et la procédure qui l'accompagnent sont fortement critiquées par les spécialistes. Dans un entretien avec l'expert en aménagement hydraulique Jürg Speerli et Markus Jud, ancien chef du projet "Hochwasserschutz Linth 2000", nous analysons cette révision à l'aune des récents événements actuels en Valais.
TEC21 / TRACÉS: Comment faut-il interpréter la décision du canton du Valais de réviser le projet de la 3e correction du Rhône?
JS (Jürg Speerli) La décision a une grande importance, non seulement pour la 3e correction du Rhône (R3) en tant que projet, mais aussi pour la gestion future de la protection contre les crues dans toute la Suisse. Derrière le projet R3 se cachent plus de 20 ans de planification ainsi que des projets partiels déjà réalisés ou en cours de réalisation. Tout cela est maintenant fondamentalement remis en question.
Je pense qu'il est juste et important que les projets d'une telle durée soient examinés périodiquement, par exemple par une expertise indépendante. Dans le cas présent, l'analyse a été confiée à un bureau sans expérience en matière d'aménagement hydraulique ou de protection contre les crues et sans que les services spécialisés, les planificateurs, les experts et même les instances concernées du canton de Vaud, partenaire du projet, ne soient impliqués. De mon point de vue, ce procédé est non seulement incorrect, mais aussi discutable d'un point de vue démocratique. Le projet R3 approuvé par un processus démocratique, a été négocié au niveau fédéral ainsi que dans les parlements des cantons de Vaud et du Valais avant d’obtenir l'approbation de 57% de l’électorat valaisan. C'est donc un projet qu'une majorité considère comme équilibré et bon. Or, le conseiller d'État Franz Ruppen a décidé, quasiment en catimini, de mettre le projet en veilleuse. C'est pour moi un no-go absolu.
Je trouve en outre dérangeante la distorsion des thèmes de nature professionnelle. Dans le cadre de cette décision, on a souvent entendu ou lu qu'il s'agissait d'un « projet de renaturation ». C'est tout simplement faux. La 3e correction du Rhône est un pur projet de protection contre les crues – pas un projet combiné et encore moins un projet de renaturation. En raison de la campagne d'information menée en Valais, les projets d'élargissement ou de renaturation des cours d'eau risquent d'être discrédités dans toute la Suisse. Cela ne nuit pas seulement à une région, c’est également dommageable au niveau national.
Comment jugez-vous l’analyse mandatée par le canton du Valais et la présentation de ses résultats lors de la conférence de presse du 28 mai dernier?
JS L'analyse et la présentation des résultats ont donné une impression complètement fausse du projet. Tant la conférence de presse que les interviews qui ont suivi étaient truffées de déclarations erronées. Tout d'abord, il me semble important de comprendre comment les projets de protection contre les inondations sont élaborés dans notre pays. Ils se basent entre autres sur des cartes de dangers, lesquelles représentent une somme de scénarios possibles – par exemple des inondations ou des ruptures de digues – et livrent des informations sur les intensités attendues et la probabilité d'occurrence. Sur cette base, le potentiel de dommages est déterminé à l'aide d'instruments établis et l'opportunité économique des mesures de protection est évaluée. Cette procédure intégrale garantit que toutes les mesures de protection contre les crues en Suisse sont planifiées de manière comparable.
Or dans l'analyse et la communication des résultats, des arguments sans fondement ont été avancés, uniquement dans le but de désavouer le projet R3. On prétend par exemple qu’il repose sur des bases erronées, des scénarios exagérés, des débits de dimensionnement trop élevés ou qu'il ne tiendrait compte ni des effets du changement climatique ni des possibilités de rétention dans les lacs d'accumulation. De telles affirmations ne sont pas qualifiées et ne tiennent aucunement compte de la complexité des processus en jeu lors des crues.
Prenons les débits de dimensionnement : le Rhône dans son état actuel a des capacités d'écoulement insuffisantes et des digues qui sont en partie en mauvais état. D'un point de vue technique, il est absolument inadmissible d’établir des comparaisons avec la crue du Rhône d'octobre 2000 ou avec les intempéries récentes puis de prétendre que le dimensionnement des capacités d'écoulement pour une crue centennale est actuellement suffisant et que tout ce qui va au-delà serait surdimensionné. Les inondations de l'an 2000 étaient certes de l'ordre de grandeur d'une crue centennale, tout comme les pics de débit dans le Haut-Valais lors des événements récents. Mais dans les deux cas, on a eu de la chance : en 2000, une digue s'est rompue sur un tronçon très court dans une zone présentant peu de dommages potentiels et, fin juin 2024, il s'est agi d'un événement pluvieux certes violent, mais aussi très court et limité géographiquement.
Comment jugez-vous les arguments avancés selon lesquels les effets du changement climatique et les possibilités de rétention dans les lacs d'accumulation ne seraient pas suffisamment pris en compte dans le projet R3?
JS Pour moi, ces arguments sont incompréhensibles. Selon les lois de la physique, le changement climatique entraîne justement une augmentation de la vapeur d'eau dans l'air, et donc des précipitations plus fréquentes et plus intenses ; de plus, la limite des chutes de neige s'élèvera avec un climat plus chaud. Des événements survenus au cours des 20 dernières années le prouvent également. À mon avis, le changement climatique a été explicitement pris en compte dans le projet général en fixant sciemment la valeur de dimensionnement des capacités d'écoulement dans la partie supérieure de la fourchette statistique. Réduire les débits de dimensionnement avec des arguments liés au changement climatique est une démarche non professionnelle et négligente.
Les volumes de rétention dans les lacs d'accumulation peuvent en principe être pris en compte, surtout dans les petits bassins versants, comme celui de la Viège à Zermatt. Mais il faut savoir que les lacs d'accumulation entrant en ligne de compte en Valais ne couvrent qu'un quart environ du bassin versant du Rhône et que les abaissements de niveau nécessitent des prévisions plus précises en raison des longs délais d'anticipation ; l'efficacité espérée ainsi repose davantage sur le hasard que sur une véritable planification. De plus, les intempéries qui entraînent des crues en Valais se produisent souvent jusqu'en automne, voire à la fin de l'automne, c'est-à-dire à un moment où les réservoirs sont déjà pleins. D'ailleurs, de telles mesures ont été examinées dans le cadre d'une étude menée à l'EPFL pour le projet R3, mais elles ont été rejetées par les cantons car elles présentaient trop peu de potentiel et trop d'incertitudes.
Réserver de si grands volumes de stockage à de telles fins va en quelque sorte à l'encontre de la stratégie énergétique de la Confédération, qui prévoit justement d'augmenter ces volumes comme contre-mesure prioritaire à d'éventuelles pénuries d'électricité hivernales. Pour les nouvelles installations, l'objectif est bien de prévoir une utilisation multiple. Elles doivent être conçues en conséquence et les indemnisations doivent être réglées dès le départ. Je suis toutefois convaincu que l'effet se limite à la zone proche de l'installation et qu'il existe peu de potentiel pour les rivières de plaine.
En résumé, il me semble important de préciser que les inondations sont des processus à la dynamique complexe et difficilement prévisibles. Ni un expert ni un politicien ne peut par exemple prédire si une digue va se rompre et, si oui, à quel moment et à quel endroit. Le projet R3 tel qu’approuvé a été planifié selon l'état actuel des connaissances, à l'aide des instruments courants et comprend des mesures robustes et adaptables.
Hochwasserschutz Linth 2000" était également un projet courant sur plusieurs générations. Quels sont les facteurs décisifs dans l'interaction entre la politique et la technique pour que de tels projets puissent être mis en œuvre dans le cadre prévu malgré les résistances?
MJ (Markus Jud) De manière générale, l'interaction entre la politique et le projet (ou l'organisation du projet) n'est pas assez thématisée. Dans de nombreux cas, la politique est certes représentée au sein d'un comité de pilotage, mais elle n'apparaît que rarement sur le plan stratégique. D'après mon expérience, la politique joue un rôle central dans l'organisation du projet et sera donc déterminante pour sa réussite. Elle en assure la direction stratégique et peut donc le corriger.
Ce n’est pas une tâche à prendre à la légère: elle peut remettre en question le processus de projet, les résultats de l'étude et les décisions de la direction du projet. De même, les décisions d'ordre supérieur – par exemple concernant les variantes ou la hiérarchisation des mesures – doivent être prises par les politiques ; ils et elles ne peuvent pas les déléguer. Je dirais que pour les mener à bien les représentant·es politiques au sein d'une organisation de projet doivent diriger activement les projets.
Dans le cadre du projet "Hochwasserschutz Linth 2000", qui s'est étendu sur 15 ans, de la planification à l’inauguration, les présidents de la commission de la Linth ont contribué de manière déterminante au succès du projet grâce à leur gestion active. Je m'explique : cette commission est une sorte de conseil d'administration du projet, composée de conseillers d'État des cantons riverains de Glaris, Schwyz et Saint-Gall ainsi que d'un représentant de l'Office des déchets, de l'eau, de l'énergie et de l'air du canton de Zurich. Une direction active signifie également un soutien à la direction du projet et qui lui permet de se consacrer aux affaires courantes. C'est ce que les présidents ont fait de manière exemplaire pendant leurs mandats respectifs. C'est important, car l'élaboration d'un projet de protection contre les crues dans le climat politique actuel peut devenir une lourde charge pour un chef de projet. Je parle en connaissance de cause.
En contrepartie, un chef de projet doit informer de manière transparente et continue sur le projet, afin que les décisions stratégiques puissent être prises à temps. Il faut donc une collaboration basée sur la confiance – presque une symbiose – pour que cela fonctionne.
JS Cette collaboration basée sur la confiance a également été observée lors des phases précédentes de la 3e correction du Rhône – je pense ici à l'ancien conseiller d'État Jacques Melly et à l'ancien chef de projet Tony Arborino.
MJ Tu as raison : cet engagement pour le projet de la part des politiques s'est fait sentir pendant le mandat de Jacques Melly. Seulement, la durée des mandats politiques correspond mal aux projets de longue durée. Je veux dire par là qu'il est tout à fait naturel qu'il y ait des changements de personnes au cours des projets. Dans ma conception de l'État, un membre d’un exécutif est toujours tenu de respecter les lois en vigueur ; il assume en outre un mandat et accepte donc aussi les décisions de ses prédécesseurs et d'éventuelles votations populaires. Il peut certes mettre l'accent sur certains points, mais il doit faire passer son propre agenda politique au second plan. Il doit avant tout y consacrer du temps s'il veut que le projet aboutisse – ce qui a beaucoup à voir avec la fixation de priorités. Dans le cas de la 3e correction du Rhône, un tel engagement est à mon avis indispensable.
De votre point de vue, est-il fondamentalement légitime que l'exécutif politique exerce, au cours du projet, une influence sur des contenus de projet approuvés par la loi et déjà financés?
MJ Oui, le politique doit pouvoir se pencher sur le projet à tout moment. Mais une intervention aussi radicale que celle du canton du Valais – indépendamment de son admissibilité – entraîne des retards de plusieurs années dans son développement. De plus, dans le domaine de la protection contre les crues, des solutions apparemment simples, comme celles qui sont actuellement en discussion dans le cadre de R3, ne peuvent pas être appliquées sans autre, par exemple eu égard à la protection des eaux souterraines. Le politique doit alors en assumer la responsabilité.
JS De mon point de vue, il est légitime que de nouvelles connaissances concernant les bases du projet ou les développements techniques apparaissent au fil des ans. Mais je ne vois ni l'un ni l'autre dans le contexte de la 3e correction du Rhône. Mais il n'est pas légitime de simplement qualifier de « fausses » des bases existantes et solides puis de stopper un projet sans présenter soi-même des arguments techniques solides. Cela ne correspond pas aux processus de décision éprouvés.
Après les inondations de la fin du mois juin, certains médias ont colporté l'idée de rehausser les ponts de Sierre/Chippis. Ce n'est pas fondamentalement faux, mais ce n'est qu'une demi-vérité. Dans le projet de la 3e correction du Rhône, deux nouveaux ponts sont déjà prévus à cet endroit. Mais la protection contre les crues doit être envisagée intégralement pour tout le tronçon de Sierre et les solutions doivent être mises en œuvre dans leur totalité.
Quelle pourrait être la portée d'un redimensionnement du projet sur les plans technique, juridique ou encore en termes de protection de la population contre les dangers naturels?
JS Le conseiller d'État Franz Ruppen et le chef du Service valaisan des dangers naturels, Raphaël Mayoraz, affirment – notamment en lien avec les récents événements – que le projet tel qu’approuvé est beaucoup trop compliqué, qu'il occupe trop de terrain et qu'il ouvre potentiellement la voie à de nombreuses oppositions. Ils s'appuient sur un projet alternatif proposé en 2011 par quelques communes du Bas-Valais. Ce dernier prévoyait d'assainir et de rehausser les digues existantes ainsi que d'élargir et d'abaisser au minimum le lit de la rivière. Déjà à l'époque, les communes à l'origine de l'initiative pensaient que l'on obtiendrait ainsi un projet moins coûteux et plus rapidement réalisable – donc la même sécurité à des coûts nettement moins élevés et en moins de temps. Ce projet alternatif a fait l'objet d'une expertise du "groupe d'experts Zimmerli", dans lequel j'étais également représenté. Ulrich Zimmerli, ancien professeur de droit de l'Université de Berne, y a notamment clairement démontré que de telles mesures ne pouvaient pas être autorisées sur la base de la loi révisée sur la protection des eaux et de l'ordonnance correspondante de 2011. Cette expertise n'a d'ailleurs pas été mentionnée une seule fois dans l'analyse qui vient d'être présentée.
Outre les aspects juridiques, il existe également des arguments hydrauliques qui plaident contre des mesures redimensionnées. En effet, une fois mises en œuvre, elles ne seraient ni adaptables à des débits qui pourraient encore augmenter à l'avenir, ni robustes en cas de surcharge : le risque de rupture de digue augmenterait massivement par rapport au projet général. Cette approche correspond à une philosophie dépassée en matière de prévention des dommages dans le domaine de la protection contre les inondations. Je m'explique : en 1987, une grande crue s'est produite dans la vallée uranaise de la Reuss. Les analyses de cet événement ont mené à un changement de paradigme dans les concepts de protection contre les inondations, menant à une approche différenciée, dans laquelle on protège par exemple différemment les zones à fort potentiel de dommages et les surfaces agricoles extensives.
En bref, il est faux de croire que l'abaissement du lit, l'assainissement et le rehaussement des digues constituraient une protection robuste et durable contre les inondations ou que l'occupation des sols pourrait être réduite de manière significative grâce à des casiers d'inondation placés de manière ciblée. Cela créerait même des problèmes supplémentaires : un abaissement du lit pourrait provoquer des courts-circuits avec la nappe phréatique sur des sites industriels pollués et contaminer les eaux souterraines ; des niveaux de débit élevés sans élargissement significatif du lit pourraient entraîner un risque accru de dommages en cas d'événement. Sur le Rhône, une protection durable et sûre contre les crues n'est tout simplement pas possible sans un élargissement, en raison de l'histoire des deux corrections passées, c'est-à-dire du rétrécissement, de la construction de digues déjà élevées. Et cet élargissement ne doit pas être confondu avec des revalorisations écologiques. L'élargissement prévu par le projet R3 repose sur des bases purement hydrauliques.
De plus, même un projet redimensionné coûtera plusieurs centaines de millions de francs – avec le risque de constater dans quelques décennies que l'on ne dispose pas des capacités d'écoulement nécessaires. Cette capacité d'adaptation est centrale pour le projet, et si l'on élève encore les digues, on perdra l’option qui permettrait, le cas échéant, d'évacuer des niveaux de débit encore plus élevés dans 50 ans. Il ne faut pas oublier que nous parlons ici d’un projet dont la durée de vie est de 80 à 100 ans.
MJ Je suis du même avis. Les grands projets de protection contre les crues ont une durée d'étude pouvant aller jusqu'à 20 ans. Une telle dépense ne vaut la peine que si le projet est conçu pour une durée de vie correspondante. Dans le cas du projet "Hochwasserschutz Linth 2000", la durée de vie de base a donc été délibérément fixée à 100 ans.
Quels arguments les intempéries récentes fournissent-elles en faveur du projet R3 tel qu'approuvé et comment éviter que ces événements ne soient mal interprétés dans le discours actuel?
JS Cette mauvaise interprétation s'est déjà produite en partie après les événements récents, par exemple lorsque les débits mesurés ont été comparés aux bases de dimensionnement du projet R3. Mais encore une fois, lors de la dernière crue, on a simplement eu de la chance qu'il s'agît d'un événement pluvieux court et limité à une région et que des mesures prioritaires aient déjà été mises en œuvre dans la région de Viège. D'ailleurs, ces mesures sont précisément conçues pour faire face à une crue extrême, ce qui est tout à fait justifié sur ce tronçon, car c'est la seule façon de garantir le maintien d'infrastructures importantes en cas d'événement. Les pics de débit enregistrés dans la région de Brigue - Viège étaient en tout cas supérieurs à une crue centennale. Des mesures redimensionnées, telles que celles actuellement en discussion, n'auraient donc probablement pas offert une protection suffisante. Il est dangereux de tirer des arguments en faveur des mesures redimensionnées à partir de tels événements et de l'ampleur heureusement faible des dommages – la vallée Rhône n'a subi que des dégâts matériels et n'a pas eu à compter de victimes, contrairement vallées latérales.
Les débits de dimensionnement élevés parlent en faveur du projet approuvé. Les crues de l'automne dernier et les deux événements de cet été seront pris en compte dans les statistiques des crues. Or en tant que valeur statistique, la récurrence des événements est un instantané et sera influencée par tous les événements à venir : deux ou trois intempéries similaires suffiront peut-être à ce qu'une crue aujourd'hui centennale corresponde, dans dix ans, à un événement cinquantennal. Je le répète : les projets planifiés pour des horizons aussi lointains doivent être capables de s'adapter.
Quelle est l'importance des voix qui s'élèvent actuellement parmi les spécialistes - pensez-vous que de telles opinions seront entendues par les responsables de projets?
MJ Si les responsables se soucient réellement de la protection contre les inondations, ils entendront ces voix. Il en va autrement lorsqu'ils poursuivent leur propre agenda et veulent le maintenir. Il est en tout cas dommage que le grand public n'ait guère connaissance du discours des spécialistes et que la souveraineté en matière de communication revienne malheureusement dans ce cas à ceux qui combattent le projet. La complexité de tels projets vient encore compliquer les choses : un profane ne peut pas du tout appréhender le projet ou faire la différence, par exemple, entre le dimensionnement pour une crue centennale ou une crue extrême. De même, il ne voit que ce qui se passe ou ne se passe pas ici et maintenant lors d'une inondation et et se réfère à des slogans qui font mouche. C'était également le cas pour la "Hochwasserschutz Linth 2000". On n'a guère de chance de s'y opposer avec des arguments techniques. Cette tendance s'accentue malheureusement ; on affirme de plus en plus sans argumenter...
JS Je ne suis pas aussi pessimiste en ce qui concerne les arguments techniques. J'ai été impressionné par la manière dont la prise de position des Spécialistes en dangers naturels (FAN), par exemple, a suscité un grand écho dans les médias sociaux. La prise de position de la Commission pour la protection contre les crues (CIPC) de l'Association suisse pour l'aménagement des eaux (ASAE) va également dans le même sens. Il s'agit tout de même de deux organes très importants dans le domaine de la prévention des dangers naturels, qui critiquent massivement la démarche et demandent que l'analyse commandée par l’État du Valais ne soit plus prise en compte. J'ai maintenant 40 ans de métier et je n'ai jamais vu une telle levée de boucliers : les professionnels secouent la tête.
Ce qui me donne de l'espoir, c'est que tout ce qui vient maintenant devra être négocié par la suite. Même le crédit de 1 mia CHF qui a été voté par le Parlement fédéral a été gelé entre-temps et ne sera probablement pas débloqué pour des solutions alternatives. J'espère en particulier que le Parlement appréciera les avis techniques de ce type et les intégrera dans la suite du processus de décision.
Quelle valeur ajoutée la 3e correction du Rhône apporte-t-elle à la société si elle est mise en œuvre dans l'ampleur initialement prévue et non dans une variante redimensionnée. Quelles expériences a-t-on tirées du projet "Hochwasserschutz Linth 2000"?
MJ "Hochwasserschutz Linth 2000" a finalement été très bien accueilli par la population. Les gens en voient la valeur ajoutée et la manière ils peuvent utiliser la revalorisation du paysage dans leurs loisirs. Les projets sont toujours une grande chance et les tronçons revalorisés sont particulièrement bien accueillis.
JS Je suis d'accord avec toi. Mais les gens doivent probablement d'abord voir ce qu'ils obtiennent avec le projet. En tant que planificateurs, nous devons peut-être aussi nous demander si nous communiquons suffisamment les contenus du projet, et notamment ces plus-values. Aujourd'hui, nous disposons de différents outils qui vont bien au-delà d'une représentation abstraite en plan. Nous devrions davantage utiliser ces possibilités !
Jürg Speerli a été président de la Commission pour la protection contre les crues (CIPC) de l'Association suisse pour l'aménagement des eaux (ASAE) (2010-2023), professeur d'hydraulique à la Haute école technique de Rapperswil (HSR) (2002 - 2020) et est actuellement propriétaire du bureau d'ingénieurs Speerli depuis l'été 2020. Pour la 3e correction du Rhône, il a travaillé en tant qu'expert en hydraulique dans le "groupe d'experts Zimmerli" (2011/12) et a été responsable, en tant que membre du groupe de travail, de l'organisation du Symposium CIPC 2022 "3ème correction du Rhône (R3) – le projet prend forme à Viège".
Markus Jud est ingénieur civil en exercice depuis 1990 et a occupé le poste d'ingénieur principal de la Linth de 1999 à 2024. Dans cette fonction, il a accompagné pendant 15 ans (1998-2013) le projet "Hochwasserschutz Linth 2000" en tant que chef de projet global. Depuis 2024, il est propriétaire de la société MJ Projektmanagement et travaille comme ingénieur-conseil. Pour la 3e correction du Rhône, il a réalisé au total deux expertises indépendantes sur mandat de l'Office fédéral de l'environnement : en 2018 sur les coûts et en 2019 sur la gestion des matériaux.
Propos recueillis par Ulrich Stüssi (TEC21) et Philippe Morel (TRACÉS). Traduction: Philippe Morel (TRACÉS)
La 3e correction du Rhône
La 3e correction du Rhône (R3) est un projet majeur de protection contre les crues qui fait suite aux inondations dévastatrices de 1987, 1993 et 2000. Il s’étend sur 162 km et se développe sur les cantons du Valais et de Vaud, de Gletsch (VS) au Léman. Le projet doit assurer la sécurité d’un peu plus de 100 000 personnes et permettre d’éviter des dommages estimés à 10 milliards de francs. En tant que maîtres d’ouvrage, les cantons du Valais et de Vaud ont estimé en 2016 le coût total du projet à 3,6 milliards de francs.
Les travaux R3 ont déjà débuté en 2009 à Viège (VS). En septembre 2014, le Grand Conseil du canton du Valais a accepté à une large majorité (98 voix pour, 24 contre et 2 abstentions) le projet de financement de R3. Attaqué par un référendum lancé par l’UDC et des représentants du monde agricole, le décret de financement a été soumis au peuple et accepté par 57% des votants le 14 juin 2015. Le Conseil d’État valaisan a décidé d’engager une révision du projet R3 et de son plan d’aménagement (PA-R3) le 22 mai 2024.
Les deux premières corrections du Rhône (1860-1890 et 1930-1960) ont permis un important développement industriel, économique, touristique, etc. de la plaine mais n’offrent aujourd’hui plus une protection suffisante, notamment en raison de la très forte augmentation du montant des dégâts potentiels induite par cet essor économique. Alors que le la protection contre les crues du Rhône reposait jusqu’à présent sur son endiguement, la solution retenue pour R3 combine le renforcement des digues avec l’abaissement du fond et l’élargissement du fleuve.
Dans nos archives
En 2019, TRACÉS a consacré un dossier à la 3e correction du Rhône : TRACÉS 16-17/2019
Le fleuve retrouvé
La troisième correction du Rhône, dite R3, vise d’abord une sécurité optimale, mais elle intègre aussi la question du paysage et veut renouveler la relation des habitants avec leur fleuve. Dans ce dossier, un entretien avec Tony Arborino (ancien chef de l’ancien Office cantonal de la construction du Rhône (OCCR3) du Canton du Valais), une mise en perspective historique des corrections et un zoom sur deux des tronçons sensibles, à Viège et sur le coude de Martigny.
Mesure prioritaire de Viège: une approche graduelle du risque
De par son activité industrielle, la région de Viège, dans le Haut-Valais, possède un important potentiel de dégâts liés aux inondations. La crue du Rhône d’octobre 2000 a montré les limites de la deuxième correction, notamment au niveau du risque de débordement et d’érosion des digues. L’année 2022 verra l’achèvement des travaux sur ce premier tronçon du projet R3 qui permet de se familiariser avec le visage de ce Rhône 3.0.
Corriger les corrections
Les trois crues exceptionnelles de 1987, 1993 et surtout 2000, ont eu raison des systèmes d’endiguement édifiés au 19e et 20e siècles pour développer la plaine du Rhône puis protéger ses zones agricoles. Face à l’urgence à protéger efficacement et durablement une plaine aujourd’hui largement urbanisée et industrialisée, la décision s’est imposée de lancer une troisième correction. Ce projet titanesque de plus de deux milliards de francs sur 20 ans se déploie le long des 160 kilomètres qui séparent Gletsch du Léman.