Un centenaire à l'école
Lire des cartes permet de comprendre et de mettre en relation des réalités territoriales, avec néanmoins le risque de les figer, voire de les biaiser. La lecture nécessitant un apprentissage, Tracés part à la découverte de l’Atlas Mondial Suisse, l’abécédaire géographique des écoliers helvétiques.
Depuis plus de 100 ans, les écoliers appréhendent les différentes facettes de la géographie de la Suisse et de la planète au travers de l’Atlas Mondial Suisse. Lors de sa session de fondation en 1898, la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP), émet la volonté de réaliser un seul et unique ouvrage scolaire de géographie pour toute la Suisse. Il est à ce jour encore le seul manuel publié et utilisé à l’échelle du pays entier.
L’édition en allemand est parue en 1910, suivie de celle en français en 1912 puis de la version italienne en 1915. L’Atlas Mondial Suisse permet de travailler sur la base des objectifs d’apprentissage des plans d’études régionaux pour la scolarité obligatoire (Lehrplan 21, Plan d’études romand (PER), Piano di studio) et des plans cadres des écoles de maturité et des écoles de culture générale édictés par la CDIP. La 6e édition, arrivée dans les classes en 2017, et comporte plus de 400 cartes topographiques, politiques, économiques, climatiques ou géologiques, autant de documents qu’il faut régulièrement mettre à jour. Une tâche qui, pour le groupe de rédaction piloté historiquement par les professeurs de l’Institut de cartographie et de géoinformation (IKG) de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), est grandement facilitée par les technologies numériques.
En effet, à l’instar de ce qui se fait pour la carte nationale suisse (voir article p. 6), la production du contenu de l’atlas, généré à partir de bases de données informatiques, est désormais en grande partie automatisée. Les informations qu’elles contiennent proviennent de différentes sources, comme l’Office fédéral de la statistique. Il suffit dès lors de les réimporter dans les bases de données afin de réactualiser une carte au contenu obsolète sans avoir, comme dans un passé assez récent, à la redessiner. L’automatisation de la production bénéficie également de la recherche menée à l’EPFZ : c’est ainsi que, sur la carte de la région de l’Everest, la représentation des rochers a pu se faire sans avoir recours à un dessinateur.
Un contenu parfois sensible
Le workflow entièrement numérisé, combiné aux performances des technologies d’impression, permet également de gérer efficacement les trois langues d’édition : l’atlas est en effet imprimé en six couleurs. Cinq d’entre elles sont rigoureusement identiques. Seul le noir, la couleur des caractères d’imprimerie, varie en fonction de la langue. Unique exception, le cahier présentant les pays du monde par ordre alphabétique, qu’il a fallu produire séparément en raison des variations orthographiques imputables aux différentes langues.
Un tel atlas se devant d’être à la fois pérenne et à jour, on peut se poser la question de l’utilité d’une version papier. Le professeur Lorenz Hurni, directeur de l’IKG et rédacteur en chef de l’Atlas Mondial Suisse y répond de manière claire : «Cet ouvrage se veut une référence pour des élèves qu’il accompagnera durant plusieurs années de scolarité, voire au-delà. Les données numériques brutes deviennent obsolètes beaucoup trop rapidement et n’offrent pas encore assez cette notion de référence. A l’heure d’Internet et des fake news, un atlas tel que le nôtre a l’avantage de proposer un contenu fiable car vérifié. C’est particulièrement important pour la géographie des zones de conflits actuels et anciens, où la situation peut évoluer rapidement et l’information être facilement biaisée en faveur de l’une des parties.» C’est ainsi que la mer qui sépare les deux Corées du Japon est indiquée selon trois variantes : mer de l’Est, mer Orientale de Corée ou mer du Japon. «Même si cette mer se situe bien loin de la Suisse, les ambassades respectives surveillent ce genre de contenu de très près et n’hésitent pas à faire pression en faveur de leur variante», poursuit Hurni.
Réflexions interdisciplinaires
Le papier a un autre avantage par rapport au numérique : pour des raisons pratiques, le nombre de cartes est limité. Lors des révisions, chacune d’entre elle est ainsi passée au crible de sa pertinence et adaptée ou supprimée en conséquence. Le site Internet de l’atlas permet cependant de compléter avantageusement son contenu en fournissant aux enseignants et aux personnes intéressées des explications sur les différentes cartes et les thématiques qu’elles traitent. Christian Häberling, collaborateur de l’IKG explique : « Conforme aux objectifs des plans actuels, l’atlas aspire à favoriser les réflexions interdisciplinaires. Ainsi, une carte de la contamination au césium 137 suite à l’accident de Tchernobyl complète les cartes ayant trait aux vents en Europe en s’appuyant sur une fiche thématique disponible sur le site Internet. »
A l’inverse, Internet permet également aux rédacteurs de l’atlas de présenter de nouvelles thématiques. «Grâce aux images satellites et à des outils comme Google Earth, nous avons aujourd’hui accès à des données auxquelles nous ne pouvions même pas rêver autrefois», explique Hurni. «En quelques clics, je peux survoler des régions où l’on ne peut pas se rendre et pour lesquelles il est impossible d’obtenir, bien souvent pour des raisons militaires, du matériel cartographique. Une telle technologie permet, même à nous cartographes, de (re)découvrir de larges pans de la planète !»
Atlas Mondial Suisse
Schulverlag plus AG, Berne, 2017 / Fr. 63.80
schweizerweltatlas.ch/frPrix du public ICA 2017
La nouvelle édition de l’Atlas Mondial Suisse a gagné le prix du public dans la catégorie «Atlas» à l’occasion de l’exposition cartographique internationale à Washington, D. C. (Etats-Unis).