Sur nos mon­ts quand le so­leil

Installer des panneaux photovoltaïques en altitude pourrait réduire de manière significative le déficit d’alimentation que connaît cette énergie renouvelable en hiver. À cet égard, les infrastructures hydroélectriques disséminées dans les vallées alpines pourraient être le support idéal pour implanter des centrales solaires.

Data di pubblicazione
10-02-2020

La production d’électricité photovoltaïque est soumise à de fortes variations saisonnières, ce qui induit un déséquilibre avec la demande. Si le solde est positif en été, la production est insuffisante en hiver : les journées sont moins longues, le soleil moins haut dans le ciel et le stratus fréquent à basse altitude. Faute de pouvoir stocker efficacement la surabondance estivale, il serait donc intéressant de pouvoir produire davantage d’électricité photovoltaïque en hiver.

Des chercheurs de l’Institut SLF pour l’étude de la neige et des avalanches et de l’EPFL ont montré en 20191 que l’installation de modules photovoltaïques en altitude pourrait réduire de manière significative le déficit d’alimentation hivernal, car le rayonnement solaire y est plus important en hiver que sur le Plateau et le rendement des modules photovoltaïques meilleur à basse température. Grâce à des données de télédétection satellitaire, ils ont pu évaluer le rayonnement solaire pour tout le territoire suisse, et ainsi déduire la production électrique photovoltaïque potentielle.

Les chercheurs ont également étudié la façon dont les sols enneigés et l’inclinaison des modules solaires pouvaient influencer la production électrique. En effet, le rayonnement solaire réfléchi par la neige peut y contribuer. D’après l’étude, le rendement est maximum lorsque les modules sont installés à un angle prononcé, une donnée très intéressante puisque le soleil ne s’élève pas très haut en hiver. Ainsi, selon les auteurs de l’étude, le déficit de production engendré par la sortie du nucléaire pourra être mieux compensé par la construction d’installations photovoltaïques en montagne que par l’installation de modules sur les toitures du Plateau car chaque mètre carré produit plus d’électricité et le fait au moment le plus opportun.

À l’aide d’une installation d’essai située sur le domaine skiable de Parsenn, à Davos, le SLF et l’EPFL étudient, conjointement avec le service d’électricité de la Ville de Zurich (EKZ) et l’Université des sciences appliquées de Zurich (ZHAW), les questions pratiques et techniques relatives à la mise en place d’aménagements photovoltaïques en montagne, par exemple l’inclinaison optimale que doivent présenter les panneaux solaires pour que la neige glisse d’elle-même sur leur surface.

Un lac solaire
Cette étude suscite plusieurs interrogations, comme celles du raccordement à l’infrastructure énergétique et de l’impact de telles centrales sur un paysage alpin déjà fortement anthropisé. Deux projets actuels sur la thématique du photovoltaïque alpin, initiés par le Groupe Romande Énergie et Axpo, apportent des pistes de réflexion. Le premier a vu la mise en service, en décembre 2019, du premier véritable parc solaire flottant de l’arc alpin. Il est situé sur le lac de retenue des Toules, sur la commune de Bourg-St-Pierre (VS), au pied du col du Grand-Saint-Bernard, à une altitude de 1810 m. Le projet sert actuellement de démonstrateur visant à vérifier la faisabilité d’un parc de plus grande envergure.

La construction de cette installation a duré près de dix mois. Durant l’été 2019, les éléments des 36 structures flottantes en aluminium et polyéthylène haute densité ont été produits puis acheminés à proximité du lac des Toules. Dès septembre, les structures flottantes et les panneaux photovoltaïques ont été assemblés sur une zone de chantier nivelée à cet effet, puis hélitreuillés sur l’eau, avant la mise en service de l’installation.

Celle-ci se compose d’un tapis de 36 flotteurs. Arrimés au fond du lac à l’aide de poids, ils s’élèveront et s’abaisseront au même rythme que le niveau d’eau. Les 2240 m2 de panneaux photovoltaïques bifaciaux2 produiront plus de 0,8 GWh par an, soit l’équivalent de la consommation annuelle de près de 220 ménages. 

Des panneaux sur le mur d’un barrage
Dans les alpes glaronnaises, Axpo planifie également une grande centrale solaire alpine : elle sera construite à même le mur du barrage de Muttsee, le réservoir supérieur de la centrale de pompage-­turbinage de Limmern. Grâce à son orientation sud et à son altitude élevée (2500 m), le mur de béton est particulièrement bien adapté à l’installation d’une centrale photovoltaïque. Le projet prévoit l’installation de 6000 modules photovoltaïques sur une surface de 10 000 m2, soit une puissance installée de 2 MW et une production annuelle d’électricité de 2,7 GWh. 

Valoriser une infrastructure
Ces deux projets ont la particularité de se greffer sur des infrastructures hydroélectriques déjà existantes. Ils permettraient d’autant de donner une plus-value supplémentaire à des sites industriels connectés aux réseaux énergétiques et de transport. Si leur impact visuel n’est pas négligeable, ils ont l’avantage de s’inscrire dans un contexte paysager largement façonné par la fée électricité et valent certainement mieux que la prolifération d’installations de moindre envergure à des endroits mieux préservés ayant brisé l’élan de l’éolien suisse. Sans compter que la réponse à cette question environnementale doit se faire en prenant en compte les projets d’élévation d’anciens barrages ou la construction de nouveaux, comme ceux du Grimsel (BE) ou au Trift (BE).

 

Notes

1 Annelen Kahl, Jérôme Dujardin, Michael Lehning, The bright side of PV production in snow-covered mountains, Proceedings of the National Academy of Sciences, 2019 116 (4), pp. 1162-1167.

2 Les deux faces du panneau photovoltaïque sont actives. La face arrière permet de capter le rayonnement solaire réfléchi par la surface terrestre (albédo), ce qui est particulièrement intéressant à la surface d’un lac de montagne.

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