BIM – Que font les petits bureaux?
Les voix des petits bureaux se perdent dans le brouhaha qui entoure le BIM. Sont-ils compatibles avec le BIM? Une étude de la Haute école spécialisée de la Suisse du Nord-Ouest (FHNW) le montre: quand les petits se lancent dans le BIM, ils le font de manière ouverte, pragmatique et sans contrainte.
La plupart des bureaux d’architecture suisses sont de petites ou moyennes entreprises : au nombre de 12 000, 91 % des bureaux sont des micro-entreprises de moins de dix employés ; 85 % gèrent des projets dont le montant des travaux est inférieur à un million. Pour la grande majorité de ces petits acteurs, la transition vers la construction numérique représente un défi de taille. L’introduction des méthodes BIM s’apparente pour eux à investir dans un avenir incertain. Par manque de « modèles de référence », il est difficile d’estimer si les ressources nécessaires en valent la peine.
Les petits acteurs ne sont pas une priorité des débats sur le BIM. Cela est d’autant plus regrettable que le tissu de petites entreprises est un pilier central de la culture de la construction en Suisse : les petits acteurs devraient donc bénéficier d’un soutien particulier pour le processus de transition numérique.
Une équipe de recherche de la FHNW (voir « Participants à l’étude», ci-dessous) s’est penchée sur la situation et a constaté que, pour relever les défis de taille, une des principales stratégies des petits bureaux consistait à mettre en réseau les informations et à partager les expériences pratiques – ce qui est pleinement dans l’esprit des méthodes BIM. Les auteurs de l’étude de la FHNW ont rencontré des petits bureaux d’architecture de toutes les régions du pays pour les interroger sur leurs stratégies. Pour les entretiens, ils ont privilégié la discussion ouverte et ont exclusivement retenu des bureaux favorables au numérique.
Les résultats exposent les thèmes qui préoccupent les petits bureaux d’architecture dans le processus de transition vers la construction numérique. Même si cette étude n’est pas représentative d’un point de vue statistique, elle est révélatrice des motivations et des approches des petits bureaux d’architecture face aux défis du numérique.
To BIM or not to BIM?
Qu’est-ce qui motive les petits bureaux à se mettre au BIM?
«Le déclic est venu du projeteur en technique du bâtiment, qui s’inquiétait parce qu’il s’agissait d’un objet en fonctionnement!»
Si certaines des entreprises interrogées ont fait l’objet d’encouragements extérieurs – par des maîtres d’ouvrage ou des spécialistes de la planification – à l’usage de modèles d’ouvrages numériques dans des formats coopératifs, la majorité semble avoir obéi à une motivation intrinsèque caractéristique:
«Nous ne nous contentons pas de mettre en application ce que nous savons, mais nous nous demandons constamment comment faire encore mieux. C’est cette exigence qui nous guide.»
Relever le défi du BIM est perçu par certains comme une question d’image, alors que d’autres y voient une étape indispensable sur la voie d’une production architecturale tournée vers l’avenir. L’inventivité et la souplesse fondamentales des petites entreprises sont des conditions privilégiées pour se lancer dans l’aventure:
«À ce jour, personne ne nous a encore demandé de planification BIM, mais nous en utilisons néanmoins des fonctionnalités essentielles.»
L’acquisition des compétences suit une démarche organique
La manière typique d’acquérir les connaissances requises ne passe pas par une stratégie BIM clairement établie, mais par une approche informelle et volontaire d’«apprentissage par la pratique»:
«Nous nous faisons la main projet après projet. Aucun d’entre nous n’a de formation de manager BIM, mais un collaborateur et moi-même avons suivi des cours avant le début du projet. Cela nous a permis d’acquérir quelques bases, sur lesquelles nous nous appuyons pour progresser.»
Les entretiens ont révélé que dans les petits bureaux, le BIM fait débat jusqu’au niveau de la direction. En effet, concentrer les investissements sur les compétences de jeunes employés, qui ont tendance à être volatiles, fait peser une charge disproportionnée sur la trésorerie, ce qui va à l’encontre de la rationalité économique.
Souplesse et adaptation aux projets
La fameuse « lenteur typiquement suisse » ne transparaît guère dans le discours des entreprises interrogées sur leur processus de transition vers la construction numérique. En revanche, on peut remarquer l’inventivité avec laquelle elles abordent cette transition, en adoptant une approche par petites étapes, adaptées à la structure du bureau et aux réseaux professionnels. Les bureaux font preuve d’une grande souplesse en envisageant leur taille comme une opportunité et n’hésitent pas à faire coexister des méthodes analogiques et numériques. Les méthodes et processus à mettre en œuvre sont décidés au cas par cas.
«Si un maçon trouve une meilleure fraiseuse, il l’achètera pour tailler les pierres plus efficacement. Et si l’ancienne est mieux adaptée à un type de pierre donné, il la conservera à cet effet. Nous faisons de même avec les méthodes numériques.»
Collaboration entre bureaux
La coopération, un rouage central de la méthode BIM, prend une tournure particulière avec les petits bureaux : la mise en place de réseaux de savoir-faire et d’expériences leur permet de réduire durablement les ressources nécessaires au développement des compétences.
«Solliciter l’aide du fournisseur de logiciels n’est pas un modèle rentable pour nous. C’est pourquoi nous avons instauré très tôt un réseau de formation continue et d’échange.»
Les petits acteurs en sont foncièrement conscients: l’indépendance par rapport aux grands acteurs leur permet de définir leurs propres standards ; la mise en réseau nécessite en revanche un langage commun, mais est incontournable pour l’avenir. L’aspect décisif est de savoir qui (co)détermine et établit les standards de la coopération.
Sur la voie d’une culture de la construction numérique spécifique à la Suisse!
Ce qui distingue les petits bureaux ouverts au BIM, c’est la souplesse de leur approche : plutôt que d’acheter le bouquet BIM dans sa totalité, ils préfèrent y prélever des fleurs individuellement. Aux yeux des chercheurs, cette «meilleure pratique» – consistant à opérer une sélection en fonction des besoins stratégiques, du donneur d’ordre, des partenaires de mise en œuvre et de la taille du projet – représente une application parfaitement acceptable de la méthode BIM.
Cette adoption progressive et sélective des nouvelles méthodes est représentative du naturel inébranlable qui est l’une des forces de la profession : les architectes sont doués pour l’improvisation. Les petits bureaux offrent les meilleures conditions à cet égard. Et ils ont tout intérêt à saisir cette opportunité : en effet, même si le tapage autour de la numérisation de la construction est parfois excessif, il ne s’agit pas d’un simple effet de manche.
Participants à l’étude
L’équipe de recherche interdisciplinaire de l’École d’architecture, de génie civil et de géomatique de la HES du Nord-Ouest de la Suisse FHNW est experte dans l’utilisation de modèles d’ouvrages numériques en combinaison avec des processus et des formes d’organisation appropriés. Elle connaît la culture et les pratiques du métier d’architecte et a de l’expérience dans la recherche en sciences sociales.
Marco Bamberger, architecte, collaborateur scientifique
François Esquivié, architecte, collaborateur scientifique
Prof. Manfred Huber, architecte, directeur de l’Institut pour la construction numérique FHNW
Prof. Christina Schumacher, sociologue, chargée de cours et cheffe de projet, Institut d’architecture FHNW
Tim Seidel, architecte, chargé de cours en conception et construction, Institut d’architecture FHNW
Cet article a été publié dans le deuxième numéro spécial "BIM - Reality Check". Vous trouverez de nombreux autres articles sur ce sujet dans notre dossier numérique.